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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 9 |
Evénements sur la rive droite de la Seine depuis le combat d'Etrépagny jusqu'à ceux de Buchy
Source : L. Rolin.
Ordres de marche sur la capitale (29 et 30 novembre)
A son retour d'Etrépagny,
le général Briand reçut
à Fleury-sur-Andelle
un télégramme du ministre de
la guerre, lui prescrivant de former une colonne d'une
vingtaine de mille hommes et de la diriger
sur Paris.
C'était la conséquence d'un plan général de la délégation
de province, et, au moment même où cet
ordre parvenait au général Briand,
c'est-à-dire dans
la soirée du 30 novembre, les
généraux de l'armée
de la Loire, réunis en conseil de guerre
à Saint-Jean-de-la-Ruelle,
près Orléans,
recevaient, au nom du ministre,
l'injonction formelle de marcher
sur Pithiviers;
le commandant
de l'armée du Nord devait
également concourir à ce mouvement général
sur Paris, car il
s'agissait de tendre la main à notre armée de siège
qui tentait alors une grande sortie.
On apprit, en effet, le 1e décembre que cette sortie,
accomplie la veille, avait été couronnée d'un plein
succès; et, le même jour,
le général Chanzy inaugurait
le mouvement
de l'armée de la Loire par une
brillante action.
Tout s'annonçait donc favorablement
dans cette journée; la fortune semblait enfin nous
sourire; chacun avait repris confiance, et chez nous,
qui sommes prompts à passer d'un extrême à l'autre,
le découragement avait subitement fait place à l'espérance.
La délégation de province elle-même s'était
abandonnée à un enthousiasme qui l'empêcha de
voir clairement les choses et de juger avec calme la
situation militaire.
Le 2 décembre, le général Briand reçut un second
télégramme qui lui enjoignait de nouveau de ramasser
toutes ses troupes et de marcher sur Paris".
Cette dépêche, communiquée aux comités de défense, fut
promptement connue des journaux, qui s'empressèrent
de la publier, ni plus ni moins que s'il se fût agi
de donner le change à l'ennemi et de l'attirer dans un
piège.
On était persuadé à Tours
que l'évacuation
d'Amiens par le
général de Manteuffel était une conséquence
de la sortie de Paris, et l'on supposait que
la Ie armée allemande se portait en toute hâte au
secours de l'armée d'investissement.
Le général Briand s'empressa,
il est vrai, de signaler la marche
de l'ennemi sur Rouen; mais le délégué du ministre
de la guerre, qui remplissait des fonctions analogues
à celles de major général, lui répondit "que les
Prussiens avaient autre chose à faire que de venir
se promener en Normandie", et il réitéra son injonction.
Le préfet de la Seine-Inférieure confirma
les renseignements fournis sur la situation par le général
Briand; mais, bien que dans cette malheureuse
guerre les fonctionnaires civils trouvassent plus facilement
créance que les chefs militaires, on ne tint
pas compte de son avis et l'ordre fut maintenu.
Le
ministre se figurait sans doute que si les Prussiens
faisaient une pointe sur la Normandie, ils n'avaient
d'autre but que de masquer leur mouvement sur
Paris.
Enfin le commandant général Estancelin crut devoir
exposer à son tour la situation dans la matinée
du 3 décembre.
A cette date, la tentative de sortie
de Paris avait échoué;
on connaissait à Tours les
conséquences de la journée de Loigny; peut-être
y prévoyait-on déjà que les ordres de marche sur la
capitale, si formellement donnés et si opiniâtrement
maintenus, allaient aboutir, sur la Seine comme sur
la Loire, aux mêmes conséquences, c'est-à-dire à la
perte de Rouen et
à celle d'Orléans, qui, en effet,
eurent lieu le même jour et qui furent suivies de la retraite
précipitée du corps de l'Andelle, et de la retraite
bien autrement désastreuse
de l'armée de la Loire.
Ce fut sans doute par suite de ces considérations que
le général Briand reçut, dans la journée du 3 décembre,
le contre-ordre à sa marche sur Paris.
Il passa
la nuit suivante à transmettre de nouvelles instructions
aux chefs de corps qui devaient faire partie de
la colonne expéditionnaire, et qui, en ce moment, se
trouvaient déjà en présence de l'ennemi; car, dès le
3 décembre, les têtes de colonnes de la Ie armée
allemande avaient atteint la ligne de l'Epte.
Evénements dans le Nord
Pour se rendre compte des opérations du général
de Manteuffel et chercher la raison déterminante de
sa marche sur Rouen, il est nécessaire de se reporter
à quelques jours en arrière.
L'état-major prussien se
figurait que toutes nos troupes de la région du Nord,
placées sous le commandement du général Bourbaki,
ne formaient qu'une seule et même armée, ayant sa
droite à Rouen, son
centre à Amiens, sa gauche à
Lille, et couvrant la ligne ferrée qui relie ces trois
grandes villes, notamment la section de Rouen à
Amiens.
Telles étaient, en effet, les dispositions qui
auraient dû être prises dans cette circonstance mais,
comme nous l'avons déjà dit, le commandement du
général Bourbaki sur les forces de la rive droite de la
Seine était purement nominal.
Les troupes de l'Andelle
et celles du Nord s'étaient, il est vrai, donné
une fois la main à Formerie, mais ce fut là une rencontre
tout à fait fortuite et qui ne devait malheureusement
pas se renouveler.
Quoi qu'il en soit, le général
de Manteuffel envoya, dès le 22 novembre contre
notre armée du Nord, une reconnaissance qui poussa
jusqu'au bois de Gentelles,
aux portes d'Amiens, et
rapporta la nouvelle que le général Bourbaki était
présent dans cette ville.
Il y était, en effet, passé la
veille, se dirigeant sur Rouen.
Les Prussiens avaient
bien appris, par les journaux, que le général en chef
de la région du Nord était relevé de son commandement,
mais ils devaient croire qu'il le conserverait
au moins jusqu'à l'arrivée de son successeur, et ils
supposèrent que, dans son voyage de Lille
à Amiens
et d'Amiens à Rouen,
il n'avait d'autre but que de
ramener ses ailes sur le centre.
Chute de la Fère et prise d'Amiens
C'est pour s'opposer à une telle concentration, que
le général de Manteuffel attaqua notre armée du Nord,
sans même attendre que la sienne eût achevé sa formation
en bataille sur la ligne de l'Oise.
La journée
de Villers-Bretonneux décida du sort d'Amiens;
mais, après cette bataille, l'ennemi ignorait encore
si le gros de nos forces était avec le
général Farre
ou avec le général Briand.
Dans le doute, il eût été
plus rationnel pour les Prussiens de poursuivre le
général Farre et de compléter le résultat obtenu à
Villers-Bretonneux.
