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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 7 |
Opérations des Allemands sur la rivière de l'Eure jusqu'à l'évacuation d'Evreux.
Source : L. Rolin.
Rencontres de Condé-sur-Vègre (17 octobre) et d'Orgerus (18 octobre)
Sur la rive gauche de la Seine, nous avons laissé
les petits corps de Dreux et du camp d'Hécourt en
observation devant le général de Rheinhaben, qui
se tenait en communication vers Houdan avec la
6e division de cavalerie.
Les patrouilles de ces deux
divisions ne cessaient de sillonner le pays.
Le 17 octobre, les hussards du 3e régiment, partis de
Rambouillet, allaient en reconnaissance dans la
direction de Condé-sur-Vègre, lorsqu'ils essuyèrent
dans les bois des coups de feu dont un de leurs
officiers fut atteint.
Le lendemain, les éclaireurs de
la brigade de Barby, partis
de Neauphle-le-Château,
s'avançaient jusqu'à Houdan.
Au retour de cette
reconnaissance, ils tombèrent, aux abords d'Orgerus,
dans une embuscade où fut blessé un uhlan
hanovrien.
Dès que la présence de ces cavaliers avait
été signalée à Dreux, la nouvelle y avait causé un
certain émoi; dans cette alerte le lieutenant-colonel
de Beaurepaire périt malheureusement; en voulant
observer les mouvements de l'ennemi, il tomba du
haut de la chapelle funéraire des princes d'Orléans,
et se tua dans sa chute.
Il nous faut maintenant remonter la rivière de
l'Eure, afin de suivre les événements qui s'accomplirent
à cette époque sur les confins du département
d'Eure-et-Loir, et d'embrasser ainsi l'ensemble
de la situation militaire.
A la suite de l'entreprise de
la 4e division de cavalerie
du prince Albert (père) sur
la ligne d'Orléans et de la rencontre
de Toury, le
grand quartier de Versailles résolut d'écraser le
noyau de notre armée de la Loire: il dirigea contre
Orléans
le général baron de Tann-Rathsamhausen
avec le Ie corps bavarois,
la 22e division d'infanterie
(général-lieutenant de Wittich)
et la 2e division de
cavalerie (général-lieutenant comte de Stolberg-
Wernigerode).
Parti le 8 octobre des environs
d'Etampes,
le général de Tann s'avança à travers
la Beauce sans rencontrer d'autre obstacle que la
présence de quelques corps francs, parmi lesquels il
faut citer les Partisans du Gers
(capitaine d'Asies du Faur),
qui lui opposèrent à Angerville la plus
énergique résistance.
Consulter : 09/10/1870
Combat d'Artenay (10 octobre)
Consulter : 10/10/1870
L'issue malheureuse du combat
d'Artenay (10 octobre) entraîna le lendemain la perte
d'Orléans .
Après l'occupation de cette ville, le grand
quartier général prussien avait d'abord pensé à diriger
le général de Tann
soit sur Tours , siège du gouvernement
de la défense nationale, soit sur Bourges ,
où s'étaient retirées nos troupes et où se trouvait
notre grand établissement d'artillerie; mais le général
de Tann , ayant jugé ces entreprises au-dessus
de ses forces, reçut l'autorisation de se maintenir
à Orléans avec
le Ie corps bavarois et
la division de Stolberg ,
en observation contre Bourges.
Marche du général de Wittich et du prince Albert (père) sur Chartres et Dreux
Quant aux divisions de Wittich
et prince Albert , elles reçurent
l'ordre de rejoindre l'armée d'investissement,
après avoir fait une forte reconnaissance dans l'Ouest,
en passant par Chartres
et Dreux.
Leur mouvement commença le 17.
Héroïque défense de Châteaudun (18 octobre)
Le 19, elles s'emparent des ruines
de la ville de Châteaudun , après avoir rencontré
là une héroïque résistance, dont le récit est encore
à écrire, bien qu'on en ait publié plusieurs.
Occupation de Chartres (20 octobre)
Le 20, elles continuent leur marche
sur Chartres , et elles
y entrent le lendemain sans coup férir, par suite
d'une convention conclue avec les autorités civiles.
Le 23 octobre, le général de Wittich reçut l'ordre
de suspendre sa marche sur Paris , de rester en
observation à Chartres et d'envoyer de fortes colonnes
mobiles dans la direction de Dreux.
En présence des forces considérables qui la menaçaient,
cette dernière ville avait été évacuée dans la
nuit du 21 au 22 octobre;
mais elle fut réoccupée
le 23 par les 1e et 2e compagnies de fusiliers-marins
de Cherbourg ,
le 15e régiment de mobiles du Calvados ,
les 1e et 2e bataillons du Lot-et-Garonne , le
3e bataillon de la Manche , une demi-batterie du
7e d'artillerie ,
un peloton de gendarmes et
une compagnie de francs-tireurs,
en tout environ 7000 hommes.
Ces troupes furent placées sous les ordres du
capitaine de frégate du Temple , qui prit le commandement
supérieur avec le rang de général de brigade.
Combat d'avant-postes à Chérisy
A peine installé à Dreux,
le général du Temple
fit occuper Chérisy par trois compagnies
du 1e bataillon du Calvados ,
et, le lendemain, le reste de ce
bataillon, sous les ordres du
commandant Reynaud ,
alla s'établir à la ferme de l'Épinay , en avant de la
bifurcation des routes de Chartres
et de Châteauneuf .
Dans cette position, nos troupes étaient menacées
de deux côtés à la fois: sur la droite, c'est-à-dire
sur la route de Chartres, par
le général de Wittich,
et sur la gauche, c'est-à-dire sur la route de Paris ,
par le général de Rheinbaben, qui tous deux avaient
l'ordre de se mettre en communication
à Dreux.
Le général de Rheinbaben lança à cet effet, dans
cette direction, la brigade de Barby, qui, partie le
23 octobre des environs
de Neauphle-le-Château et
de Pontchartrain, arriva le même jour
à Houdan et
poussa ses patrouilles jusque dans les villages
de Havelu,
Goussainville
et Broué, où elles essuyèrent des
coups de feu.
Dans la matinée du 24, le général de Barby,
dans le but de reconnaître
Dreux, s'avança
jusqu'à Chérisy
, qu'il trouva occupé par une
grand'garde du 1e bataillon du Calvados.
Arrivés à peu de distance du poste avancé des mobiles,
les dragons oldenbourgeois du 19e régiment
mettent pied à terre et commencent la fusillade, tandis que
les uhlans du 13e régiment hanovrien
se préparent à charger.
Les mobiles parviennent néanmoins à rallier leur réserve.
Un seul, le garde Binet, fut tué après avoir vendu
chèrement sa vie: surpris dans une maison
de Chérisy
par trois cavaliers, il refuse de se rendre; il
couche en joue l'un de ses agresseurs et le met en
fuite, mais son fusil rate et il ne lui reste que la
baïonnette dont il perce un autre adversaire; saisissant
un troisième à la gorge, il est sur le point
de l'étrangler, quand surviennent d'autres ennemis
qui le transpercent de leurs lances et fendent d'un
coup de sabre la tête de ce héros obscur.
Traversant Chérisy,
les uhlans se déploient jusqu'à la rivière
de l'Eure sous le feu des mobiles postés sur la rive
opposée; le capitaine
baron de Durant, qui commande
l'escadron ennemi, s'étant trop avancé, est
démonté ainsi que son trompette.
Après avoir passé
la journée à explorer inutilement nos avant-postes,
sans pouvoir reconnaître Dreux,
le général de Barby
se retire dans la soirée sur Houdan.
Rencontre de Marville et catastrophe des Cinq-Chênes (24 octobre)
Le même jour, le général de Wittich avait envoyé
sur la route de Chartres un premier détachement,
composé d'un bataillon, de deux escadrons et d'une
section de pionniers, sous les ordres du
major de Conring,
qui avait occupé Marville
poussant ses avant-postes jusqu'à la ferme des Yeux-Bleds.
De ce côté, une section
du 1e bataillon des mobiles du Calvados
(capitaine Le Hardy) occupait
la ferme de l'Epinay; à la tombée de la nuit, elle eut
avec l'ennemi une rencontre dans laquelle un fantassin
du 95e régiment prussien
fut tué et un autre blessé grièvement.
Environ une heure après, une fusillade autrement terrible
éclatait, non loin de là, au lieu dit les Cinq-Chênes,
et mettait en émoi la ville de Dreux.
Voici ce qui 's'était passé dans cette direction:
le général du Temple, averti de
la présence du faible détachement
qui occupait Marville,
avait conçu le projet de le surprendre
par une attaque de nuit; mais dans cette
tentative il se produisit une déplorable méprise;
arrivés à la hauteur des Cinq-Chênes, les mobiles
du 2e bataillon du Calvados
se fusillèrent et s'entretuèrent misérablement.
Une douzaine d'hommes
périrent, parmi lesquels le capitaine-adjudant-major
de Chivré, du 3e bataillon des mobiles de la Manche;
une soixantaine furent plus ou moins grièvement blessés.
A la suite de cette catastrophe, le général
du Temple se vit dans la nécessité
de se replier
derrière la rivière de l'Avre dans la nuit du 24 au 25 octobre.
Occupation de Dreux (25 octobre)
Le 25, les uhlans se montrèrent vers onze heures du matin sur la route de Chartres, et, quelques heures après, la ville de Dreux fut occupée par une fraction de la cavalerie de la 6e division, sous les ordres du général-major de Schmidt, avec le 95e régiment d'infanterie, un détachement de pionniers et deux batteries d'artillerie.
Reconnaissance des Prussiens sur Anet (26 octobre)
Le 26, malgré un temps
pluvieux, le général de Schmidt
laissa Dreux sous la
garde d'une partie de ses forces, et partit lui-même
à la tête d'un détachement de toutes armes dans la
direction d'Anet, où il
devait se mettre en communication
avec la cavalerie de la brigade de Redern qui
occupait Mantes.
Mais cette brigade ayant devant elle,
à Vernon et
à Pacy , des forces respectables,
ne pouvait pas découvrir son flanc droit, et elle se contenta
d'envoyer ses patrouilles jusqu'à Gilles.
Quant au général
de Schmidt, il fouilla la forêt
de Dreux et
s'avança, jusqu'à Anet,
essuyant quelques coups de
feu à Marcilly-sur-Eure;
puis, après avoir fait reconnaître Ivry-la-Bataille,
et envoyé dans la direction
de Houdan des patrouilles
qui furent reçues à coups
de fusil par les francs-tireurs et les gardes nationaux
du pays, il revint
à Dreux dans la soirée.
Tandis qu'il s'était avancé sur Anet,
ses pionniers avaient coupé
la voie ferrée à Saint-Remi-sur-Avre,
ce qui dénotait de sa part des intentions purement défensives.
