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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 6 |
Evénements sur la rive droite de la Seine dans la première quinzaine de novembre
Source : L. Rolin.
Capitulation de Metz (27 octobre)
Les petits succès de Villegats
et de
Formerie avaient
relevé le moral des défenseurs de la Normandie, en
leur montrant que leurs adversaires, Bavarois ou
Hanovriens, Saxons ou Prussiens, n'étaient pas
invincibles.
Mais cette confiance fit presque aussitôt place
à un découragement profond quand, à la fin
d'octobre, on eut la confirmation de la fatale nouvelle
annoncée par le général Senfft
aux habitants de
Beauvais, et que l'on connut la capitulation
de Metz .
Cette catastrophe, qui livrait à l'ennemi notre dernière
armée régulière, anéantissait du même coup notre
dernière espérance.
Négociations de M. Thiers à Versailles
On sentait que la lutte devenait
impossible; on commençait à parler de la paix: et dans ce
moment même, M. Thiers ,
après avoir tenté de
réveiller en notre faveur les vieilles sympathies
européennes, faisait
à Versailles, pour obtenir un
armistice, de patriotiques efforts que secondaient
la Russie et l'Angleterre.
Cette démarche politique, de la
plus haute gravité, influait nécessairement sur la
situation de nos armées de province, et c'est pour
ce motif que, dans les premiers jours de novembre, il
n'y a nulle part à signaler autre chose que des
rencontres
ou des opérations de peu d'importance au point
de vue
militaire; si nous exceptons toutefois
le mouvement de la IIe armée allemande, que
ces négociations favorisaient et qui
allait faire échouer
les efforts de l'armée de la Loire.
Au lendemain même du combat de Formerie,
le général Briand,
qui avait à peine eu le temps de
connaître ses troupes,
fut mis, sur sa demande, en
disponibilité pour cause de santé.
Il est probable qu'il
avait rencontré les mêmes difficultés
que son prédécesseur,
et que la raison alléguée n'était pas
la raison
véritable, car il fut placé peu de jours
après à
la tête de la 1e brigade du 18e corps
d'armée en formation à Nevers.
Le colonel de Tucé, du 12e chasseurs,
promu au grade de général
de brigade,
remplaça le général Briand dans la 2e division
militaire, qui, par suite de l'organisation
des régions de l'ouest
et du nord, se trouvait réduite à la subdivision
de la Seine-Inférieure.
Néanmoins ce dernier commandement
ne cessa pas d'exister,
et il fut dévolu au colonel d'Espeuilles,
qui conserva en
même temps la direction militaire dans
le pays de Bray.
Rencontres de Mainneville (30 octobre) et de Formerie (3 novembre)
A la suite du combat de Formerie, ce bourg resta
gardé
par le 1e bataillon de la mobile de l'Oise;
en outre,
le colonel d'Espeuilles fit faire de
fréquentes patrouilles
par ses hussards, qui, le 30 octobre, poursuivirent
à
Mainneville les uhlans
du 1e régiment de la garde prussienne,
et aux environs de Formerie, le 3 novembre, ceux
du 18e régiment saxon ils firent un
prisonnier dans chacune
de ces rencontres.
Le 1e novembre,
Gournay fut réoccupé par
le 5e bataillon de marche
(commandant Barreau)
et le 8e bataillon des mobiles du Pas-de-Calais
(commandant Darceau).
Dès le 28 octobre,
les 2e et 3e bataillons de la mobile de l'Oise
(commandants Labitte
et Leclère), qui,
avec le premier, formaient
le 53e régiment de mobiles
(lieutenant-colonel de Canecaude),
avaient été dirigés du Havre
sur les Andelys,
puis sur Cuverville
et sur Fresne-l'Archevêque, où ils inaugurèrent leur
entrée en campagne par deux rencontres heureuses
avec la cavalerie ennemie.
Embuscades de Suzay et de Richeville (2 et 3 novembre)
Le 2 novembre, une compagnie
postée de grand'garde dans les bois
de Suzay
fit feu sur une patrouille de uhlans
du 3e régiment de la garde
et la mit en fuite après lui avoir
tué un sous-officier.
Le lendemain, les uhlans étant revenus en
petit nombre pour chercher le cadavre de leur
camarade,
essuyèrent de nouveau la fusillade des mobiles
aux abords de Richeville; dans cette seconde
affaire un uhlan fut tué, un autre blessé,
et un sous-officier
fait prisonnier.
Comme ces escarmouches
avaient lieu près de nos cantonnements, les Prussiens
n'essayèrent point d'en tirer vengeance.
Embuscades du Montchel (31 octobre) et de Maignelay (2 novembre)
Dans l'Oise, au même moment, les patrouilles
saxonnes n'étaient pas mieux accueillies.