Avec la Fère
et Amiens, ils possédaient
déjà deux points d'appui dans le Nord, et il
semble qu'ils devaient chercher à se rendre complétement
maîtres de la ligne de la Somme en dirigeant
contre la place de Péronne, qui en est la clef, l'entreprise
qu'ils firent plus tard et qui était naturellement
indiquée.
Mais, sur les rapports du
comte de Lippe et
de l'armée de la Meuse,
le grand quartier de Versailles
désigna Rouen
comme le point le plus menaçant pour l'armée de siège.
La surprise d'Etrépagny,
survenue dans la nuit du 29 au 30 novembre,
était de nature à faire cesser toute hésitation chez le
général de Manteuffel; la
tentative du général Briand
contre Gisors eut donc pour résultat
de dégager l'armée du Nord
et de lui permettre de se reconstituer
avec une merveilleuse promptitude sous la main habile
et énergique du général Faidherbe.
Marche du général de Manteuffel sur Rouen (1e décembre)
Laissant derrière lui un mince rideau de troupes
pour couvrir la ligne de la Somme, occuper Amiens
et la Fère et garder la ligne ferrée qui relie ces deux
villes, le général de Manteuffel se mit en route sur
Rouen avec le gros de ses forces dès le 1er décembre.
Son ordre de marche semble trahir comme un indice
de précipitation: ses corps d'armée sont formés par
inversion; le VIIIe a l'aile droite et suit la route qui
longe le chemin de fer par Poix,
Formerie
et Forges.
Le 2 décembre, le quartier du général de Manteuffel
est à Grandvilliers et son aile gauche
à Breteuil, en
sorte que, dans cette position, il pourrait également
se porter sur Rouen ou
sur Beauvais et Paris; mais
à cette date, il connaît sans doute l'insuccès de notre
tentative de sortie, et il poursuit sa marche sur
Rouen.
Le 3, ses têtes de colonnes sont sur l'Epte,
à Forges et
à Gournay; le même jour, il déploie son
armée, la forme en bataille, lui crée une réserve et
l'établit dans les positions suivantes:
A l'aile droite,
le VIIIe corps
(général de Goeben),
de Forges à Neufchâtel,
quartier général à Gaillefontaine;
à l'aile gauche, le Ie corps
(général de Bentheim),
à Gournay
et aux environs, quartier général à la Chapelle-Songeons;
la réserve, à Pommereux
et à Bazancourt; le
grand quartier du général de Manteuffel
à Songeons.
Répartition des troupes de l'Andelle au 3 décembre
Voyons quelle était, de notre côté, la situation militaire
et comment nos troupes étaient réparties à la
même date.
Par suite de l'ordre de marche sur Paris, donné
dans la soirée du 30 novembre et contremandé le
3 décembre, le général Briand avait perdu trois jours
entiers, qui auraient pu être utilisés pour organiser la
défense de la Seine-Inférieure.
Le mouvement sur
Paris avait reçu un
commencement d'exécution; les
bagages, les convois de munitions, le matériel du
chemin de fer avaient été réunis à cet effet; plusieurs
bataillons de mobilisés avaient été dirigés sur la rive
gauche de la Seine et une partie des troupes
du corps de Fleury
avaient été concentrées pour suivre la
même direction.
Les troupes, dont le
général Briand disposait le
3 décembre au soir, restaient, comme auparavant,
séparées en deux groupes et placées sous des commandements
dont les centres avaient été fixés à
Fleury-sur-Andelle, pour l'aile
droite, et successivement
à Forges,
Argueil,
Gournay, puis Buchy,
pour l'aile gauche.
A Fleury-sur-Andelle
le capitaine de frégate Olry avait sous
ses ordres les corps dont nous allons
faire connaître la désignation et les positions :
à Fleury,
le 12e régiment de chasseurs,
le 2e bataillon de marche de la ligne
et le 1e bataillon de la mobile de la Loire-Inférieure;
à Écouis et à Fresne-l'Archevêque,
le régiment de la mobile de l'Oise;
à Gaillardbois-Cressenville,
le 2e bataillon de la Seine-Inférieure;
à Ménesqueville,
le 2e bataillon des Landes;
à Charleval,
le 2e bataillon des Hautes-Pyrénées.
En outre, dans les derniers temps, la
plupart des corps francs avaient été rattachés au
commandement de Fleury; c'étaient:
au Mesnil-Bellanguet,
le demi-bataillon des tirailleurs havrais;
à Mussegros, la compagnie
des francs-tireurs des Andelys;
au château de Belleface,
la compagnie d'Elbeuf;
à Lyons-la-Forêt,
le demi-bataillon du Nord,
la compagnie des éclaireurs Rouennais et
les guides de la Seine-Inférieure, pour ne pas parler de
deux ou trois autres petites troupes irrégulières et
de peu d'importance.
L'artillerie comprenait deux
sections de la 2e batterie du 10e régiment, une de
la 31e batterie de la marine, une des mobilisés de
Rouen, une batterie des mobilisés du Havre et une
autre de la garde nationale sédentaire de Rouen.
Le corps de Fleury-sur-Andelle comptait donc à peu
près 1,500 hommes de l'armée régulière, 7000 mobiles
et 12 à 1500 francs-tireurs; total, environ
10000 hommes avec vingt et un canons, dont six
Withworth, six de 4, trois Armstrong et six rayés de
montagne.
Depuis le départ du général d'Espeuilles,
le corps du pays de Bray,
dont nous ferons connaître plus
loin la composition était passé sous le commandement
du lieutenant-colonel de Beaumont,
du 3e hussards,
qui occupait Gournay dans les derniers jours
de novembre.
Le 1e décembre, il reçut l'ordre de se
porter à Gaillefontaine avec une partie de ses troupes
pour couvrir la route d'Amiens et la ligne du chemin
de fer, Gournay restant occupé par deux bataillons.
Les journées des 1e et 2 décembre s'écoulèrent sans
événement digne de remarque.
Dans la nuit du 2 au 3, l'approche des têtes de colonnes du général
de Manteuffel fut signalée;
le colonel de Beaumont,
ne se sentant pas en force pour leur disputer le cours
supérieur de l'Epte, se replia aussitôt sur Buchy, où
la concentration de son petit corps s'opéra dans la
matinée du 3 décembre.
A ce moment, le général
Briand n'avait pas encore reçu le contre-ordre à sa
marche sur Paris; il était donc forcé de rester à
Rouen pour y recevoir les instructions du ministre.
Il était, d'ailleurs, persuadé que le colonel de Beaumont
ne pouvait avoir devant lui qu'une faible avant-garde,
et il lui avait donné l'ordre de tenir à tout
prix.
Lorsqu'il fut informé de son mouvement de
retraite, il chargea le capitaine de vaisseau Mouchez
du commandement supérieur et de la défense du pays
de Bray.