Il ne tarda pas, en effet, à se replier
sur Chartres,
et, en s'éveillant le 28 octobre, les habitants de
Dreux furent étonnés
de se voir débarrassés de sa présence.
Le motif de cette retraite fut bientôt
connu: le général du Temple, qui,
à la suite de l'affaire du 24 octobre, s'était retiré
sur Saint-André
avec son corps de mobiles et de marins, était venu
camper le 27 à Louye,
au Mesnil et
à Saint-Germain,
sur la rive gauche de l'Avre.
En outre, une
concentration de troupes françaises s'opérait également
vers Senonches, et
le général de Schmidt avait
jugé prudent de se rapprocher
de Chartres et de
prendre position à Theuvy et aux environs.
Il resta là, en observation
sur Châteauneuf
et Courville,
jusqu'à ce qu'il fût rappelé à
Chartres,
la division de Wittich
ayant reçu l'ordre d'appuyer le général
de Tann, auquel nos préparatifs
sur la Loire avaient donné l'éveil.
Le général du Temple, de son
côté, ayant dû se
concentrer sur Verneuil et
la forêt de Senonches
dans les derniers jours d'octobre, la ville
de Dreux,
après le départ des Prussiens et l'éloignement des
troupes françaises, se vit abandonnée aux visites
alternatives ou simultanées des patrouilles ennemies
et des corps francs.
Depuis la fin d'octobre jusqu'à la
mi-novembre, il n'y a donc aucun fait important à
signaler sur la rive gauche de la Seine; chaque jour,
cependant, nos reconnaissances rencontrent celles
de l'ennemi, et il en résulte de légers engagements
où nos fantassins ont l'avantage: les francs-tireurs
dressent, sur toute la ligne de l'Eure et dans les environs
de Dreux,
des embuscades dans lesquelles les éclaireurs du
général de Rheinbaben
ou du général
de Schmidt viennent donner
de confiance et que nous allons énumérer sommairement.
Le 31 octobre, une patrouille des uhlans hanovriens
de la brigade de Barby, partie
de Houdan
sous la conduite du
lieutenant de Treskow, s'aventura
jusqu'aux environs
d'Anet et
d'Ivry-la-Bataille;
elle fut poursuivie par
les francs-tireurs du Puy-de-Dôme
(capitaine Bezelgues),
auxquels s'étaient joints des gardes nationaux du pays,
et elle parvint à grand'peine
à s'échapper en laissant entre leurs mains un
prisonnier dans cette rencontre, les uhlans eurent
en outre 'un homme et plusieurs chevaux tués ou blessés.
Rencontre et incendie de Bréval
Le même jour, une douzaine
de hussards du 11e régiment,
appartenant à la brigade de Redern,
qui occupait
Mantes et les environs, furent envoyés
du Breuil en réquisition
à Bréval.
Assis la bride au bras
dans les rues du village, ces cavaliers attendaient sans
défiance la livraison des fournitures qu'ils avaient
réclamées, lorsqu'ils essuyèrent une vive fusillade
partie de la grille d'une habitation voisine.
C'était
une compagnie
du 3e bataillon de la mobile de l'Eure
(lieutenant Villette), qui,
en reconnaissance dans ces
parages, avait été avertie de la présence des fourrageurs,
s'était glissée à travers le bois et avait réussi
à les surprendre: dans cette affaire, deux hussards
furent tués et deux autres, dont un sous-officier,
mis hors de combat et faits prisonniers; il y eut, en
outre, plusieurs chevaux tués, blessés ou capturés.
Après ce coup de main, les mobiles regagnèrent
leurs cantonnements, et les habitants
de Bréval se
virent abandonnés sans défense aux représailles de
l'ennemi.
Elles ne se firent pas attendre: le soir
même, les Prussiens revinrent en force; sous prétexte
que l'officier qui commandait les mobiles était
vêtu en bourgeois, ce qui n'était vrai que pour leur
guide, et que les fusils avaient été chargés avec du
plomb de chasse, ce qui était complétement faux, ils
mirent le feu à plusieurs maisons, et ils recommencèrent
le lendemain leur oeuvre incendiaire, après
avoir chassé les habitants de leurs demeures et les
avoir fait cerner par un cordon de troupes en dehors
du village.
A la même date, le détachement qui couvrait la
forêt de Bizy
repoussait également
les éclaireurs de la brigade de Redern,
venus de Mantes.
Embuscade a Bonnières (31 octobre)
La 3e compagnie du 1e bataillon de l'Eure
(lieutenant Bourrey),
embusquée dans les bois qui
dominent Bonnières,
surprenait une reconnaissance du 10e hussards,
lui tuait un cavalier et regagnait son campement
du Petit-Val, emmenant trois prisonniers et leurs
chevaux.
Rencontre de Boissy-Mauvoisin (3 novembre)
Quelques jours plus tard, le
colonel Mocquard,
ayant repris le campement du
bois d'Hécourt, résolut
de déloger les Prussiens
de Mantes au moyen d'un
coup de main; il forma ses troupes en trois colonnes
de 1200 à 1500 hommes chacune, et il se mit en
marche, le 3 novembre, avec l'intention de tenter
une surprise la nuit suivante;
mais, après avoir eu
à Boissy-Mauvoisin et
à Ménerville de courts engagements,
dans lesquels deux hussards prussiens furent
tués et un troisième blessé, le général
de Redern
évacua Mantes à notre approche;
il se retira
dans la direction de Vert,
laissant un détachement
avec son artillerie sur les hauteurs
de Magnanville et
menaçant de bombarder Mantes
si les nôtres continuaient
leur mouvement.
Dès lors, le colonel Mocquard
qui ne possédait pas un canon, se vit forcé de
renoncer à son expédition et de regagner ses cantonnements.
A Dreux,
les patrouilles du
général de Schmidt faisaient
de fréquentes apparitions, et les francs-tireurs
ne leur ménagaient pas non plus les embuscades,
qu'ils dressaient aux portes mêmes de la ville.
Le 31
octobre, sur la route de Nogent , une patrouille des
uhlans de Zieten
perdit trois hommes dont un prisonnier,
et, le 5 novembre, au même endroit, une nouvelle
patrouille du même régiment eut un uhlan tué
et un autre mortellement blessé.
Rencontre de Boncourt (7 novembre)
Le 7 novembre, un petit nombre de uhlans hanovriens,
conduits par le premier lieutenant prince
Alfred d'Isenbourg, se présentèrent aux
portes d'Anet.
Leur exploration terminée, ces cavaliers reprenaient
le chemin de Houdan, quand, sur le territoire
de Boncourt,
ils essuyèrent la fusillade de la 4e compagnie
du 2e bataillon de l'Ardèche
(capitaine de Miravat).
Deux uhlans blessés, dont un mortellement, restèrent
avec leurs chevaux entre les mains des mobiles.
Le 11 novembre, la garnison de Mantes envoie un
fort détachement de réquisition à Bonnières.
Vers
10 heures du matin, 300 Allemands entrent dans la
ville et canonnent sans résultat les mobiles qu'ils aperçoivent
sur les hauteurs.
Un feu de peloton des
francs-tireurs de l'Eure
(capitaine Lortie) blesse un
fantassin bavarois et met en fuite le reste du détachement.
Le même jour, à Dreux,
des francs-tireurs de Laigle et
de Mortagne, embusqués dans la gare, y
surprennent une douzaine de cuirassiers du 6e régiment
prussien, dont trois sont tués, un quatrième
blessé et un cinquième fait prisonnier.
La ville de
Dreux s'attendait
à des représailles pour ce dernier
coup de main; mais elle en fut préservée par la présence
de forces françaises assez considérables, qui
avaient été concentrées aux environs
de Verneuil et
de Senonches.
La municipalité demanda du secours
au général du Temple,
qui fut autorisé à occuper la ville.
Parti de Verneuil, il fit sa rentrée
à Dreux le
13 novembre à la tête des forces suivantes:
le 3e bataillon
des fusiliers-marins de Cherbourg, placé sous
les ordres du lieutenant de vaisseau Picot;
le régiment
de la garde mobile du Calvados (commandant
de Labarthe);
les 2e et 3e bataillons de la Manche,
un demi-escadron de chasseurs, un peloton de
gendarmes, quelques francs-tireurs, en tout, 6 à
7000 hommes avec une batterie de pièces de 4.
La brigade de Barby, qui, depuis le 23 octobre,
n'avait cessé d'occuper Houdan,
avait des grand'gardes
à Goussainville,
Saint-Lubin
et Gressey, observant
ainsi la vallée de l'Eure et envoyant fréquemment
des patrouilles dans la direction
de Dreux.
Rencontres de Bu, de la Belle-Côte, de Boissy-Mauvoisin et de Gilles (14 novembre)
Dans la matinée du 14 novembre, quatre uhlans hanovriens,
s'étant présentés aux environs
de Bu, reçurent
une décharge
des francs-tireurs de la Gironde
(commandant Dutrénit) et
des gardes nationaux du
pays; deux de ces cavaliers furent tués et un troisième
blessé; un seul put s'échapper
vers Goussainville
d'où la patrouille était partie.
Vers onze heures,
les uhlans revinrent en force avec deux pièces d'artillerie,
lancèrent quelques obus sur le village et
incendièrent une maison.
Mais le général du Temple
avait été prévenu à temps: deux compagnies de
marins et trois bataillons de mobiles, appuyés par
une section d'artillerie, marchèrent
sur Bu et débouchèrent
vers trois heures de la forêt
de Dreux.
Les marins, la baïonnette baissée, s'élancèrent aussitôt
dans le village où étaient restés quelques uhlans;
mais ces derniers ne les attendirent pas; ils s'enfuirent
à toute bride pour rejoindre leur escadron
qui était resté en observation, et qui disparut bientôt
à son tour, après avoir essuyé une vingtaine de coups
de canon.
La vue de nos marins et le bruit de notre artillerie
qu'il entendait pour la première fois firent croire au
général de Rheinbaben
qu'il allait être attaqué sur le champ;
il s'empressa d'évacuer Houdan
pour se retirer
vers Gressey, et
il télégraphia le soir même au
grand quartier de Versailles
qu'il avait rencontré, en
position entre Dreux
et Bu, des masses de troupes de
toutes armes qui paraissaient avancer sur
Houdan.
Dans cette même journée, des coups de feu avaient été
échangés à Rosny,
à la Belle-Côte,
à Boissy-Mauvoisin
et à Gilles
entre les éclaireurs de
la brigade de Redern,
venus de Mantes,
et les francs-tireurs ou les mobiles;
dans ces diverses escarmouches, les hussards des 10e
et 11e régiments avaient eu trois ou quatre hommes
tués, blessés ou prisonniers.
Les Prussiens s'imaginèrent qu'ils avaient enfin
trouvé l'armée de la Loire qu'ils cherchaient depuis
Coulmiers;
ils supposèrent, en outre, que les troupes
du général Fiéreck et celles
du général Briand avaient
bien pu se réunir à cette armée pour former son aile
gauche ou son avant-garde et frapper avec elle un
grand coup dans la direction
de Versailles.