Le 31 octobre,
les dragons de la garde
s'étant avancés jusqu'aux
portes de Montdidier, essuyèrent une fusillade aux
environs du moulin de Montchel,
et perdirent un des leurs.
Étant retournés dans la même direction le
2 novembre, ils tombèrent entre Maignelay
et Plainval
dans une embuscade dressée par les éclaireurs
du 3e bataillon de la mobile du Gard
(capitaine Bayle).
Après avoir eu deux ou trois hommes et autant de
chevaux tués ou blessés, les dragons s'enfuirent,
laissant entre les mains des mobiles un prisonnier;
le nombre en eût été plus considérable, si certains
habitants de la contrée, sans doute pour s'attirer les
bonnes grâces de ces fourrageurs, n'en avaient
caché quelques-uns, qu'ils renvoyèrent ensuite à Clermont;
l'ennemi lui-même ne laissa pas de trouver
cette conduite extraordinaire dans un pays aussi
fanatisé que le nôtre : Gewiss ein seltenes
Vorkommnis in diesem so fanatisirtem Lande .
Embuscade d'Etrépagny (5 novembre)
Le 5 novembre, de grand matin, sept uhlans du
1e régiment de la garde prussienne,
partis de Gisors
en reconnaissance, traversaient
Etrépagny.
En débouchantde cette ville vers
le Thil,
ils essuyèrent le
feu d'une douzaine de tirailleurs havrais de la le compagnie,
embusqués en cet endroit, et tournèrent
bride aussitôt, poursuivis par les balles; l'une d'elles
coupa la bride d'un cheval dont le cavalier roula
désarçonné.
Le chef de la patrouille mit pied à terre,
aida son compagnon à se remettre en selle, après quoi
ils reprirent ensemble leur course vers Gisors; mais,
arrivés à la sortie d'Etrépagny, ils se trouvèrent de
nouveau face à face avec d'autres francs-tireurs qui
leur barraient le passage.
Le chef de la patrouille
rebroussa chemin; jugeant la position critique, il
avait d'abord fait signe qu'il voulait se rendre; mais,
apercevant tout à coup sur sa droite un sentier qui
conduisait dans la plaine, il s'y engagea résolument et
parvint à s'échapper sain et sauf dans la direction
de la Broche,
en franchissant les haies et les clôtures.
Quant au cavalier dont le cheval avait été blessé,
après avoir fait des prodiges pour essayer de s'échapper,
il tomba vivant entre les mains des francs-tireurs
et ceux-ci, sans doute pour honorer le courage
de leur prisonnier, lui décernèrent une ovation.
Chassés le matin, les uhlans revinrent l'après-midi
rôder dans les environs d'Étrépagny, et la municipalité
fut prévenue dans la soirée que cette ville gênait
les mouvements des Prussiens, qu'ils l'avaientmarquée
au crayon rouge sur leurs cartes et devaient en faire
un exemple le lendemain.
La commission municipale
résolut de se défendre, et plusieurs délégués partirent
dans la nuit pour aller demander des secours
aux autorités civiles et militaires.
Sur les instances
du sous-préfet des Andelys le lieutenant-colonel de
la mobile de l'Oise consentit à envoyer en reconnaissance,
dans la direction d'Etrépagny, le 2e bataillon
de son régiment (commandant Labitte), alors cantonné
à Fresne-l'Archevêque.
De son côté, le lieutenant-
colonel Laigneau, prévenu pendant la nuit par
l'adjoint d'Etrépagny, donna des ordres pour qu'on
réunît à Écouis diverses troupes dont il devait prendre
lui-même le commandement.
Mais le jour allait poindre avant que ces ordres
fussent transmis, et, à cette heure, les Prussiens
étaient déjà partis de Gisors.
A la grande surprise
des rares habitants d'Etrépagny qui n'avaient pas
émigré, l'ennemi traversa cette ville sans s'arrêter,
y laissant seulement une centaine de fantassins pour
en garder les issues; après quoi le reste du détachement,
fort en apparence de 5 à 600 hommes,
infanterie et cavalerie, avec deux canons, poursuivit
sa marche sur le Thil.
Rencontre du Thil (6 novembre)
Les mobiles de l'Oise, de leur
côté, partis en reconnaissance, traversaient ce dernier
village vers sept heures du matin marchant
d'assurance, ils ne se doutaient nullement du voisinage
aussi rapproché de l'ennemi, quand, en sortant
du Thil, ils se trouvèrent
tout à coup face à
face avec les uhlans, qu'ils saluèrent d'une décharge.
Les Prussiens, qui ne négligeaient jamais d'éclairer
leur marche, avaient reçu l'avis de la présence des
mobiles, avis malheureusement venu de chez nous;
ils étaient sur leurs gardes.