Placé vers le milieu de septembre à la tête de la
division navale de la basse Seine, le commandant
Mouchez avait, en exécution d'un décret du 18 octobre,
réuni à son commandement celui des forces de
terre du Havre; et, sous son impulsion, les travaux
de défense et l'armement de cette place s'étaient
rapidement
achevés.
Un mois plus tard, le 20 novembre,
sur les instances de la municipalité
de Rouen, qui voulait
également créer autour de cette ville des ouvrages
de fortification, le
commandant Mouchez fut remplacé
au Havre par le capitaine de
frégate Rallier et appelé
à la tête de la subdivision militaire de la Seine-Inférieure.
Malgré le peu de temps qu'il avait devant lui,
il s'était mis à l'oeuvre avec activité, et il était tout
entier à ses travaux de défense, quand, dans la nuit
du 2 au 3 décembre, il se vit chargé de la mission
précédemment confiée au
colonel de Beaumont.
Bien
que peu initié à l'art de conduire des troupes en
campagne, comme tant d'autres braves marins qui
combattaient hors de leur élément, le commandant
Mouchez ne crut pas
pouvoir refuser le concours
qu'on demandait à son patriotisme, et il accepta le
commandement d'un corps dont la situation se trouvait
déjà plus que compromise.
Arrivé seul à Forges
le 3 décembre à une heure du matin, il n'y trouva
plus que quelques détachements en pleine retraite,
et il ne put qu'approuver les dispositions déjà prises
par le lieutenant-colonel de Beaumont, c'est-à-dire
la concentration sur Buchy, où l'on devait essayer
d'arrêter l'ennemi, s'il n'y avait pas une disproportion
de forces trop considérable.
La position de Buchy, beaucoup moins favorable
que celle de Gaillefontaine pour contenir les efforts
d'une armée venant d'Amiens, avait cependant une
certaine importance stratégique, comme point de bifurcation
des routes de Forges
et de Neufchâtel et du
chemin de fer d'Amiens
vers Rouen
et Dieppe.
Dans la matinée du 3 décembre, par un froid de 7 à 8 degrés,
le bourg de Buchy et
ses environs furent subitement
envahis et encombrés par une foule de soldats
débandés, à moitié gelés, sans vivres et dans un état
de dénûment complet.
Les premiers ennemis à combattre
étaient donc le froid, et surtout la faim.
"Ventre affamé n'a pas d'oreilles", a écrit le fabuliste;
Disciplinam servare non potest jejunus exercitus,
dit un
vieil adage militaire; il était, en effet, bien difficile de
maintenir l'ordre et la discipline parmi des troupes
aussi éprouvées par le manque de nourriture.
Depuis
le 1e décembre, l'armée de l'Andelle se trouvait placée
sous le régime de la solde avec vivres de campagne,
mais le service n'était pas encore organisé, et
l'intendance était dans l'impossibilité de procurer les
rations qu'elle était censée fournir.
La journée du
3 décembre et une partie de la nuit suivante furent
donc employées au ravitaillement.
Le commandant
Mouchez dut se
faire lui-même le pourvoyeur de son
petit corps d'armée; il partit
pour Rouen, et, grâce
au patriotique concours de la municipalité de cette
ville il en revint à minuit avec ce qui était nécessaire,
sinon pour alimenter ses troupes, du moins
pour les empêcher de mourir de faim.
Le reste de la
nuit se passa à opérer la répartition de ces vivres.
Pendant ce voyage
à Rouen,
le commandant Mouchez
avait pressé le
général Briand de venir se rendre
compte par lui-même de la situation et de prendre
la direction des troupes
de Buchy, mais le général
crut qu'il suffirait d'y envoyer quelques renforts.
En restant à Rouen,
il voulait sans doute être à même
de se porter, suivant le besoin,
à Buchy ou
à Fleury-sur-Andelle, au point
où il jugerait sa présence le
plus nécessaire.
Il semblait encore ignorer la direction
précise de la marche du
général de Manteuffel et
surtout la rapidité avec laquelle cette marche s'était
opérée.
D'ailleurs il n'était pas le seul qui fût dans
cette ignorance; la ville
de Rouen elle-même n'avait
guère changé d'aspect et paraissait jouir d'une quiétude
relative; les dépêches du gouvernement, les
nouvelles des journaux et les
avis d'Amiens parvenus
le 3 décembre, persistaient à présenter Paris comme
l'objectif de
la Ie armée allemande.
En réalité, dans
cette journée, l'ennemi
occupait Neufchâtel,
Forges
et Gournay,
et nous étions complétement en présence.
Le petit corps du
commandant Mouchez comprenait
le 3e hussards
et le 5e bataillon de marche,
cantonnés à Buchy;
le 1e bataillon de la mobile des
Hautes-Pyrénées,
au Tremblay;
le 4e bataillon de l'Oise,
à Estouteville;
le 1e bataillon du Pas-de-Calais,
à Saint-Martin-du-Plessis,
et le 8e
à Écalles-sur-Buchy.
A ces troupes étaient venus se joindre
comme renfort dans la journée du 3
le 2e bataillon
de la mobile de la Marne, qui s'était trouvé séparé de
l'armée d'Amiens
à la suite de la bataille
de Villers-Bretonneux,
et qui avait été dirigé
sur Bosc-Roger;
le régiment
des éclaireurs de la Seine
et la compagnie
des Vengeurs de la mort,
arrivés dans la soirée de
Lyons-la-Forêt
à Buchy.
En outre, le commandant
général Estancelin
avait dirigé sur ce point cinq bataillons
de la légion
des mobilisés de Rouen, qui
furent ainsi répartis:
le 3e bataillon,
à Critot;
le 4e
à Beaumont;
les 6e, 7e et 8e,
à Rocquemont.
Enfin
deux bataillons de
la légion du Havre occupèrent,
le 2e,
Buchy,
et le 6e,
la Frenaye.
Ces derniers bataillons,
dont quelques-uns étaient incomplétement
organisés, avaient un effectif moyen d'à peu près
700 hommes.
Quant à l'artillerie, elle comprenait
deux sections de la 31e batterie de la marine, deux
de la 2e batterie du 10e régiment, et une de la batterie
des mobilisés de Rouen
en tout, deux pièces
rayées de 4, trois pièces Armstrong et six canons
obusiers de 12 lisses.
Le corps de Buchy comptait
donc environ 1300 soldats de l'armée régulière,
infanterie et cavalerie, 5000 mobiles, à peu près le
même nombre de mobilisés, et environ 800 francs-tireurs
total, 12000 hommes, avec onze canons.
Toutefois ce qu'il faut considérer dans ces troupes,
c'est moins encore la quantité que la qualité.
Ces bataillons, appelés à la hâte des points les plus éloignés,
ne se connaissant pas entre eux et ne connaissant
pas leurs chefs placés à la dernière heure sous
un commandement improvisé, manquaient forcément
de cette cohésion et de cette confiance réciproque
qui peuvent seules garantir la solidité.