Les deux hypothèses étaient admissibles, dit un officier supérieur
du grand état-major prussien, qui prêtait à nos
stratégistes d'alors des conceptions dont ils étaient
malheureusement incapables.
Et cependant c'était bien là le point faible et le
défaut de la cuirasse allemande.
Les positions occupées
par nos corps de la vallée de l'Eure se trouvaient
à une distance moyenne de soixante kilomètres
de Versailles.
Salbris et
Blois, choisis comme
points de concentration pour l'armée destinée à débloquer
la capitale, en étaient éloignés de sept à huit
étapes et, après la reprise
d'Orléans,
on en était encore à cinq journées de marche.
En laissant notre
15e corps sur
la Loire avec la mission d'occuper le
grand-duc de Mecklembourg,
on pouvait concentrer
sur la ligne de l'Eure le 16e corps
et les noyaux qui
ont servi plus tard à former les autres, les meilleurs
éléments de la région de l'Ouest, et l'armée du Nord,
qui allait bientôt s'affirmer d'une façon sérieuse; puis,
au moyen des chemins de fer d'Amiens,
du Havre,
de Cherbourg et de
Granville, on pouvait jeter sans
peine, sur la ligne de Vernon
à Pacy-sur-Eure et à
Dreux,
une armée de combat de plus de cent mille
hommes, facilement ravitaillable, ayant son aile gauche
appuyée à la Seine, et n'étant plus menacée en
flanc par la marche
du prince Frédéric-Chartes .
C'était le moyen le plus simple, le plus expéditif et
peut-être le meilleur pour réunir nos forces en un
seul faisceau.
En choisissant cette base d'opération, on menaçait
directement le grand quartier général et le parc de
siége allemands; en deux étapes, ce qui est à considérer
avec des troupes jeunes et peu propres aux entreprises
de longue haleine on engageait l'action décisive
sous les murs de Versailles ,
du côté même où
l'armée de Paris ,
protégée par la boucle de la Seine
et les feux du Mont-Valérien,
avait le plus de facilités
pour opérer une grande sortie, et où elle l'opéra plus
tard dans de tout autres conditions, lorsqu'elle tenta
son dernier et suprême effort.
Une marche avec un
objectif si rapproché, une bataille livrée dans de telles
conditions, à la suite du succès
de Coulmiers , dont la
nouvelle arrivait alors à Paris
et réchauffait tous les
courages, auraient donné à l'armée de secours et à
l'armée assiégée un élan irrésistible, et auraient forcé
les Allemands à lâcher prise devant la capitale.
En admettant, d'ailleurs, que cette tentative eût échoué,
rien ne pouvait nous arriver de pire que ce qui nous
attendait plus tard.
C'était peut-être, la fortune aidant, l'unique chance
qui nous restait.
Les Allemands craignaient cette combinaison,
et l'officier supérieur du grand état-major
prussien que nous avons cité plus haut, avoue qu'à
cette époque une attaque par l'ouest avait les plus
grandes chances de réussite: So hatte die feindliche
Offensive die grösste Aussicht auf Erfolg, wenn sie von
Western her gegen die Cenirungs-Armee geführt wurde.
A la suite de la rencontre de Bu,
le général du Temple avait
annoncé au ministre de la guerre qu'il
avait le dessein de se jeter à corps perdu dans la
forêt de Rambouillet
et de tenter de pénétrer jusqu'à
Versailles;
sa dépêche partit
de Dreux le 15 à quatre
heures du soir; mais, pour toute réponse, il reçut à
minuit l'ordre d'expédier
à Vendôme la seule batterie
d'artillerie qu'il possédait.
Quoi qu'il en soit, la présence
de nos troupes aux environs
de Houdan avait
vivement éveillé l'attention de l'ennemi qui, depuis
quelque temps, se creusait la tête pour deviner les
projets que nous aurions pu avoir;
aussi, dans la nuit
du 14 au 15, l'armée de la Meuse
reçut l'ordre d'envoyer
sur la rive gauche de la Seine des bataillons
de la landwehr de la garde rendus libres depuis la
chute de Strasbourg, de manière à renforcer d'au
moins une brigade l'infanterie attachée à la division
de Rheinbaben.
Marche du grand-duc de Mecklembourg sur Chartres et Dreux
En ce moment, le général d'infanterie grand-duc
de Mecklembourg-Schwerin, qui,
après Coulmiers,
avait remplacé le général de Tann,
faisait une forte
reconnaissance dans l'Ouest, en attendant
le prince Frédéric-Charles
qui arrivait à marches forcées.
Battant
l'estrade et tâtonnant de tous côtés, cherchant
l'armée de la Loire là où elle n'était pas, il avait
fouillé le pays jusqu'à Chartres
prêt à remonter vers
Dreux ou à se rabattre
sur Orléans; tout à coup le
15 novembre il reçut de Versailles
l'ordre de diriger la 17e division
sur Rambouillet,
pendant que le
Ie corps bavarois se porterait
sur Auneau.
Une dépêche
du même jour plaçait sous ses ordres le général
de Rheinbaben.
Ce mouvement sur Rambouillet
et sur Auneau
prouve que les Allemands avaient pris
pour l'avant-garde d'une armée de secours le petit
corps qui occupait Dreux,
et que, malgré leurs
espions et leur nombreuse cavalerie, ils n'étaient pas
toujours très bien renseignés.
En réalité, notre ministre de la guerre, au lieu de
songer à enlever le quartier général
de Versailles,
était bien plus préoccupé de couvrir le siége de la
délégation de province; c'est pour ce motif qu'il avait
formé lui-même ce long cordon de troupes qui garnissaient
le Perche et la Beauce, et que ces divers
corps échelonnés jusqu'à Dreux,
sur leur gauche, recevaient
de Tours des ordres directs,
n'étaient aucunement
reliés entre eux et ignoraient même leur
existence réciproque.
Lorsque les Allemands virent
que nos forces concentrées aux environs
de Dreux
ne continuaient pas leur mouvement en avant, ils
résolurent d'aller les attaquer; car ils n'avaient pas
oublié une des maximes de guerre du grand Frédéric,
maxime à laquelle les débuts de la campagne n'avaient
que trop donné raison.
Ils savaient que c'est à l'offensive
qu'appartient la victoire:
Dass in der Offensive der entscheidende Sieg liegt
;c'est le grand enseignement
qu'ils ont tiré une fois de plus de la dernière
guerre.
Le 16 novembre, la 17e division
se porte de Rambouillet
à Maintenon, pour marcher de là
sur Dreux,
de concert avec
la 5e division de cavalerie qui a été
renforcée par
une brigade de la landwehr de la garde;
tandis que la 22e division,
le 1e corps bavarois et la
6e division de cavalerie
reçoivent l'ordre de s'avancer le lendemain dans la direction
de Châteauneuf.
Dans
la journée du 16 novembre, les troupes du grand-duc
Mecklembourg se trouvent donc échelonnées entre
Chartres
et Maintenon;
le grand-duc a son quartier
général à Épernon,
et il l'établira le lendemain
à Nogent-le-Roi.
C'est à la même date que le lieutenant
général de Treskow,
aide de camp du roi de Prusse et chef de
son cabinet militaire, vint prendre
à Maintenon le
commandement de la 17e division
qui occupait cette ville, avec son avant-garde et sa cavalerie
à Nogent-le-Roi.
Dans l'après-midi du 16, une patrouille de nos
chasseurs d'Afrique
(sous-lieutenant Marochetti),
partie de Dreux,
rencontra les premiers éclaireurs
du grand-duc aux environs de Villemeux,
sur la route
de Nogent-le-Roi;
c'étaient des cavaliers
du 11e régiment de uhlans,
qui furent poursuivis jusqu'au delà
de Chaudon;
mais on était encore loin de s'attendre
à une attaque prochaine.
En l'absence de toute
cavalerie, ou d'une cavalerie suffisante pour s'éclairer,
nos chefs militaires en étaient réduits aux rapports
des populations ou des autorités civiles, lesquelles
n'étaient que trop portées à exagérer les forces
ennemies et à annoncer la présence d'un corps d'armée
là où il n'y avait qu'un bataillon; en sorte que,
pour ne pas tenir les troupes dans des alertes perpétuelles,
on en était arrivé à ne plus croire que ses
yeux.
Les forces dont le
général du Temple disposait
pour la défense de Dreux,
consistaient, comme on l'a
vu plus haut, en un bataillon de marins et cinq bataillons
de mobiles, un petit nombre de chasseurs à
cheval, gendarmes et francs-tireurs, en tout moins
de 7000 hommes sans artillerie.
Dans la journée du 17 novembre, ces troupes furent réparties,
de la gauche à la droite, dans les positions suivantes:
à Abondant,
le 2e bataillon de la mobile de la Manche;
de Chérisy
à la route de Nogent-le-Roi, en arrière
du Luat-Clairet,
le 1e bataillon du Calvados, ayant
en avant de lui, à Sainte-Gemme,
une compagnie de fusiliers-marins;
aux hameaux du Luat et
de Nuisement,
le 3e bataillon de la Manche,
appuyé à sa droite vers la route de Chartres
par deux compagnies de fusiliers-marins;
de la route de Chartres à la petite
rivière de la Blaise, en avant
de Vernouillet,
le 3e bataillon du Calvados;
en seconde ligne, à Dreux,
le 2e bataillon du même département.
A la droite du général du Temple
se trouvaient: à Garnay, sur la
rive gauche de la Blaise, le 4e bataillon de la mobile
d'Eure-et-Loir et le 2e
à Tréon sur la rive droite de
la même rivière.
On doit noter toutefois que ces deux
derniers bataillons n'appartenaient pas au corps de
Dreux; ils faisaient partie
de celui qui était établi à
plusieurs lieues plus loin,
vers Châteauneuf
et Senonches,
sous les ordres
du lieutenant-colonel Marty.
Pour ne nous occuper que du corps
du général du Temple,
on voit qu'il était déployé
d'Abondant à
Vernouillet,
s'appuyant par sa gauche à la forêt de
Dreux et par sa droite à la
rivière de la Blaise , couvrant
à la fois les routes de Paris
et de Chartres.
On sait qu'il devait être attaqué simultanément par ces
deux routes, puisque les
généraux de Treskow et
de Rheinbaben
avaient reçu l'ordre d'agir de concert
contre Dreux.
Pour la durée de ce mouvement, le
premier disposait de treize bataillons, de neuf escadrons
et de six batteries, en tout treize à quatorze
mille hommes et trente-six canons; le second avait
sous ses ordres neuf bataillons, trente-six escadrons
et quatre batteries, total une douzaine de mille hommes
et vingt-quatre pièces d'artillerie.
Le 17 novembre, à neuf heures du matin, le général
de Treskow arrive
de Maintenon
à Nogent-le-Roi
avec le gros de sa division.