Leur cavalerie s'était
mise en bataille au lieu dit le
Plant-Pinchon et
l'artillerie avait pris position près de
la Garenne, tandis
que l'infanterie s'avançait par le chemin de
Doudeauville.
Après avoir couvert le Thil
d'une centaine d'obus qui n'y occasionnèrent que
l'incendie d'une ferme, les Prussiens, n'éprouvant
aucune résistance, se ruèrent sur le village.
Les mobiles de l'Oise surpris,
s'étaient enfuis aux premiers coups de canon
d'autres, en assez grand nombre, s'étaient réfugiés
dans les maisons, où soixante-sept d'entre eux furent
faits prisonniers.
Un réfugié d'Etrépagny,
sur le simple soupçon qu'il pouvait bien être un
franc-tireur déguisé, fut impitoyablement fusillé
deux habitants
du Thil furent blessés
après quoi les Prussiens s'occupèrent
de lever des réquisitions.
Cependant le colonel Laigneau,
à la tête de ses
chasseurs, était arrivé dans la matinée
à Ecouis, où
il avait rallié plusieurs détachements de mobiles et
deux sections d'artillerie.
Vers onze heures, il arriva
en vue du Thil, sur
les hauteurs du Haut-Cruel, où
il avait été précédé par quelques compagnies franches.
A la vue de notre colonne, forte de plusieurs
milliers d'hommes, qui se déployait à droite et à
gauche de la route, l'ennemi s'empressa de faire partir
ses prisonniers ,et ses réquisitions sous l'escorte
de son infanterie, tandis que, pour couvrir ce mouvement,
il braquait ses deux canons en avant du château
du Thil, et ouvrait
le feu avec autant de précipitation
que de maladresse.
Mais bientôt nos pièces de 12 rayé, dirigées par le
lieutenant-colonel de Canecaude,
se mirent en batterie sur la route, à la
hauteur de Saussaye,
en avant du passage à niveau
du chemin de fer, et quelques coups bien pointés
firent taire l'artillerie prussienne.
Après cette courte
canonnade, qui, à midi, avait cessé de part et d'autre,
l'ennemi, déconcerté, reprit le chemin
de Gisors,
s'attendant sans doute à être poursuivi.
Il eût
été certainement facile d'anéantir cette poignée de
pillards qu'on avait sous la main, de délivrer nos prisonniers
et de reprendre les réquisitions; on avait
une occasion unique d'aguerrir nos troupes par un
succès facile nos jeunes soldats, qui entendaient pour
la première fois le canon français et, pour la première
fois, se voyaient en bataille et pouvaient se compter,
étaient animés de ce sentiment que donne aux plus
timides la conscience du nombre; ils attendaient le
signal de la poursuite et ils le sollicitèrent; mais
ce signal ne vint pas, et les chasseurs, qui eussent
sud à la tâche, ne furent même pas lancés.
Le
lieutenant-colonel
Laigneau était un ancien
et brave
militaire, couvert d'honorables blessures, mais, après
avoir vu s'engloutir nos armées régulières, il
n'avait qu'une médiocre confiance dans les armées
improvisées; d'ailleurs, il avait reçu l'ordre de ne
pas s'engager à fond, et il l'exécuta au pied de la
lettre, au grand désappointement des soldats.
Vers
trois heures, après s'être assuré, au moyen d'une
reconnaissance, de la retraite de l'ennemi, il fit
reprendre à ses troupes les cantonnements qu'elles
occupaient le matin.
L'affaire du Thil
eut le lendemain les honneurs d'un
bulletin officiel, qui dénotait, chez celui qui l'avait
rédigé, de singulières connaissances géographiques:
elle occasionna quelques jours plus tard une polémique
beaucoup plus vive que l'engagement lui-même,
et qui ne contribua pas à augmenter la confiance
des soldats dans leurs officiers.
Tout en désapprouvant
l'excessive circonspection de celui qui commandait
au Thil,
il est nécessaire de se rendre compte
de ce qui se passait alors
M. Thiers avait traversé
les lignes prussiennes et entamé à Versailles des
négociations afin d'obtenir un armistice.
La délégation
de Tours
approuvait-elle ces tentatives ou en
prévoyait-elle l'insuccès, toujours est-il que cette
démarche réagissait moralement sur les opérations
l'hésitation et le temps d'arrêt qui se produisirent
dans la marche
du général d'Aurelle
sur Coulmiers
n'eurent point d'autre cause.
En Normandie,
la signature de l'armistice avait été annoncée par
plusieurs journaux, et ce fut pour ces motifs que,
dans la rencontre du 5 novembre, qui, avec un peu
de résolution, eût été un succès certain, le colonel
Laigneau s'était
borné à une vaine et stérile démonstration.
Tandis que les fourrageurs
de Gisors s'avançaient
ainsi jusqu'au Thil,
la garnison de Magny
ne restait
pas inactive et lançait de fréquents détachements de
réquisition dans la direction
de Mantes,
de Vernon
et des Andelys.