Effectif des forces allemandes
Voyons maintenant quelles étaient les forces qui
nous étaient opposées:
en marchant
sur Rouen, le
général de Manteuffel avait
laissé à Amiens
le corps
d'observation du général de Groeben, qui se composait
de six bataillons, huit escadrons et trois batteries; il
avait, en outre, un bataillon d'infanterie détaché à la
Fère mais, d'un autre côté, le grand quartier de Versailles
avait mis sous ses ordres directs, pour la durée
de ses opérations
contre Rouen,
la brigade des dragons
de la garde du comte de Brandebourg, en garnison
à Beauvais, et le détachement du comte de
Lippe.
Le corps saxon de Gisors, qui était toujours
opposé à nos troupes de l'Andelle, formait ainsi l'aile
gauche de la Ie armée prussienne, après avoir été
si longtemps l'aile droite des troupes allemandes
chargées de couvrir l'armée d'investissement.
Toutes
ces forces, réunies le 3 décembre sur la ligne de
l'Epte, de Forges à Gisors,
formaient un total de
quarante-sept bataillons, quarante-huit escadrons et
trente batteries.
Il s'agit maintenant d'exprimer ces
chiffres en têtes de combattants, et c'est là que gît
difficulté.
Lorsque la Ie armée
part de Metz, le général
Senfft, qui prend le soin
de nous annoncer son
approche, évalue sa force à 80000 hommes, et, arrivée
à Rouen, elle en aurait
eu à peine la moitié, s'il
faut s'en rapporter aux Prussiens; nous croyons que
ces évaluations sont également éloignées de la vérité.
Sur l'effectif du pied de guerre réglementaire, le bataillon
au complet comptant mille baïonnettes, et
l'escadron cent cinquante sabres,
la 1e armée allemande
aurait été forte de 55000 hommes environ;
mais nous supposerons que, par suite des marches et
des combats, elle avait perdu un cinquième de son
infanterie et un dixième de sa cavalerie; en réalité
quelques rares bataillons avaient seuls pu subir un
pareil déchet et les escadrons avaient fort peu souffert.
Le chiffre total des forces du
général de Manteuffel
dépassait donc 45000 hommes.
Quant aux artilleurs,
les Allemands n'ont pas l'habitude de les faire
figurer dans l'effectif des combattants, bien que ce
soient eux qui jouentle rôle principal dans les batailles;
mais il n'en est pas moins vrai que le 3 décembre
le général de Manteuffel
avait à sa disposition trente
batteries, ou, pour parler rigoureusement, cent
soixante-dix-neuf canons; car nous admettrons que le
comte de Lippe
n'avait pas eu le temps de remplacer
celui qu'il avait laissé entre nos mains
à Etrépagny.
Les forces du général de Manteuffel étaient donc,
comme quantité, plus que doubles de celles du général
Briand; et, quant à la qualité,
on ne saurait
comparer aux régiments prussiens, aguerris et exaltés
par le succès, nos quelques bataillons incohérents,
ni opposer aux 179 canons Krupp notre artillerie,
composée en grande partie de canons lisses ou de
pièces de montagne.
Il suffit de mettre ces éléments en regard les uns
des autres pour voir quelles étaient les chances d'une
tentative de résistance.
Pour que la lutte eût été possible,
il aurait fallu d'abord conserver les positions
du pays de Bray, opérer une concentration de nos
forces sur leur gauche, occuper fortement la ligne de
séparation des eaux, et toute la partie qui s'étend entre
le cours supérieur de l'Epte et celui de l'Andelle et de
la Béthune.
Il y a là un terrain coupé, boisé, accidenté,
hérissé de fermes dont chacune forme à elle seule un
ouvrage de campagne.
Le choix d'une pareille position,
très favorable à la défense, aurait pu compenser
en partie notre infériorité numérique, en enlevant à
l'ennemi le moyen d'employer sa nombreuse cavalerie
et son artillerie formidable.
Si les Prussiens, contenus
ainsi en tête, eussent été en même temps menacés
en queue par
notre armée du Nord, dont le
général Faidherbe
venait de prendre le commandement,
le général de Manteuffel
aurait été vraisemblablement
forcé de renoncer à sa marche
sur Rouen et
de se retirer sur Beauvais.
Une simple démonstration
sur ses derrières, tandis qu'il eût été maintenu de front,
aurait profondément modifié la situation; par malheur
il n'existait aucune relation entre le général
Faidherbe
et le général Briand;
en sorte
que l'armée de l'Andelle,
qui aurait pu, quelques jours auparavant,
être concentrée sur Amiens,
prendre part à la bataille
de Villers-Bretonneux
et changer les conditions de
la lutte, se vit à son tour isolée en face d'un ennemi
plus de deux fois supérieur en nombre.
En présence d'une telle supériorité numérique, il
était impossible au
commandant Mouchez de résister
seul dans un pays aussi découvert que celui qui environne
Buchy;
il résolut donc de se retirer encore
plus en arrière,
vers Quincampoix, pour s'appuyer
au besoin sur la forêt Verte et se trouver
plus à proximité des retranchements qu'il avait fait
élever autour de Rouen.
Afin de couvrir ce mouvement
de retraite et de s'éclairer en même temps
sur la force des corps ennemis, dont l'approche avait
été annoncée la nuit précédente, il lança, dans la
matinée du 4 décembre, deux fortes reconnaissances
dans les directions de Forges
et de Neufchâtel.
De son côté, le
général de Manteuffel avait donné
ses ordres dès la veille.
Son intention n'était pas de
livrer bataille le 4, mais de gagner du terrain et d'atteindre
la ligne de l'Andelle afin d'être prêt à tout
événement.
Le Ie corps
devait s'avancer jusqu'à la Haye
et Lyons-la-Forét,
le VIIIe
jusqu'à Buchy, la
réserve jusqu'à Argueil.
La brigade des dragons de
la garde était mise à la disposition du
général de Goeben
pour couvrir son aile droite; à l'aile gauche,
le comte de Lippe
devait pareillement se porter
d'Étrépagny
vers Fleury-sur-Andelle.
Le VIIIe corps avait
reçu l'ordre de commencer son mouvement à neuf
heures du matin, et il était particulièrement chargé
de détruire les chemins de fer et les télégraphes qui
mettaient Rouen
en communication avec Dieppe
et le Havre.
Le général de Goeben,
disposant de trois brigades,
en avait formé,autant de colonnes qui devaient
converger sur Buchy
à sa gauche, la 29e brigade,
sous les ordres du général
lieutenant de Kummer,
s'avançait par la route
de Forges;
au centre, la 32e,
commandée par le général
lieutenant de Barnekow,
se dirigeait sur Sommery;
à sa droite, le colonel Mettler,
qui remplaçait le général
major de Gneiseneau,
marchait de Neufchâtel
sur Saint-Martin-Omonville,
à la tête de la 31e brigade.