Il lance aussitôt son
avant-garde sur Dreux,
en longeant la rive gauche
de l'Eure, et envoie en même temps une patrouille
sur la rive droite de cette rivière, pour se mettre en
communication avec
la 5e division de cavalerie et la
landwehr de la garde.
Depuis son départ de Maintenon,
un escadron de hussards flanque sa marche sur
sa gauche, passant par Néron,
Ormoy,
le Boullay-Mivoye,
et se portant, par Marville,
dans la direction
du hameau d'Imbermais.
Le général ennemi paraît
d'abord avoir l'intention de passer la rivière de l'Eure
entre Villemeux
et Ecluzelles, pour donner la main
au général de Rheinbaben;
mais en présence de la
difficulté et du danger qu'il y aurait à franchir cette
étroite vallée si près de nos cantonnements, il renonce
à ce projet.
C'est pourquoi il fait appuyer sur
sa gauche le gros de sa division, pour gagner la route
de Dreux à
Chartres,
en se dirigeant de Chaudon sur
Marville.
Vers une heure et demie, il occupe les positions
suivantes: son avant-garde est
à Charpont, et
le gros de sa division un peu au nord
de Marville; un
de ses bataillons
occupe Blainville et sa brigade de
cavalerie se tient au sud de ce village.
Tandis que le général prussien prenait ces dispositions,
on ignorait à Dreux sa
présence aussi rapprochée,
bien qu'à ce moment quelques coups de
feu eussent déjà été tirés par nos avant-postes sur
une patrouille de uhlans aux environs de l'église de
Luray.
Sur des avis annonçant l'arrivée de l'ennemi
à Nogent-le-Roi,
le général du Temple s'était contenté
de doubler les grand'gardes et de faire occuper
le Luat
et les petits bois de Vernouillet
par des compagnies
de fusiliers-marins.
Le reste de ses troupes
s'occupait de distributions ou s'apprêtait pour des
manoeuvres, lorsque, vers deux heures, la fusillade
se fit entendre sur les hauteurs
de Rieuville.
Bientôt
la canonnade éclata dans la même direction, et,
comme les nôtres n'avaient pas d'artillerie, il devenait
évident que nos avant-postes étaient attaqués.
Aux
premiers coups de feu, le général du Temple s'était
porté à environ un kilomètre
de Dreux, à l'embranchement
des routes de Chartres et
de Châteauneuf,
où se trouvaient deux compagnies de marins (lieutenants
de vaisseau Servan
et Lemercier-Moussaux);
il vit tout de suite qu'il avait affaire à des forces considérables,
et ses troupes furent aussitôt réparties
dans les positions que nous avons précédemment indiquées.
Combats d'Imbermais, de Dreux et de Berchéres-sur-Vègre
Voici ce qui s'était passé sur la route
de Chartres,
où se trouvait le gros de la 17e division,
sous les ordres
du général-major de Kottwitz.
Les premiers
éclaireurs ennemis venus pour fouiller le pays, ayant
essuyé des coups de feu sur la lisière du bois de
Chambléan
s'étaient aussitôt repliés sur Blainville;
peu après, une batterie à cheval, appuyée par deux
escadrons du 11e uhlans, sous les
ordres du colonel
comte de Solms-Wildenfels,
prenait position dans
la plaine et couvrait d'obus le hameau et les bois de
Chambléan; en même
temps deux compagnies du
89e régiment de grenadiers mecklembourgeois,
parties de Marville, pénétraient
dans Imbermais, après
avoir contourné ce hameau à l'est et au sud.
C'étaient les deux bataillons isolés, placés à la droite du général
du Temple,
qui allaient essuyer le premier choc.
Le commandant Bréqueville,
du 2e bataillon d'Eure-et-
Loir, cantonné à Tréon
et au hameau de Fort-Ile,
avait rassemblé à la hâte ses compagnies et était parti
à leur tête, avec l'intention de
cerner à Imbermais
le faible détachement dont la présence lui avait été
signalée; mais, dans le même moment, le lieutenant-colonel
de Boehn, à la
tête du bataillon de fusiliers
du 76e régiment hanséatique,
s'y dirigeait de son
côté; et lorsque les mobiles débouchèrent des bois
sur un front peu étendu et par un mauvais chemin de
traverse, leur tête de colonne fut accueillie par une
fusillade meurtrière partie des murs crénelés d'une
ferme d'où les Mecklembourgeois tiraient à l'abri.
Les nôtres se rejetèrent aussitôt sur la lisière des
bois et, bien que surpris par cette attaque, ils ripostèrent
énergiquement mais, au bout d'un quart
d'heure, les renforts du
lieutenant-colonel de Boehn
entrèrent en ligne, et les mobiles, ayant perdu leur
chef de bataillon, furent forcés d'abandonner le
terrain.
Dans ce court engagement, la compagnie
d'Eure-et-Loir, qui formait l'avant-garde et qui seule
avait pu se déployer, eut douze hommes tués et sept
blessés.
Les autres compagnies furent ralliées, ramenées
à Tréon, et prirent position sur la rive gauche
de la Blaise sans être inquiétées par l'ennemi,
qui, ayant atteint son but, se rabattit sur sa droite
pour continuer à fouiller le terrain.
Le bois de Chambléan était occupé par une compagnie
du 4e bataillon d'Eure-et-Loir (commandant
de Castillon de Saint-Victor); pour l'en déloger,
l'ennemi fit avancer une batterie, et les obus forcèrent
bientôt les nôtres à repasser la Blaise, dans la
direction de Garnay, vivement poursuivis par le lieutenant-
colonel de Boehn, qui occupa le défilé.
Une autre compagnie du même bataillon, établie
de grand'garde dans le bois des Cinq-Chênes, essaya
de s'y maintenir malgré la disproportion du nombre
mais le major de Koppelow, avec un demi-bataillon
du 89e, s'avança sous la protection d'une batterie
par la ferme des Yeux-Bleds sur l'Epinay, et,
retranchés derrière les murs crénélés de ce hameau,
les grenadiers mecklembourgeois refoulèrent les
mobiles sur la route de Châteauneuf et le bois de
Marmousse.
De cette nouvelle position, les nôtres
dirigèrent encore sur l'ennemi, qui débouchait de
l'Epinay, une fusillade soutenue; mais, assaillis de
nouveau par les obus ils se virent bientôt contraints
d'abandonner ces bois à l'ennemi.
Dans ces divers
engagements, les 2e et 4e bataillons d'Eure-et-Loir
avaient eu dix-huit hommes tués, dont deux officiers,
le commandant Bréqueville et le
capitaine Roche,
dix-sept blessés et huit prisonniers ou disparus.
Tandis que sur notre droite les mobiles d'Eure-et-Loir
étaient ainsi rejetés au delà de la Blaise, le colonel
de Manteuffel, à la tête de l'avant-garde, s'était
avancé sur notre gauche de Charpont jusqu'au village
de Luray, qu'il trouva dégarni; vers trois heures
de l'après-midi, il faisait attaquer le Luat-Clairet par
le major de Gaza, commandant le 14e bataillon de
chasseurs mecklembourgeois.
Le Luat n'était que
faiblement gardé par une compagnie du 3e bataillon
de la Manche, renforcée au début de l'action par
une autre compagnie du même bataillon.
Après une
courte mais vive résistance, les mobiles de la Manche
durent abandonner le Luat pour occuper en arrière
les bois de la Garenne, qui offraient une position plus
avantageuse, et où se trouvait une partie du 1e bataillon
du Calvados.
Presque aussitôt deux batteries,
placées sur les hauteurs qui s'élèvent au sud du Luat,
couvrent ces bois de leurs projectiles, et les mobiles
sont encore une fois dans la nécessité de céder cette
nouvelle position à l'ennemi.
Le 1e bataillon du 90e régiment mecklembourgeois
pousse alors une pointe sur
le hameau de Sainte-Gemme, mais bientôt il se replie
devant l'énergique résistance des marins qui défendent
ce point, et qui ne l'évacuent que sous le feu
d'une nouvelle batterie vomissant ses obus des hauteurs
du village de Saint-Denis-de-MoronvaI.
Pendant cette attaque du colonel de Manteuffel et
de-l'avant-garde sur notre gauche, le gros de la division
ennemie portait son principal effort contre notre
centre, à Nuisement et à Rieuville.
Le hameau de Nuisement, ainsi qu'on l'a dit plus haut, était occupé
par le reste du 3e bataillon de la Manche, qui s'étendait
par sa droite jusqu'à la route de Chartres, où il était
appuyé par les deux compagnies de marins postées
là dès le début de l'action.
C'est sur ce point que se concentre la résistance.
Sur l'ordre du général de Treskow,
un bataillon du 89e régiment de grenadiers
mecklembourgeois, couvert par une longue ligne de
tirailleurs, s'avance pour attaquer Nuisement; à cette
vue, les braves marins de l'équipage de "la Gauloise"
veulent s'élancer à la baïonnette;
mais chaque
fois qu'ils essayent de déboucher de leurs positions,
une grêle d'obus les force à y rentrer.
Croyant avoir
aperçu nos cavaliers dans la direction du Luat, le
général prussien y lance aussitôt sa brigade de cavalerie
protégé par le feu de son artillerie, le major
de Zeuner,
à la tête du bataillon mecklembourgeois
du 89e, continue sa marche sur les plantations qui
s'étendent au sud-est de Nuisement;
déjà ses tirailleurs,
derrière lesquels s'avancent des compagnies
serrées en masse, vont atteindre le hameau; nos
marins, qui ne tirent plus, les laissent s'approcher
jusqu'à la lisière des jardins et les reçoivent tout à
coup par une décharge meurtrière qui éclaircit les
rangs ennemis; mais d'autres tirailleurs se détachent
des réserves et ne tardent pas à remplacer
ceux qui sont mis hors de combat.
Les mobiles du 3e bataillon de la Manche,
bien qu'armés de mauvais
fusils à piston, n'en soutiennent pas moins énergiquement
la lutte; et le
capitaine de Mons, qui leur
donne l'exemple, tombe à leur tête mortellement
frappé.
Menacés d'être enfermés dans ce cercle de
feu qui va se rétrécissant, nos soldats, après avoir
tenu quelque temps l'ennemi en échec, évacuent
Nuisement et se replient
au nord dans la direction
de Rieuville, poursuivis
par les volées de l'artillerie et menacés sur leur gauche par les chasseurs
qui débouchent du Luat.
Notre centre étant ainsi refoulé, le
général de Treskow s'avance avec le
gros de ses forces par la route
de Chartres, ayant
à sa gauche son infanterie serrée en masse, à
sa droite et à la même hauteur son artillerie.
Cependant le général du Temple avait appelé à lui
deux autres compagnies de fusiliers, conduites par
le lieutenant de vaisseau Picot;
nos marins s'embusquent
dans un petit bois qui borde la route de
Chartres, un peu en arrière
de Nuisement; sur l'ordre
de leur; chefs, ils laissent approcher, sans tirer,
les premiers cavaliers ennemis;
le commandant du
2e bataillon du 89e régiment mecklembourgeois, qui
forme la tête de colonne, croit ces bois inoccupés
et marche d'assurance;
mais, arrivé à environ deux
cents pas, il s'aperçoit de sa méprise, et, se retournant
vers sa troupe, il fait commencer le feu;
nos marins y répondent par une décharge meurtrière
tous les Mecklembourgeois tourbillonnent et tombent
les uns sont mortellement atteints et mordent
la poussière;
la chute des autres n'est qu'une ruse
ils attendent, pour se relever, que leur artillerie les
ait dégagés.
L'aplomb de ces trois ou quatre cents
hommes qui attendent de pied ferme le gros d'une
division frappe l'ennemi d'étonnement; le général
de Treskow voit bien
qu'il a affaire à des troupes solides
et bien commandées:
Dass man es hier mit einer tüchtigen
und gut geführten Truppe zu thun habe.
Pour vaincre leur résistance, il fait avancer
deux batteries et couvre le bois de projectiles; pendant
vingt minutes, nos marins combattent sous
une véritable pluie de fer et de plomb.
Heureusement
ce tir, mal dirigé, passe au-dessus de leurs
têtes, et le général du Temple,
qui est à cheval au
premier rang, essuie, sans être atteint, plusieurs
coups de mitraille.
Sur notre gauche, une autre
batterie établie près de Nuisement
canonne à outrance
nos troupes en retraite sur Rieuville.
C'est en vain que de ce côté le
commandant de Labarthe, de
la garde mobile du Calvados,
essaye, par un retour
offensif, de regagner le terrain perdu; c'est en vain
que nos énergiques marins, auxquels leurs chefs
donnent l'exemple, veulent prolonger la lutte malgré
les pertes sérieuses qu'ils ont subies; le
général de Malherbe,
accouru de Nonancourt
au bruit du canon, juge la résistance désormais impossible,
et donne le signal de la retraite.
Il est quatre heures et demie;
c'est assez d'avoir tenu en échec pendant plus de
deux heures des forces doubles des nôtres et une
nombreuse artillerie, à laquelle nous n'avons à opposer
que de mauvais fusils.
Nos troupes se rallient
sur le talus du chemin de fer et se replient sur Nonancourt,
pendant que l'ennemi se masse sur les hauteurs
de Rieuville .
Le général du Temple
forme l'arrièregarde
avec son bataillon de fusiliers-marins, qu'il est
forcé d'arracher au combat la contenance de cette
belle troupe en impose tellement à l'ennemi, qu'il
n'ose la poursuivre ni même la suivre, et se borne
à saluer son départ par des hurrahs de triomphe.
Le général de Treskow
paraît si impressionné, qu'il ne veut pas faire son entrée
à Dreux avant de s'être
assuré de sa complète évacuation par nos soldats.
Il fait mander le maire à l'entrée de la ville, et quand,
sous la menace d'un bombardement, il a obtenu de
lui l'assurance que le dernier des défenseurs en est
parti, il la fait occuper par son avant-garde, attendant
la nuit pour y entrer lui-même.
Dans cette journée, les pertes de l'ennemi, constatées
par nos propres ambulances, furent de sept tués
et de quarante-huit blessés, appartenant, pour la
plupart, au 89e régiment mecklembourgeois
qui avait essuyé le feu de nos marins.
Nos troupes, en y
comprenant les mobiles d'Eure-et-Loir, comptèrent
trente-quatre tués, dont trois officiers, et une soixantaine
de blessures sérieuses.
L'ennemi ne nous fit que
quelques rares prisonniers, et, pour en grossir le
nombre, il enleva dans nos hôpitaux une vingtaine
de convalescents précédemment blessés
à Epernon
à Chérisy
et dans la catastrophe des Cinq-Chênes.
Si le général du Temple
put soutenir pendant plus
de deux heures une lutte aussi disproportionnée, et
si le général de Malherbe
put opérer sans encombre
sa retraite sur Nonancourt ,
ils le durent principalement
à une circonstance tout à fait fortuite qui se
produisit sur leur gauche au moment même du combat
de Dreux, et
qui empêcha le général de Rheinbaben
d'y prendre part.
Notre corps d'observation de la vallée de l'Eure se
composait, à la date du 17 novembre, des régiments
de la mobile de l'Ardèche et de l'Eure,
du 6e bataillon de la Loire-Inférieure,
des éclaireurs de Normandie
et des francs-tireurs de l'Eure, du Puy-de-Dôme
et de Seine-et-Oise, en tout sept à huit mille hommes
récemment armés de fusils Snider ou Chassepot; il
était placé depuis quelques jours sous les ordres du
lieutenant-colonel Thomas,
de la mobile de l'Ardèche,
lequel avait remplacé le colonel Mocquard,
retourné avec son régiment sur la rive droite de la
Seine.
Le colonel Thomas, qui avait
placé le centre de son commandement
à Aigleville, avait pour mission
d'occuper la ligne de Vernon
à Pacy-sur-Eure et
Ivry-la-Bataille, et
de maintenir l'ennemi au delà de la rivière de l'Eure,
sans chercher, de son côté, à la franchir.
Chaque jour les reconnaissances et les
patrouilles échangeaient des coups de fusil dans cette
contrée, notamment à
la Belle-Côte,
à Boissy-Mauvoisin,
a Bréval et
à Gilles,
où les mobiles et les
francs-tireurs malmenaient les patrouilles
des 10e et 11e hussards qui
éclairaient la brigade de Redern.
Les gardes nationaux de Rouvres, de Saint-Ouen et
de Berchères s'étaient mis
de la partie, et, grâce à
leur connaissance du terrain, ils inquiétaient sérieusement
les fourrageurs.
Le 16 novembre, à la suite
d'une chasse qu'ils leur avaient donnée, ces gardes
nationaux demandèrent aux mobiles, cantonnés à
Ivry-la-Bataille, et chargés
d'empêcher les réquisitions
dans la vallée basse de la Vègre,
un appui qui
leur fut promis pour le lendemain.
Le 17 novembre, la 1e compagnie du 2e bataillon
de l'Ardèche, partie d'Ivry-la-Bataille
en reconnaissance,
poussait jusqu'au hameau de Marchefroy, où
elle s'arrêtait vers dix heures du matin.
Là, elle envoyait
à la découverte une patrouille d'une douzaine
d'hommes, qui, contournant les vallons et passant
par Berchères et la Ville-l'Evêque,
arrivait par le bois
de la Butte et le hameau de la Fosse-Louvière, en
face des avant-postes de la brigade de Barby.
En même temps,
les gardes nationaux de Rouvres
et des environs s'avançaient par le bois
d'Illiers , traversaient
la Vègre au moulin
de Billy, puis se portaient
vers le hameau du Cornet,
en traversant celui de
Biennouvienne.
A mesure que les mobiles et les
gardes nationaux s'approchaient, les vedettes ennemies
se repliaient, tirant de temps à autre un coup
de pistolet comme signal.
Ces cavaliers étaient les
mêmes uhlans hanovriens qui avaient perdu quelques-uns
des leurs aux environs de Bu,
les 14 et 15 novembre;
c'étaient eux qui avaient alors donné l'alarme
au général de Rheinbaben, et, depuis cette époque,
ils n'avaient pas débridé.
Ils étaient cantonnés au
hameau de Brunel,
au sud de Gressey, couverts par
une grand'garde établie au hameau des Friches et par,
des vedettes échelonnées de Saint-Lubin-de-la-Haye
au Cornet.
Le général de Rheinbaben prenait ses dispositions
pour appuyer à Dreux
le général de Treskow, lorsque
la présence de nos mobiles et de nos gardes nationaux
lui fut signalée.
Averti le premier à Richebourg,
le général de Barby se mit aussitôt sur ses gardes,
comme s'il allait avoir sur les bras toutes nos forces
réunies de la rive gauche de la Seine.
Cependant le
seul renfort arrivé aux nôtres dans cet intervalle
était la section des francs-tireurs de l'Iton (capitaine
Houdellierre), forte de vingt-huit hommes.
Ces francs-tireurs, campés sur la côte Robin, à l'est de
Rouvres, avaient aperçu
ce qui se passait, et, traversant
la vallée, ils étaient venus s'établir, vers midi,
dans le bois de la Butte.
En ce moment, on n'entendait plus que quelques
rares coups de fusil.
Les uhlans du 13e régiment
s'étaient retirés en arrière de Brunel; les gardes
nationaux occupaient le hameau des Friches, et les
mobiles la ferme de Biennouvienne.
Vers une heure
de l'après-midi, le général de Barby, arrivé avec des
renforts et ayant eu tout le temps de reconnaître la
faiblesse numérique de ses adversaires, prend tout à
coup une vigoureuse offensive.
Il dirige sa cavalerie,
13e uhlans et 9e dragons,
sur le Méziard, la landwehr
de la garde sur Biennouvienne tandis qu'il fait
ouvrir le feu par son artillerie, mise en batterie sur
les hauteurs du Cornet.
Aux premiers coups de canon,
les nôtres, qui croyaient n'avoir affaire qu'à
quelques uhlans, s'aperçoivent que la lutte est impossible;
ils battent en retraite, en continuant toutefois
à tirailler; les gardes nationaux de Rouvres se replient
par Billy et Berchères;
ceux de la Ville-l'Evêque
et les mobiles se retirent en plaine dans la
direction de la Fosse-Louvière, en se couvrant de
tous les obstacles qu'ils rencontrent.
Les landwehriens
fouillent les fermes de Biennouvienne et du Cornet
et y font une razzia de tous les hommes valides qui
sont gardés à vue au hameau de la Mare.
Les douze
mobiles de l'Ardèche, qu'accompagnait encore une
dizaine de gardes nationaux de Berchères
et de la Ville-l'Évêque, ont gagné la lisière du bois de la
Butte où se trouvent les francs-tireurs de l'Iton.
Le feu
a cessé, et l'on pourrait croire l'escarmouche terminée
mais ce n'est qu'un moment de répit pendant
lequel le général de Barby
prend ses dispositions
pour déloger les nôtres de la retraite qu'ils ont choisie.
Vers trois heures, les mobiles aperçoivent, de la
ferme de la Ville-l'Évêque,
une patrouille de quelques
cavaliers, qui vient éclairer les hauteurs de
Berchères; ils préviennent le
corps franc de l'Iton, et
aussitôt mobiles et francs-tireurs s'élancent à la poursuite
des uhlans jusqu'aux abords du village; mais
quelques minutes se sont à peine écoulées qu'un escadron
les prend en flanc et les charge avec furie; il
s'engage alors entre cette poignée d'hommes et la
cavalerie ennemie une mêlée terrible et un combat
corps à corps sans trêve ni merci.