C'est avec les têtes de
colonnes du VIIIe corps prussien, et principalement
avec celles des ailes, que nos troupes eurent dans
la journée du 4 décembre plusieurs engagements
isolés, auxquels on a donné le nom de combats
de Buchy.
Combats de Forgettes, de Rocquemont et de Bosc-le-Hard
La reconnaissance envoyée dans la matinée de ce
même jour sur la route
de Forges était sous les
ordres du colonel Mocquard;
elle se composait du
2e bataillon de la mobile de la Marne
(commandant de Peyronnet),
du 2e bataillon de mobilisés de la légion
du Havre
(commandant Deloeuvre),
du régiment
des Éclaireurs de la Seine,
de la compagnie des Vengeurs
de la mort
(capitaine Deschamps)
et d'une
section de canons obusiers de 12 lisses (maréchal des
logis Aumont);
en tout un peu moins de 3000 hommes
et deux canons.
A sept heures du matin, ces
troupes avaient pris position sur le plateau
de Forgettes,
à environ six kilomètres
de Buchy, la droite
appuyée vers le hameau
de Hucleu et la gauche vers
celui de Liffremont;
les Éclaireurs de la Seine,
déployés
en tirailleurs sur la pente
du Mont-Albout; les
deux pièces sur la droite de la route, avec une compagnie
de soutien.
Vers huit heures et demie, quelques
cavaliers débouchèrent
de Mauquenchy sur la
route de Forges, mais ils firent aussitôt volte-face,
salués de loin par quelques décharges de mousqueterie
et par un coup de canon, dont le projectile
alla tomber à peu près à mi-chemin, ce qui n'était
pas fait pour inspirer une grande confiance à nos
soldats dans l'appui de leur artillerie.
La patrouille
ennemie avait disparu et l'on pouvait croire l'affaire
terminée, quand, peu de temps après, une batterie
vint se mettre en position sur les hauteurs
opposées, à environ deux kilomètres de nos pièces
qu'elle prit comme objectif.
A une pareille distance,
des obusiers lisses étaient incapables de répondre
d'une manière efficace; les artilleurs tirèrent
néanmoins quelques coups de temps à autre pour ne
pas décourager notre infanterie.
La canonnade et la
fusillade se prolongèrent ainsi sans grand effet meurtrier
pendant environ une heure.
L'avant-garde prussienne
qui occupait Mauquenchy, et qui se composait
du 2e bataillon du 65e régiment, n'avait d'autre but
que de donner à la colonne qu'elle précédait le temps
d'entrer en ligne.
Vers dix heures, le général de
Kummer,
débouchant à la tête de sa brigade, s'étendit
aussitôt par sa droite
vers Roncherolles, afin de se
tenir en communication avec la colonne du centre
qui s'avançait sur Sommery.
Lorsqu'il eut reconnu
la faiblesse numérique de ses adversaires, il donna
l'ordre de l'attaque.
Avec des efforts dignes d'un meilleur
résultat, quelques-unes de nos compagnies essayèrent
de disputer le terrain, mais l'artillerie ennemie,
qui jusque-là les avait épargnées, fut aussitôt
dirigée contre elles; l'un de ses premiers obus enleva
un éclaireur de la Seine et en blessa quelques autres.
En présence des forces considérables qu'il avait
devant lui, et qui le débordaient sur sa gauche, le
colonel Mocquard
dut se résoudre à donner le signal de la retraite.
Par malheur elle s'opéra précipitamment,
et nos artilleurs ne purent éviter d'abandonner
une de leurs pièces, démontée pendant l'action.
Dans cette affaire, les mobiles, les mobilisés et les
francs-tireurs eurent quatre hommes tués ou atteints
mortellement, douze à quinze autres hors de combat,
et une vingtaine de prisonniers.
L'ennemi, de son
côté, laissa deux des siens sur le terrain et envoya
aux ambulances
de Forges-les-Eaux
une douzaine de
blessés appartenant tous, sauf un artilleur,
au 65e régiment d'infanterie du Rhin.
La canonnade de Forgettes avait été entendue
à Buchy, mais on crut que c'était notre reconnaissance
qui fouillait les bois et qu'il n'y avait rien de
sérieux de ce côté, aucune estafette n'ayant rendu
compte de ce qui s'y passait.
Vers dix heures et demie,
on vit apparaitre les premiers fuyards, propageant
sur leur route une panique dont ils étaient les
auteurs, et le gros des troupes massées autour de
Buchy suivit ce mouvement rétrograde que les chefs
furent impuissants à enrayer.
Des détachements du
5e bataillon de marche
(commandant Barreau), ainsi
qu'un escadron du 3e hussards,
postés sur la route de
Forges,
entre Bosc-Roger et le
hameau de Razeran,
attendirent seuls l'ennemi de pied ferme; mais après
une courte canonnade, ils se virent également débordés
sur leur gauche et forcés de se replier.
Dans ce second engagement, nos soldats eurent quelques
blessés; un sous-lieutenant et une vingtaine d'hommes
furent faits prisonniers, et le nombre en eût été bien
plus considérable si l'ennemi avait continué la poursuite
mais, par bonheur, le
général de Kummer,
dont l'itinéraire était tracé vers le sud, ne crut pas
devoir dépasser Razeran.
Sur la route de Neufchâtel,
la reconnaissance ordonnée
par le commandant Mouchez
était formée des
4e, 6e, 7e et 8e bataillons de la légion des mobilisés de
Rouen,
du 1e bataillon de la mobile des Hautes-Pyrénées,
d'un escadron du 3e hussards
et d'une section
d'artillerie.
Le lieutenant-colonel Laperrine,
qui la dirigeait, avait pour instructions de se porter sur
Saint-Martin-Omonville,
de faire reconnaître Saint-Saëns
par sa cavalerie, et de se retirer ensuite dans la
direction
de Saint-Georges-sur-Fontaine,
en passant
par Cailly
et Fontaine-le-Bourg.
Au moment même
où cette reconnaissance partait
de Rocquemont,
l'ennemi débouchait
de Saint-Martin, et lorsque,
vers onze heures du matin,
le colonel Laperrine
atteignit la limite qui sépare les deux communes, il
se trouva en présence du
colonel Mettler, qui occupait,
avec la tête de sa
brigade, Bréquigny et le haut
de la côte du Fontenay.
A la hauteur de la ferme de
Beauvais,
qui était au pouvoir des Prussiens,
les mobilisés
des Iere et 2e compagnies
du 1e bataillon (commandant
Gamarre), déployés
en tirailleurs, essuyèrent
une vive fusillade; ils ripostèrent résolument,
et, bien qu'ils ne fussent armés que de mauvais fusils
à piston, ils infligèrent quelques pertes à leurs adversaires.