Un instant dégagés,
nos soldats croient à l'arrivée d'un renfort; ils
ont aperçu sur leur gauche une troupe d'infanterie;
mais, hélas! ce sont les landwehriens du général
de Loën, dont ils essuient les décharges, puis un
second escadron qui les attaque plus vivement encore
que le premier.
Chacun des nôtres soutient, à lui
seul, un combat.
Dans un bouquet de bois, près de
Berchères, le lieutenant des francs-tireurs,
entouré
de quelques hommes, résiste avec énergie aux assauts
successifs des cavaliers; un officier des uhlans hanovriens,
le second lieutenant de Wedel, l'aperçoit et
s'apprête à le charger; mais le terrain est détrempé,
les abords sont difficiles, les uhlans hésitent "Que
les braves me suivent" s'écrie leur chef, et, le
sabre levé, il se précipite à la tête de ses cavaliers,
lorsque, arrivé à dix pas du lieutenant Vivier, qui
le tient en joue, il tombe pour ne plus se relever, la
poitrine traversée par une balle.
Au même moment,
un coup de feu étend sur le carreau l'officier des
francs-tireurs, et sa victime, touchée de tant de
bravoure, défend aux uhlans de l'achever.
A l'exemple
du lieutenant Vivier, chacun de nos soldats
accomplit des prodiges de valeur; mais il n'en reste
plus debout que trois ou quatre, qui luttent d'un
suprême effort près d'un bouquet de bois, aux abords
du cimetière de Berchères,
à l'endroit même où
s'éleva plus tard le monument consacré à leur mémoire;
ils s'y font tous tuer en combattant jusqu'au
dernier soupir: bis zum letztem Athemzuge.
Pendant
ce temps, le capitaine Houdellierre séparé de sa
troupe, avait échappé comme par miracle à plusieurs
feux de peloton, après avoir été longtemps poursuivi
et traqué dans les bois comme une bête fauve.
Dans cette mêlée, il n'y eut en réalité d'engagés
que vingt-sept francs-tireurs, douze mobiles et quelques
gardes nationaux, en tout moins de cinquante
hommes, et la preuve de l'énergie qu'ils déployèrent
se trouve dans les pertes mêmes qu'ils subirent treize
d'entre eux furent tués ou mortellement atteints;
vingt-trois autres criblés de blessures; les francs-tireurs
survivants en comptent ensemble plus de cent,
et un mobile de l'Ardèche reçut à lui seul dix-sept
coups de lance.
L'acharnement des uhlans hanovriens
s'explique jusqu'à un certain point par la mort d'un
de leurs officiers et la perte de quelques-uns de leurs
camarades; mais rien ne saurait justifier la cruauté de
l'infanterie prussienne, qui n'eut que trois ou quatre
blessés, et qui déshonora encore cette journée par
de nombreux assassinats.
Le combat terminé, les
landwehriens du 2e régiment de grenadiers de la
garde entrent à la ferme de la Ville-l'Evêque, où les
mobiles s'étaient arrêtés le matin, traînent le malheureux
fermier et trois ouvriers inoffensifs dans un
champ voisin et les y massacrent sans pitié; puis,
avant de rentrer dans leurs cantonnements, ils égorgent
froidement, à la ferme de la Mare, neuf habitants
sans armes qui n'ont pris aucune part à la lutte.
Triste et hideuse boucherie, qu'un auteur allemand
n'a pas craint de présenter comme une charge à la
baïonnette :
die Garde-Landwehr greift mit
dem Bajonet die linke Flanke an.
Le combat de Berchères, dans
lequel une poignée
de braves gens occupa toute une journée la 5e division
de cavalerie allemande, est un fait d'armes aussi
beau par lui-même que par ses résultats.
D'après les
ordres qu'il avait reçus la veille du grand-duc de
Mecklembourg, le général de Rheinbaben devait,
tout en surveillant la Seine, réunir à Houdan ses
forces disponibles et refouler
jusqu'à Dreux les détachements
français qu'il rencontrerait.
Il ne fit de ce
côté aucun mouvement sérieux dans la journée du 17;
il se contenta d'envoyer sur la route
de Dreux une
reconnaissance composée d'un bataillon du 1e régiment
de la landwehr de la garde, de deux escadrons
du 16e uhlans et d'une section d'artillerie.
Le gros de
cette reconnaissance s'arrêta à Marolles, et les uhlans
seuls poussèrent jusqu'à nos avant-postes de Chérisy,
où ils perdirent un des leurs.
Rencontres de Gilles et de Châteauneuf (17 novembre)
Le même jour, une patrouille
du 11e hussards se présenta de nouveau à
Gilles et
fut reçue par les francs-tireurs du Puy-de-Dôme,
qui abattirent un cheval et blessèrent le cavalier.
Les rencontres qui avaient eu lieu à Bu
les 14 et 15 novembre, avaient fait supposer au général de
Rheinbaben que la forêt de Dreux
était fortement
occupée; le combat de Berchères
lui fit croire à une attaque sérieuse de
notre corps de l'Eure, attaque
à laquelle il craignit de prêter le flanc.
Sans doute, l'issue de la journée du 17 dut lever tous ses doutes
à cet égard; mais, pendant ce temps, la retraite de
nos troupes sur Nonancourt avait pu s'effectuer sans
encombre.
Ce fut seulement dans la matinée du
18 novembre que le général de Rheinbaben fit son
entrée à Dreux, avec
les brigades de Bredow, de
Barby et celle de la landwehr de la garde.
Il fut chargé
de poursuivre le corps du général du Temple, qui,
depuis la veille au soir, se trouvait sous les ordres
directs du général de Malherbe.
Quant au grand-duc de Mecklembourg, qui avait
son quartier général à Nogent-le-Roi et qui occupait
la ligne de Châteauneuf
à Dreux, il fit exécuter à ses
troupes une conversion à gauche, la 22e division
formant le pivot et la 17e l'aile marchante, avec le
1e corps bavarois en réserve.
L'intention du grand-duc
était de poursuivre sa reconnaissance dans la
direction de Tours, afin de s'éclairer sur l'état de
nos forces.
Il allait ainsi envelopper et refouler successivement
les diverses troupes que des ordres directs
du ministre de la guerre avaient disséminées en
avant des forêts du Perche.
Le premier corps qu'il rencontra était commandé
par le lieutenant-colonel Marty, ancien major de
place; il avait à peu près la même force et la même
composition que celui du général du Temple, et il
était établi, depuis quelque temps, à la Ville-aux-Nonains
et aux environs, en avant de la forêt de Senonches,
dans des positions que l'on avait rendues formidables
au moyen de coupures et d'abatis.
La marche de l'ennemi
sur Dreux avait fait malencontreusement
sortir le colonel Marty de ses défilés
inextricables, et, à la date du ]7 novembre, il occupait,
entre les forêts de Chateauneuf
et de Senonches,
une ligne qui s'appuyait par sa droite à la rivière
de l'Eure et par sa gauche
à la Blaise; il s'était établi
à Saint-Maixme, avec trois compagnies
du 3e bataillon du 36e de marche;
le 1e bataillon du même régiment
(commandant Senaux)
était détaché sur la droite, vers
la Loupe; trois compagnies
du 3e bataillon
(commandant Perrot) étaient cantonnées
à Digny, et
le 2e bataillon
(commandant Laflaquière), envoyé
d'abord comme renfort sur ce dernier point, fut
ensuite dirigé sur Saint-Ange-Torçay,
où il arriva dans la nuit du 17 au 18, après une marche longue
et pénible.
Le commandant Laflaquière avait reçu
l'ordre de se poster, avant le jour, sur la lisière de la
forêt de Châteauneuf,
d'observer la route de Dreux,
et de résister le plus énergiquement qu'il pourrait
aux attaques probables de l'ennemi.
Ces bataillons du 36e de marche, qui formaient le
noyau du corps de Senonches, devaient être plus ou
moins reliés entre eux par des mobiles et des francs-tireurs
éparpillés sur une étendue hors de proportion
avec leur effectif, ils n'auraient pu, dans les circonstances
ordinaires, résister une heure aux forces
qu'ils avaient devant eux; mais un brouillard intense,
qui régna pendant toute la journée du 18, déroba au
grand-duc la faiblesse numérique de ses adversaires,
et permit à nos corps isolés et incohérents d'arrêter
jusqu'au soir la marche de son armée.
Déjà, dans la journée du 17, au moment du combat
de Dreux, quelques coups de
feu avaient été
échangés, sur la lisière de la forêt
de Châteauneuf,
entre nos avant-postes et les éclaireurs ennemis;
dans une de ces rencontres, des cuirassiers du régiment
de Brandebourg n°6 furent blessés ou démontés
près de la ville
de Châteauneuf, que l'artillerie
du général de Schmidt nous força d'abandonner.
Plus au sud, sur la route de Chartres
à Nogent-le-Rotrou,
les cavaliers du 16e régiment de hussards allèrent se
heurter, à Landelles, contre un poste des mobiles de
l'Orne, qui leur tint tête énergiquement et leur fit
tourner bride après leur avoir tué ou blessé une
dizaine d'hommes.
Combats de Torçay, d'Ardelles et de Digny
Dans la journée du 18, le grand-duc de Mecklembourg
eut encore à livrer quelques combats isolés, à
Torçay, à Ardelles et
à Digny; mais c'est
à Torçay
qu'il rencontra la plus sérieuse résistance.
Arrivé dans ce hameau vers trois heures du matin,
le commandant Laflaquière avait pris immédiatement
ses dispositions de défense, envoyé des guides à la
découverte et reconnu l'extrémité nord de la forêt de
Châteauneuf.
Cette partie de bois, nommée la
Queue-de-Fontaine, s'étend de Chateauneuf
à Fontaine-les-Ribouts,
en suivant une gorge assez profonde
qui n'offre, dans toute sa longueur, que deux
passages praticables à l'artillerie et à la cavalerie,
ceux de Saint-Jean-de-Rebervillers
à Épineux, et
de Morvillette
à Torçay.
C'est ce dernier défilé que
le commandant Laflaquière
était particulièrement appelé à défendre.
II fit fouiller la forêt, et, avant
l'aube, il porta sur la lisière, en face des hameaux de
Criloup et
de Morvillette, les 3e et 6e compagnies de
son bataillon; il posta les 2e et 4e dans deux bouquets
de bois qui commandent le pont et le ravin
de Saint-Vincent,
avec l'ordre de défendre solidement cet important
passage et de recueillir, le cas échéant, les
compagnies placées en première ligne; enfin, les deux
dernières furent tenues en réserve dans le hameau
même de Torçay, d'où elles
détachèrent de petits postes pour surveiller l'ennemi.
L'effectif total de ces
six compagnies était d'environ neuf cent cinquante
hommes.
Le général de Wittich, qui, pendant le combat de
Dreux, se tenait en communication
à Tréon avec le
général de Treskow, avait établi son quartier généra]
et le gros de sa division à Marville; il occupait, en outre,
Boullay-les-Deux-Églises,
Saint-Sauveur,
Morolieu et la Touche.