Plein de confiance dans ce début, le colonel
Laperrine s'apprêtait
à se lancer sur l'ennemi, lorsqu'il
reçut du colonel de Beaumont,
qui commandait
en second à Buchy,
l'ordre de se replier immédiatement
par la route de Rouen.
La retraite s'opéra aussitôt
sans trop de confusion, mais les tirailleurs engagés
eurent à souffrir de ce mouvement imprévu.
Cette rencontre coûta aux mobilisés de la légion de
Rouen deux
hommes tués, neuf blessés, dont un officier,
le sous-lieutenant Borgnet,
et une vingtaine de prisonniers.
En outre, un détachement du 6e bataillon
des mobilisés de la légion du Havre,
fort de 8 officiers
et de 267 hommes, qui, à la suite de la panique
de Buchy, avait quitté
la Frenaye et s'était mis
en marche sans ordres et sans direction, tomba au
milieu de la brigade Mettler,
qui s'avançait à la poursuite
du colonel Laperrine,
et fut tout entier fait prisonnier
au lieu dit les Hétreaux,
sur le territoire de Rocquemont.
Au moment où ces mobilisés étaient ainsi enveloppés
et pris à Rocquemont,
le général de Barnekow
entrait à Buchy,
suivi du général de Goeben,
tandis que le général de Manteuffel
arrivait à Argueil et
établissait son quartier général au château du marquis
de Castelbajac.
Il était donc grand temps que
la retraite de nos troupes s'effectuât; et, dans les
conditions où elle s'opérait, elle aurait pu devenir
désastreuse, si le chef
du VIIIe corps, qui avait
à sa disposition plus de 2000 chevaux, eût ordonné
la poursuite.
Mais il fut forcé de s'en abstenir par
suite d'une diversion qui menaçait son aile droite et
qui eut lieu dans des circonstances que nous allons
indiquer.
On a vu plus haut que le
général Briand, resté à
Rouen, avait reçu,
dans la soirée du 3 décembre,
contre-ordre à sa marche sur Paris.
Libre désormais
de toute préoccupation à ce sujet, il s'était
occupé de porter
sur Buchy, où était réellement le
danger, une partie du corps de l'Andelle, ne laissant
sur cette ligne que le rideau nécessaire pour
masquer le mouvement et observer le détachement
du comte de Lippe.
La colonne destinée à renforcer
les troupes de Buchy
fut concentrée en partie à Fleury;
elle devait se composer du 2e bataillon de
marche de la ligne,
de plusieurs bataillons de mobiles
et de deux batteries d'artillerie.
En outre, le
général Briand
avait chargé le commandant général
Estancelin
d'occuper Clères
et Saint-Victor avec la
garde nationale sédentaire de Rouen,
et de couvrir ainsi le chemin de fer
de Dieppe
et la bifurcation
d'Amiens.
Ces gardes nationaux devaient être rendus,
le 4 de bon matin, dans les positions qui leur avaient
été assignées, mais ils ne partirent
de Rouen qu'à
onze heures; ils arrivèrent
à Clères
vers trois heures
de l'après-midi, et, par suite d'une erreur inexpliquée,
le chef de train conduisit le commandant général
Estancelin et tout son
détachement
jusqu'à Saint-Victor.
Ce détachement, formé des 1e, 2e et 4e bataillons
de la garde nationale
sédentaire de Rouen
(lieutenant-colonel Hurault de Ligny), était fort d'environ
1300 hommes.
Quant au transport des troupes
de Fleury
sur Buchy,
par suite du manque de temps,
de l'insuffisance du matériel des chemins de fer et de
l'encombrement de voies, il ne put recevoir qu'un
commencement d'exécution.
L'artillerie resta embarquée
à la gare de Fleury;
le 2e bataillon de marche de
la ligne ne dépassa pas Clères,
et le 2e bataillon de la
garde mobile de la Seine-Inférieure (commandant
Rolin),
qui formait la tête de cette colonne, se trouva
seul engagé.
Embarqué dans la matinée
à Fleury-sur-Andelle,
ce bataillon, fort d'un peu plus de mille hommes,
arriva vers midi à la gare
de Rouen.
On avait bien
entendu, des hauteurs de cette ville, la canonnade qui
avait éclaté le matin dans la direction
de Buchy, mais
on en ignorait complétement les résultats; le train
continua sa marche
par Clères et arriva vers une
heure à la station
de Bosc-le-Hard,
qui était devenue tête de ligne.
La communication était interrompue
depuis quelques heures
avec Critot, et le télégraphe
venait également d'être détruit en arrière par les
coureurs ennemis qui s'avançaient
jusqu'à Saint-Victor.
Une patrouille prussienne était en vue; et, à
l'approche du train, elle se retira dans la direction
d'Augeville, après avoir fusillé
un mobilisé du 3e bataillon
de Rouen, qu'elle avait pris dans les environs
et contraint à lui servir de guide.
Les mobiles de la
Seine-Inférieure se trouvaient ainsi complétement en
l'air et dans une situation difficile par suite de la
rupture du télégraphe, il était impossible de demander
des instructions; laisser le train continuer sa
marche, c'était tomber à coup sûr au milieu des forces
ennemies et renouveler, dans des conditions plus
graves encore, la catastrophe qui avait eu lieu juste
deux mois auparavant près
de Critot, car le chemin
de fer était coupé en cet endroit.
C'est pourquoi,
après s'être renseigné près des habitants du pays, le
commandant Rolin
résolut de faire débarquer son
bataillon, et de prendre position, en attendant le reste
de la colonne qui devait le suivre.
Situé au point où la route
de Rouen à Belleneombre
coupe le chemin de fer de Dieppe
à Amiens,
le bourg de Bosc-le-Hard
a un développement de près
de trois kilomètres; il ne pouvait, par conséquent,
être longtemps ni efficacement défendu par un millier
d'hommes.
Néanmoins, comme il s'agissait avant
tout de protéger le débarquement des renforts attendus,
le commandant Rolin
couvrit la gare par une
ligne de tirailleurs avec une compagnie comme soutien,
après quoi il fit
occuper Bosc-le-Hard par le
reste de son bataillon, appuyant sa gauche à la station
et s'étendant par sa droite jusqu'au carrefour de
la rue Vilaine.
Les vedettes prussiennes avaient assisté à ces préparatifs
qui éveillèrent bientôt l'attention de l'ennemi.
Etabli à Buchy,
le général de Goeben avait
massé le gros de ses forces au nord-ouest de la bifurcation
que le chemin de fer forme en cet endroit; le
comte de Brandebourg,
avec la brigade des dragons
de la garde, occupait
Rocquemont,
et le général de Barnekow,
avec la 16e division d'infanterie,
Critot,
Esteville,
Yquebeuf
et Cailly.