Son avant-garde s'étendait sur une ligne
allant de Levasville à
Mondétour elle se composait
du 94e régiment d'infanterie de Thuringe "grand-duc
de Saxe", de trois escadrons du 13e hussards et deux
batteries; elle était commandée par le lieutenant-colonel
d'Heuduck,
du 13e hussards.
Dans la nuit du 17 au 18, au moment même où le
2e bataillon du 36e de marche arrivait
à Torçay, le
général de Wittich recevait l'ordre de s'avancer sur
la Loupe, suivi par
le Ie corps bavarois.
Mais, entre
sept et huit heures du matin, ses éclaireurs essuyèrent,
sur la lisière de la forêt, des coups de feu qui
lui donnèrent l'éveil.
Cette attaque ne lui permettait
guère de se mettre en marche en laissant la Queue-de-Fontaine
occupée sur ses derrières; c'est pourquoi
il donna l'ordre au lieutenant-colonel d'Heuduck de
se porter sur Morvillette
et Criloup, de nous attaquer,
de chercher à nous faire des prisonniers et de
nous poursuivre jusqu'à la Blaise.
Il le fit appuyer
par le 83e régiment et une batterie, qui se portèrent
de Boullay-les-Deux-Églises
sur Levasville; il fit observer
Saint-Jean-de-Rebervilliers par un bataillon
et un peloton de hussards qui occupaient Saint-Sauveur,
se tenant prêt lui-même à marcher sur Levasville
avec le reste de sa division.
Vers neuf heures, l'action s'engagea entre les 1e et
2e bataillons du 94e régiment de Thuringe et les 3e et
6e compagnies du 36e de marche, postées sur la lisière
de la forêt.
Après avoir contenu quelque temps des
forces cinq ou six fois supérieures, ces deux
compagnies furent forcées d'abandonner les positions qu'elles
occupaient.
Elles se replièrent sur les 2e et 4e compagnies
(capitaines de Castelnau
et Malard), qui défendaient
le pont et le ravin de Saint-Vincent, et la
résistance que l'ennemi rencontra sur ce point le
força de cesser le feu après une heure et demie de
combat.
Profitant de ce répit, le commandant Laflaquière
forme sa ligne de bataille et envoie reconnaître
Saint-Jean-de-Rebervilliers par la 6e compagnie, qui trouve
ce dénié occupé et se replie sur le bataillon après
avoir essuyé une vive fusillade.
Menacé d'être tourné
sur sa droite par ce dernier village, et sur sa gauche
par celui de Fontaine-les-Ribouts, n'ayant reçu aucune
communication ni aucun renfort du colonel
Marty, et ne pouvant compter que sur ses propres
ressources, le commandant Laflaquière poste une
section derrière des murs en pisé qui flanquent les
abords de Torçay, renforce
la gauche de ses tirailleurs
et déploie en seconde ligne sa 6e compagnie.
A onze heures, l'ennemi dirige sur toute l'étendue
de notre front une attaque générale.
La 22e division
tout entière est mise en mouvement:
le lieutenant-colonel d'Heuduck,
avec la 43e brigade, continue ses
efforts contre la partie nord de la Queue-de-Fontaine,
tandis que le général de Wittich, avec le reste de ses
troupes, se dirige par Saint-Sauveur
sur Châteauneuf,
où sa tête de colonne arrive vers midi.
La situation des défenseurs de Torçay
devient de
plus en plus critique menacés sur leur droite par le
mouvement du général de Wittich qui va leur couper
toute retraite, ils ont à contenir de front
la brigade d'Heuduck;
celle-ci porte tous ses efforts sur le ravin
de Saint-Vincent, sur les deux bouquets de bois qui
commandent le défilé, et aussi sur le nord du village
de Torçay, qui lui paraît
plus accessible, Fontaine-les-Ribouts étant en son pouvoir.
Un instant,
notre ligne de tirailleurs cède le terrain de ce côté,
et déjà les fusiliers ennemis couronnent la crête du
ravin; mais, aussitôt, notre seconde ligne de tirailleurs
va renforcer la première, et ce retour énergique
rejette les Allemands dans les bois.
Néanmoins,
malgré leur bravoure, nos soldats auraient été tous
cernés et pris sans plusieurs circonstances fortuites
auxquelles ils durent leur salut.
Le général de Wittich voulait attendre et rallier à
Châteauneuf la brigade d'Heuduck; il se rendit même
à Tbimert, où se trouvait en ce moment le grand-duc
de Mecklembourg, pour lui faire part de son intention
mais il reçut de lui l'ordre de continuer sa
marche sur Digny
avec le reste de sa division et la
cavalerie de Schmidt, sans attendre l'issue du combat
de Torçay.
Ce danger conjuré sur leur droite, les
nôtres échappèrent également au danger, non moins
grand, qui les menaçait sur leur gauche.
Le général de Treskow, qui marchait
de Dreux sur Brezolles,
était arrivé à peu près à mi-chemin, lorsque, vers
midi, à la hauteur des Ormes, il entendit la fusillade
qui éclatait entre les routes suivies par sa division et
celle du général de Wittich; il se berça de l'espoir
de nous avoir complétement cernés :
Zu der Hoffnung berchtigt war den Feind
vollkommen eingeschlossen zu haben".
Aussitôt il lance son avant-garde, composée
de trois bataillons et d'une batterie, ainsi que sa brigade
de cavalerie, jusqu'au sud de Boutry.
De là, une
reconnaissance du 18e de dragons
se dirige sur Fontaine-les-Ribouts
pour tâcher de se mettre en communication
avec la division de Wittich; mais elle est
reçue à coups de fusil par les
fantassins du 94e régiment,
qui s'imaginent avoir affaire à nos propres
cavaliers.
Les dragons, de leur côté, ayant eu un
homme tué et cinq blessés dans cette rencontre,
croient que le village est occupé par nous et s'abstiennent
de renouveler leur tentative.
Cependant, vers deux heures, le commandant Laflaquière,
complétement isolé, sans autre secours que
celui du brouillard qui cachait la faiblesse de son effectif,
et voyant ses munitions presque épuisées, dut se
résoudre à opérer sa retraite.
Il replia ses tirailleurs
sur les ailes, afin de démasquer les petites réserves
du village dont le feu nourri tint l'ennemi en respect,
et, vers trois heures, il
évacua Torçay et gagna
Blévy avec ce qui lui restait de son bataillon, sans
être autrement inquiété que par quelques rares coups
de fusil.
Cette retraite fut d'ailleurs couverte, jusqu'au
dernier moment, par une section (sous-lieutenant
Puginié) dont les hommes furent en grande
partie tués, blessés ou pris.
De Blévy, le
commandant Laflaquière dut se porter
plus en arrière, à Maillebois,
où il apprit l'occupation
de Saint-Maixme et
de Jaudrais par l'ennemi il se
retira ensuite
sur Brezolles, passant ainsi impunément
devant tout le front de
la division de Treskow,
puis sur Verneuil,
d'où il rejoignit plus tard le colonel Marty.
Dans le combat de Torçay,
le 2e bataillon du 36e de
marche avait perdu trente-sept hommes tués, quatre
vingt-douze blessés et une centaine de prisonniers ou
disparus.
Parmi les tués, se trouvaient le capitaine
Malard et le sous-lieutenant
Thynus; ils avaient héroïquement
disputé le terrain à l'ennemi et étaient
tombés dans le passage même qu'ils avaient mission
de défendre, à l'endroit où la piété des habitants de
Saint-Ange-Torçay a
élevé depuis un monument à
leur mémoire.
Le 94e régiment allemand, qui prit à
cette affaire la part la plus sérieuse, accuse treize
hommes tués, parmi lesquels l'enseigne porte-épée
de Bülow, et vingt-cinq blessés.
Si, dans ce combat, nos pertes furent réellement
supérieures à celle de l'ennemi, il n'y a là rien d'extraordinaire
dans les conditions où nous nous trouvions,
puisque six compagnies françaises avaient
tenu bon pendant cinq heures contre une brigade
allemande; toutefois, le capitaine prussien qui commandait
les fusiliers du 94e à l'attaque
de Torçay, et
qui a écrit plus tard l'historique de son régiment, en a
tiré les conséquences tout à fait inverses.
D'après cet
officier, le commandant Laflaquière,
attaqué de front
par la brigade d'Heuduck,
menacé sur sa droite par
le reste de la division de Wittich,
et sur sa gauche
par l'avant-garde et la
cavalerie du général de Treskow,
aurait eu l'avantage de la position et du nombre:
in günstiger Stellung und an Zahl überlegen war.
Cette
assertion est au moins aussi ridicule que l'exagération
qu'il nous reproche à propos de l'évaluation des pertes
allemandes.
La même remarque peut s'appliquer à
l'ordre du jour daté du 19 novembre, par lequel le
grand-duc félicite les troupes qui ont pris part au
"brillant combat de la veille, et qui, sans le secours
de l'artillerie, ont enlevé Torçay
à coups de
crosse et de baïonnette."
Les Prussiens se sont,
en effet, servi dans Torçay de
la crosse et de la
baïonnette, mais contre un traînard qui s'était réfugié
dans une grange et qui y fut massacré après l'action.
Quant à la prise du village par les Allemands, sans
que leur artillerie l'eût préalablement réduit en cendres,
c'est une circonstance assez extraordinaire,
il est vrai, pour qu'elle mérite d'être citée; mais la
cause en est dans le brouillard et non dans leur courage,
et cela, dans tous les cas, n'enlève rien au mérite
de la défense, l'un des beaux et consolants faits
d'armes qui se soient accomplis au milieu de nos
désastres.
Au sud de la forêt
de Châteauneuf,
à Ardelles,
à la Ferme-Neuve
et à Château-Traîneau,
le général de Wittich
rencontra la même résistance.
Les têtes de
colonnes du Ie corps bavarois,
qui se trouvait en
réserve, furent forcées d'entrer en ligne et de se frayer
un passage les armes à la main
au Gland,
à Ardelles
et à Digny.
Ce dernier point était occupé par la
moitié du 3e bataillon du 36e de marche
(commandant Perrot),
appuyé par un bataillon de mobiles de
la Mayenne.
Le commandant Perrot
s'y maintint énergiquement
depuis trois heures jusqu'à six heures du
soir; mais, menacé d'être cerné le lendemain, il se
retira dans la nuit sur Senonches,
ayant eu dans cette
affaire deux soldats tués et six blessés, dont un officier.
Quant aux Allemands, ils avaient perdu, dans
ces divers engagements, quatre hommes tués et une
vingtaine de blessés, parmi lesquels un officier.
Retraite des corps d'Eure-et-Avre et de Senonches
Malgré
la retraite des nôtres
sur Senonches, ils n'osèrent
occuper Digny, et se replièrent
sur Ardelles, où ils se
retranchèrent pour passer la nuit.
Là, comme à Torçay,
un brouillard épais ne leur avait pas permis de
compter le petit nombre de leurs adversaires; ce fut
seulement le lendemain qu'ils s'aperçurent de leur
erreur, et ils la firent expier chèrement aux habitants
par les réquisitions et le pillage.
En résumé, dans cette journée du 18 novembre,
des bataillons incohérents et abandonnés à eux-mêmes,
ayant un effectif total de sept à huit mille
hommes, avaient tenu en échec les cinquante mille
hommes du grand-duc de Mecklembourg.
La cavalerie
de la 17e division allemande,
tous les régiments
de la 22e,
le 4e bataillon de chasseurs
et le 13e régiment du corps bavarois
avaient été engagés.
Le général de Treskow,
qui devait coucher à Brezolles ,
était forcé de s'arrêter à Laons ;
le général de Wittich ,
qui avait l'ordre de s'avancer
jusqu'à Belhomert ,
était tenu en échec à Digny ;
les Bavarois seuls, se
piquant d'honneur
depuis Coulmiers, avaient occupé
les cantonnements qui leur avaient été désignés à
Jaudrais,
Ardelles
et Favières.
La réserve se trouvait
ainsi enchevêtrée dans la 22e division et en partie
en première ligne.
Aussi le grand-duc dut-il employer
la journée du 19, moins à se reposer de "son
brillant combat" qu'à rétablir l'ordre dans sa marche.
Tandis que
le grand-duc de Mecklembourg
se rabattait
ainsi de Nogent-le-Roi
sur Châteauneuf-en-Thymerais
pour marcher, les jours suivants, sur Digny,
la Loupe et
Nogent-le-Rotrou,
le général de
Rheinbaben se mettait à la poursuite de notre corps
d'Eure-et-Avre.
Surpris, pour ainsi dire, dans la matinée
du 18 novembre à Nonancourt, au milieu du
brouillard, les nôtres continuèrent précipitamment,
et presque sans s'arrêter, leur retraite
sur Tillières,
Verneuil
et Laigle, où ils arrivèrent dans la soirée
du 19 sans avoir essuyé d'autre perte que celle de
quelques traînards tombés aux mains de l'ennemi.
Rencontres de Saint-Remi-sur-Avre, de Marcilly-sur-Eure et de Gilles (18 novembre)
Entrés à Nonancourt le 18, après avoir essuyé à
Saint-Remi-sur-Avre et
à Saint-Lubin-des-Joncherets
quelques coups de feu tirés par l'arrière-garde du
général de Malherbe,
les Prussiens tuèrent ou blessèrent
plusieurs employés du chemin de fer, saccagèrent
la gare, la brûlèrent en partie, et mirent au
pillage les maisons voisines.
C'étaient les cavaliers
de la brigade de Bredow
qui exerçaient de nouvelles
représailles pour la perte d'un sous-officier
du 13e dragons
tué dans la matinée.
Dans la même journée, le
général de Rheinbaben
fit fouiller la forêt de Dreux
et envoya des dragons
jusqu'à Marcilly-sur-Eure,
mais ces cavaliers furent repoussés par les gardes
nationaux, qui leur tuèrent un cheval et firent un
prisonnier.
De son côté, le général de Redern, qui
faisait face à notre corps de l'Eure, lança des patrouilles
dans la direction de Boissy-Mauvoisin et de
Gilles, pour maintenir
ses communications avec le
général de Rheinbaben;
à Gilles, les hussards du
11e régiment essuyèrent
la fusillade de francs-tireurs
embusqués sur la lisière d'un bois, et se retirèrent
sur Mondreville,
emmenant un officier et un sousofficier
blessés dans cette rencontre.
Dans la journée du 19, le
général de Rheinbaben
continua la poursuite sur la vallée de l'Avre, et poussa
de nombreuses reconnaissances sur la ligne de l'Eure.
Rencontres de Saint-Ouen-de-Marchefroy, de Marcilly-sur-Eure et de Verneuil
La brigade de Redern,
de son côté, ne cessait d'observer
nos avant-postes dans cette direction, et les
mobiles de l'Ardèche et de l'Eure,
les francs-tireurs
et les gardes nationaux tiraillèrent presque toute la
journée à Boissy-Mauvoisin,
à Gilles, à Garennes et à
Saint-Ouen-de-Marchefroy,
où les hussards du 17e régiment
de Brunswick perdirent deux hommes, dont un
sous-officier.
A Marcilly-sur-Eure,
l'engagement de la veille recommença
entre les gardes nationaux du pays et des environs,
appuyés par les francs-tireurs de la Gironde et du
Puy-de-Dôme, et
la brigade de Barby qui descendait
le val de l'Eure.
Mieux renseignés cette fois, les Prussiens,
débouchant par Louye,
Saint-Georges et les
Alains, attaquèrent sur plusieurs points.
Un instant
cernés, les nôtres réussirent à s'échapper sans trop de
pertes.
Marcilly-sur-Eure fut
alors occupé et pillé par les Prussiens,
qui se dirigèrent ensuite sur Croth.
Mais ils
rencontrèrent à mi-chemin deux compagnies
de mobiles de l'Ardèche,
qui, accourues au bruit du combat,
les arrêtèrent court dans la plaine
de Roseux et les
forcèrent à regagner Dreux
vers quatre heures du soir.
Cette rencontre nous coûta trois hommes tués
et quelques blessés ou disparus.
Du côté de l'ennemi,
un dragon du 19e régiment oldenbourgeois
et plusieurs landwehriens
du 1e régiment de la garde furent
plus ou moins grièvement blessés.
Sur la route de Verneuil,
quelques coups de feu
furent encore échangés entre notre arrière-garde et
les patrouilles du général de Bredow;
là un sous-officier et quelques dragons
du 13e régiment de Schleswig-Holstein
furent tués ou blessés en cherchant à ramasser nos traînards.
La marche des Allemands de Chartres
sur Dreux
avait causé en Normandie, et surtout sur la rive
gauche de la Seine, une alerte des plus vives; on se
figurait que
le grand-duc de Mecklembourg, agissant
de concert avec le
général de Manteuffel, dont nous
suivrons la marche dans le prochain chapitre, avait
Rouen pour objectif;
aussi, lorsque la présence de
l'ennemi fut signalée à Nonancourt
et à Marcilly,
l'émotion redoubla dans le département de l'Eure.
Reconnaissance des Prussiens sur Évreux et évacuation de cette ville (19 novembre)
Évreux , dont la route se trouvait
ainsi complétement
libre, n'avait, pour toute garnison, qu'un peloton
de chasseurs à cheval, servant d'escorte au général,
quelques gendarmes et un dépôt de mobiles convalescents,
lorsque le 19 novembre, vers quatre
heures de l'après-midi, les premiers éclaireurs ennemis
arrivèrent à l'entrée de la ville.
C'était une forte
reconnaissance de la brigade de Bredow ,
formée de
détachements du 7e cuirassiers ,
du 13e dragons et du
Ie régiment de la landwehr de la garde
avec une section d'artillerie.
Après avoir pris position sur les hauteurs
de la Madeleine ,
les Prussiens détachèrent des
patrouilles qui avaient pour mission de détruire la
voie ferrée; mais elles furent reçues à coups de fusil
et dispersées par les employés de la gare, aidés de
quelques gardes nationaux.
A Evreux , comme sur la
plupart de nos lignes, le personnel du chemin de fer
comptait beaucoup d'anciens militaires qui redevenaient
soldats en présence de l'ennemi.
L'attitude
énergique de ces employés est d'autant plus méritoire,
que les Prussiens, surtout ceux de
la brigade de Bredow ,
comme on l'a vu tout à l'heure à Nonancourt ,
ne manquaient pas d'exercer sur eux, même sans
provocation, les plus cruels traitements.
Ne s'attendant
sans doute pas à cette résistance, et ayant, d'ailleurs,
atteint le but de sa reconnaissance, l'ennemi reprit
aussitôt la route de
Dreux et couvrit sa retraite en
lançant sur Evreux
une vingtaine d'obus.
Cette affaire
coûta aux dragons et aux cuirassiers, ainsi qu'aux
artilleurs et aux landwehriens, sept ou huit hommes
tués ou blessés, dont trois sous-officiers.
Le général de Kersalaun ,
qui commandait la subdivision
de l'Eure, se voyait réduit à ses propres
forces, et découvert sur sa droite par la retraite du
général de Malherbe
jusque sur l'Iton; convaincu,
d'ailleurs, qu'Evreux
allait être attaqué le lendemain
par les forces considérables dont la présence lui avait
été signalée
à Dreux, et craignant
que notre petit
corps de la vallée de l'Eure ne lût pris à revers, il
donna l'ordre au colonel Thomas
de se replier sans
retard sur Gaillon .
Le 20 novembre, nos troupes
d'observation de la vallée de l'Eure arrivèrent dans
cette dernière ville.
Le général de Kersalaun , qui les
y avait précédées après avoir fait
évacuer Evreux ,
dirigea immédiatement la garde mobile de l'Eure et
quelques corps francs sur Conches ,
et ses autres bataillons
sur Louviers par le chemin de fer.
De Louviers ,
il les porta sur Beaumont-le-Roger
et Bernay ,
dans le but d'occuper la ligne de la Rille et de couvrir
à Serquigny ,
où avaient été exécutés quelques
travaux de défense, la seule voie ferrée qui reliât
encore le Sud de là France avec le Nord.
Ce mouvement
de retraite, qui découvrait d'un seul coup la
presque totalité du département de l'Eure, souleva de
vives critiques, et le
général de Kersalaun fut presque
aussitôt relevé de son commandement.
Il est juste,
toutefois, de reconnaître qu'il n'avait fait que se
conformer aux instructions ministérielles données au
général Delarue;
qu'il manquait de cavalerie pour
s'éclairer; qu'il avait à surveiller une ligne fort étendue
qu'il n'aurait pu empêcher le détachement de
Bredow d'entrer
à Evreux le 19, si l'ennemi avait
voulu occuper cette ville.
Enfin la confusion était
telle à cette époque dans le département de l'Eure,
comme dans le reste de la Normandie, et les mutations
si fréquentes, que le général de Kersalaun ne
savait même pas, malgré des dépêches réitérées,
quel était son supérieur immédiat.
Après son départ,
le commandement de la subdivision de l'Eure fut
réuni, mais seulement à titre provisoire, à celui du
général Briand, qui venait
d'être replacé à Rouen
à la tête de la 2e division militaire.
En réalité, la démonstration faite
sur Évreux par
l'ennemi avait un caractère purement défensif: le
général de Rheinbaben
avait principalement pour
but de détruire le chemin de fer, de le rendre impraticable
pour le transport de nos troupes, et de couvrir
ainsi le grand-duc de Mecklembourg
pendant qu'il se rabattait vers le Sud.