Pour couvrir son aile
droite et détruire nos chemins de fer, le
général de Goeben
avait formé, sous les ordres
du major d'Elern,
un détachement de deux bataillons
du 29e régiment d'infanterie, d'un escadron
et d'une batterie.
Cette colonne, suivant l'embranchement
de Buchy
à Clères,
rencontra vers trois heures les mobiles qui occupaient
Bosc-Ie-Hard
elle prit immédiatement position
à l'est de ce bourg, sa gauche occupant le
hameau de la rue Vilaine, sa droite s'étendant jusqu'au
passage à niveau d'Augeville,
son artillerie au
centre et à une centaine de mètres en avant du chemin
qui relie ces deux points.
Pendant que le major
d'Efern prenait
ces dispositions, un train venant de
Rouen s'arrêtait à la gare
de Bosc-le-Hard, et nos
soldats crurent un instant à l'arrivée d'un renfort,
mais ce n'était qu'un convoi de vivres envoyé trop
tard au commandant Mouchez;
l'intendant Gueswiller
et le nombreux personnel qui l'accompagnait n'eurent
que le temps de rétrograder au bruit du canon et de
la fusillade, car le combat commençait.
Quelques cavaliers, étant venus s'éclairer de trop
près, furent vivement poursuivis par nos mobiles,
qui se trouvèrent bientôt en présence des tirailleurs
ennemis; la fusillade éclata aussitôt et l'action s'engagea
de toutes parts.
Autrefois nous enlevions les
villages à la baïonnette, aujourd'hui les Prussiens
les allument à coups de canon, et leur infanterie
n'entre en ligne que quand l'artillerie lui a frayé le
chemin: man führt nicht Infanterie
zum Angriff, bevor Artillerie gehörig vorgearbeitet hat
Fidèle à cette
tactique, le major d'Elern
ouvrit une vive canonnade
qu'il concentra sur l'emplacement présumé de nos
réserves, la gare, et surtout le cimetière, qui fut labouré
par les obus.
Par bonheur le tir était trop
tendu, et la plupart des projectiles passaient audessus
de nos têtes nos tirailleurs, bien abrités, eurent
peu à en souffrir, et le reste du bataillon, déployé
derrière les fossés des fermes, put soutenir pendant
plus d'une heure cette lutte inégale.
A l'approche de
la nuit, le commandant Rolin,
ne voyant arriver aucun
renfort et voulant conserver quelques cartouches
pour repousser des charges de cavalerie qu'il considérait
comme imminentes, résolut de mettre fin à
une résistance qui, prolongée plus longtemps, aurait
compromis la retraite.
En conséquence, il fit rompre
par la droite, pour marcher vers la gauche dans la
direction de Biennais,
ce qui fit supposer à l'ennemi
qu'il nous avait forcés de tourner le dos à
Rouen:
Nach einstündigem Gefecht aus ihrer dort
eingenommenen Position geworfen und in nordwestlicher
Richtung von Rouen abgedrängt
.
La retraite
s'opéra en ordre et avec calme; notre droite ne fut
que légèrement inquiétée par quelques fusiliers devenus
plus entreprenants; notre gauche était couverte
par les tirailleurs, qui, trop fortement engagés,
ne purent rallier à temps le bataillon.
Cernés dans
les chantiers qui avoisinent la gare, ces jeunes soldats,
au nombre de près de quatre-vingts, furent
forcés de mettre bas les armes et faits prisonniers
en bataille, après avoir épuisé leurs munitions.
Nous
perdîmes, en outre, six hommes tués ou mortellement
atteints et une vingtaine de blessés.
Pour
grossir le nombre de leurs prisonniers, les Prussiens
s'emparèrent d'une douzaine d'habitants qu'ils soupçonnaient
d'avoir pris part à la lutte; l'un d'eux fut
tué en cherchant à s'évader; les autres furent emmenés
en captivité à Stralsund avec les mobiles, un
gendarme de
la brigade de Saint-Saëns
et un cavalier
du 12e chasseurs
qui, envoyé comme estafette à
Bosc-le-Hard,
fut pris après l'action.
L'ennemi, de son
côté, expia chèrement les pertes qu'il nous fit subir;
plusieurs fantassins
du 29e régiment du Rhin relevés
sur le champ de bataille, reçurent la sépulture
par les soins des habitants, et une vingtaine de ses
blessés furent portés dans nos ambulances
de Forges
et de Neufchâtel.
Dans ce combat, les mobiles
du 2e bataillon de la
Seine-Inférieure, isolés et réduits à leurs propres
forces, avaient tenu bon contre un détachement de
toutes armes, relativement considérable, et montré
ce qu'on pouvait attendre d'eux si les opérations
avaient été mieux combinées.
Toutefois, le sang versé
ne le fut pas inutilement, puisque cette diversion sur
l'aile droite de l'ennemi l'empêcha de poursuivre nos
troupes refoulées à Buchy.
Elle permit en outre aux
gardes nationaux qui s'étaient aventurés
jusqu'à Saint-Victor,
au moment même de l'action, de se replier
sur Rouen sans
encombre;
ils durent certainement
leur salut à cette circonstance, car leur pointe était
d'autant plus aventurée, que le
général de Goeben
avait pour instructions de couper toutes les communications
de Rouen
avec Dieppe,
et même avec leHavre.
Aussi, dès que le major d'Elern
eut occupé
Bosc-le-Hard,
son premier soin fut d'envoyer à
Etaimpuis, point d'intersection
des lignes de l'Ouest
et du Nord, un détachement qui détruisit le télégraphe,
et se mit en devoir d'enlever les rails du
viaduc.
Dérangés dans cette besogne par le dernier
train de voyageurs allant
à Dieppe, les Prussiens
firent feu et tuèrent le conducteur.
A la suite du combat
de Bosc-le-Hard,
les mobiles de la Seine-Inférieure
s'étaient retirés sur Clères,
qu'ils trouvèrent abandonné par les gardes nationaux,
et qu'ils durent évacuer eux-mêmes vers huit
heures du soir, au reçu d'une dépêche télégraphique
leur enjoignant de se rapprocher
de Rouen; ils partirent
en conséquence dans cette direction et passèrent
la nuit à Malaunay.
Le 2e bataillon de marche
de la ligne était rentré
à Rouen avec les gardes nationaux
sédentaires.
Les troupes qui avaient fait précédemment
partie du corps de Buchy
s'étaient portées
aux environs du Houlme et
de Pissy-Poville, tendant
à découvrir Rouen et
à prendre la route du Havre, à
l'exception, toutefois, des gardes nationaux mobilisés
qui, vers sept heures du soir, arrivèrent derrière
les retranchements
d'Isneauville.
Escarmouches de Saint-Jean-de-Frenelle, de Lyons-la-Forêt et de Vascoeuil (4 décembre)
Pendant que ces événements se passaient sur notre
gauche, à Buchy
et à Bosc-le-Hard,
les troupes laissées
en avant de l'Andelle avaient également sur notre
droite quelques engagements avec l'ennemi.
Le comte de Lippe,
comme on l'a vu, avait reçu l'ordre de faire
une reconnaissance sur Écouis,
et, dans l'après-midi
du 4, il poussa jusqu'à Boisemont
un détachement
fort de trois compagnies, deux escadrons et deux
pièces.
De notre côté,
un bataillon des mobiles de l'Oise,
un escadron du 12e chasseurs et deux sections
d'artillerie se portèrent en avant de Mussegros,
et échangèrent quelques coups de canon et de fusil
hors de portée et sans grand résultat.
La seule perte
éprouvée par les Saxons dans cette rencontre fut
celle d'un cavalier
du 3e dragons, blessé
aux environs
de Saint-Jean-de-Frenelle,
vraisemblablement
par des francs-tireurs embusqués dans les bois de
Léomesnil.
Nos troupes avaient, d'ailleurs, reçu
l'ordre de se tenir sur la défensive, et les Saxons, de
leur côté, se bornèrent à une simple démonstration.
A Lyons-la-Forét et
à Beauficel,
les francs-tireurs
de Rouen
(capitaine Desseaux),
et des Andelys
(capitaine Stévenin),
escarmouchèrent pendant cette
journée avec la cavalerie ennemie et firent sept prisonniers,
parmi lesquels le
second lieutenant de Stieglitz,
du 17e uhlans saxon,
chargé de se mettre en communication avec le
général de Manteuffel.
De
ce côté, de Lyons,
le général de Bentheim,
qui avait
à traverser la forêt, ne s'avançait qu'avec beaucoup
de précaution et de lenteur.
Dans la matinée, ses
patrouilles poussèrent jusqu'à la ligne de l'Andelle
et essuyèrent à Vascoeuil une
décharge
des francs-tireurs du Nord.
Dans l'après-midi, elles revinrent à
Vascoeuil à plusieurs reprises,
mais elles furent repoussées
chaque fois par les pompiers de la localité,
qui, bien que restés sans appui, continuèrent néanmoins
jusqu'au lendemain à défendre résolument leurs
foyers, et blessèrent un sous-officier et un cavalier
du 1e régiment de dragons lithuaniens.
La déroute de Buchy
ne fut connue à Rouen que
vers quatre heures du soir, et la nouvelle en fut
apportée par les premiers fuyards.
Dès qu'elle parvint
aux oreilles du
général Briand, il rappela à
Rouen le
corps de l'Andelle,
ainsi que les diverses
troupes disséminées de toutes parts, et il se porta
lui-meme au-devant
de celles de Buchy,
qu'il rencontra
à Isneauville dans
la débandade la plus complète.
Il essaya de les répartir derrière les lignes de
défense ébauchées en cet endroit mais tous ses
efforts furent inutiles,, car la plupart des hommes,
n'ayant pas mangé de la journée, se précipitèrent
dans la ville pour y chercher des vivres et une nuit
de repos à l'abri de la gelée.
Tels sont les événements qui eurent lieu autour de
Rouen dans la journée du 4 décembre, événements
isolés et décousus que nous avons exposés chronologiquement,
vu l'impossibilité où nous étions de présenter
en ordre des engagements auxquels le désordre
seul semble avoir présidé.
C'est sans doute
pour des raisons analogues, et par suite de l'absence
de relations officielles que le délégué de la guerre,
M. de Freycinet, qui était cependant en situation
d'être mieux renseigné que personne, a fait de cette
journée un récit qui semble calqué sur celui d'un reporter
anglais.
D'après lui, le corps de Buchy
aurait
compris 2000 marins; la vérité est qu'il n'y en avait
que deux en tout, le capitaine
de vaisseau Mouchez,
et le lieutenant
de vaisseau Boistel,
son aide de camp.
S'il y avait eu là 2000 marins, ils auraient certainement
fait ce qu'ont fait à Dreux
ceux du général du Temple,
et, s'ils n'avaient pu arrêter l'ennemi, ils
auraient du moins sauvé l'honneur de la journée.
Positions des deux partis dans la soirée du 4 décembre
Dans la soirée du 4 décembre, la situation militaire
était donc la suivante:
Les troupes de l'Andelle
avaient été rappelées à Rouen;
les gardes nationaux
mobilisés et sédentaires s'étaient disséminés
dans la ville et les environs; le
colonel de Beaumont, avec
son régiment et les bataillons de mobiles qu'il avait
eus précédemment sous ses ordres, était
au Houlme
et à Pissy-Poville, sur la route
du Havre; enfin, à
l'extrême gauche,
les mobiles du 2e bataillon de la
Seine-Inférieure
occupaient Malaunay.
Du côté des
Allemands, le général de Manteuffel se trouvait, avec
la réserve, à Argueil,
où il s'était établi; le général
de Goeben, avec le VIIIe corps,
occupait Buchy,
s'étendant, par sa droite, jusqu'au chemin de fer de
Dieppe, et poussant son
avant-garde sur la route de
Rouen,
jusqu'à Saint-André;
le général de Bentheim,
qui, à la tête du Ie corps, avait reçu l'ordre de s'avancer
jusqu'à la Haye, s'était arrêté
à la Feuillie; le
comte de Lippe,
après l'escarmouche
de Saint-Jean-de-Frenelle,
s'était retiré au Thil, se
disposant à marcher le lendemain
sur Lilly, afin de se relier plus
étroitement avec le
général de Manteuffel.
En résumé, si de notre côté la direction militaire
avait fait complétement défaut dans la journée du
4 décembre, il est heureux que chez nos adversaires
tout n'ait pas été conduit avec la précision habituelle
à l'armée prussienne.
Le général de Goeben n'utilisa
pas, pour la poursuite de nos troupes
de Buchy, sa
brigade de cavalerie, encore renforcée par celle des
dragons de la garde, qui avait là une belle occasion
de prendre sa revanche
de Mars-la-Tour; en outre,
les communications ne paraissent pas avoir été bien
établies entre le VIIIe corps
et le Ie, qui lui-même
n'était pas relié avec le détachement saxon.
Il y avait
eu, dans cette journée, des escarmouches aux environs
d'Écouis,
de Lyons-la-Forêt et
de Vascoeuil, des
combats d'avant garde
à Forgettes,
Rocquemont et
Bosc-le-Hard,
et le décousu même de ces engagements
put donner le change à l'ennemi.
D'après l'étendue de
la ligne occupée par nos troupes,
le général de Manteuffel
crut avoir affaire à des forces égales, sinon
supérieures aux siennes; il ne s'avança donc qu'avec
une excessive prudence, bien convaincu qu'il allait
avoir à livrer prochainement une bataille sérieuse.