Embuscades de Gommecourt (1e, 4 et 6 novembre)
Le 1e novembre, une patrouille du
3e régiment
des uhlans de la garde,
suivant la rive
gauche de l'Epte,
se dirigeait
sur Limetz.
Les cavaliers
d'avant-garde, le pistolet au poing, venaient de
traverser Gommecourt,
lorsque dans les bois qui
séparent ces deux communes, ils essuyèrent, vers dix
heures du matin, des coups de feu qui blessèrent grièvement
un des leurs et mirent les autres en fuite.
C'étaient des gardes nationaux
de Limetz,
Gommecourt,
Giverny et
autres communes avoisinantes
qui, exaspérés par les réquisitions, s'étaient armés
et organisés pour faire la chasse aux fourrageurs.
Dans la matinée du 4 novembre, les uhlans, revenus
plus nombreux à Gommecourt,
furent reçus de la
même façon ayant eu de nouveau un cavalier blessé
dans cet engagement, ils prirent leurs dispositions
pour fouiller les taillis d'où étaient partis les coups
de feu; mais ils ne trouvèrent qu'un paysan inoffensif
qui arrachait des pommes de terre sur la lisière
du bois; ils blessèrent ce malheureux et l'achevèrent
à coups de lance avec un acharnement que rien n'explique,
si ce n'est peut-être la montre qu'il portait
et dont il fut dépouillé.
Le même jour, vers midi,
les Prussiens poussent
jusqu'à Limetz, qu'ils fouillent
de fond en comble, mettent le feu à plusieurs habitations
et se replient
vers Magny.
Dans l'après-midi du 6 novembre, les uhlans du
même régiment se dirigent de nouveau
sur Gommecourt.
Une soixantaine de gardes nationaux les attendent,
postés dans les bois qui longent la
route d'Aménucourt
ils blessent un sous-officier et un uhlan,font,
en outre trois prisonniers et capturent quatre chevaux.
Le 9, les Prussiens revinrent en force, au nombre
d'environ 300, infanterie, cavalerie et artillerie,
fouillèrent les bois sans succès, lancèrent des obus
sur la Roche-Guyon
et tuèrent un idiot
qui s'avançait
bravement à leur rencontre avec un fusil hors de service.
Gommecourt en fut
quitte heureusement pour
des menaces d'incendie et un surcroît de réquisitions
en outre, les habitants furent contraints de
reconduire en voiture le détachement d'infanterie.
Le 3 et le 4 novembre, l'ennemi s'était également
montré aux environs
de Forêt-la-Folie et de
Guitry à cette
dernière date, une patrouille de quelques
uhlans avait été reçue à coups de fusil par de
francs-tireurs et des habitants de Forêt, qui, embusqués
derrière des silos de betteraves, démontèrent
un cavalier.
Le lendemain de l'affaire
du Thil, les
Prussiens, comptant désormais sur l'impunité, envoyèrent
de Gisors et
de Magny, dans les directions
de Mouflaines
et de Fontenay,
des reconnaissances
de toutes armes, dont les forces réunies pouvaient
s'élever à environ 1000 à 1200 hommes avec
quatre pièces d'artillerie.
Sac de Guitry et de Forêt-la-Folie (7 novembre)
Le 7 novembre, dès le matin,
le détachement de Gisors
arrivait à Mouflaines,
celui de Magny
à Fontenay,
puis à Tourny, et, dans
ces trois communes, les Prussiens se livraient à des
actes de désordre et de pillage.
Une patrouille de
uhlans envoyée de Fontenay
sur Guitry et Forêt,
essuya près de ce dernier village quelques coups de
feu qui lui blessèrent un cheval et la firent rétrograder
précipitamment.
Sans punir cette agression, les
Prussiens s'apprêtaient à regagner leurs cantonnements,
lorsque, vers dix heures, une vive fusillade se
fit entendre sur la lisière des bois
de la Couarde qui
sont situés sur le territoire
de Guitry, entre cette
commune et celles
de Mouflaines
et Forêt.
Voici ce qui s'était passé.
Un peloton de cavalerie, allant
de Mouflaines à Guitry,
suivait la
route d'Etrépagny
à Vernon; il
longeait des bois à l'extrémité desquels
s'était embusqué une section
de francs-tireurs de
la guérilla rouennaise
(capitaine Buhot) et quelques
habitants de Forêt-la-Folie.
Arrivés à environ trois
cents pas de l'embuscade, les uhlans essuyèrent une
décharge qui blessa un des leurs et força les autres
à tourner bride.
Le détachement
de Mouflaines demanda
du renfort à ceux
de Fontenay et
de Tourny;
et, peu de temps après, l'infanterie prussienne arrivait
et fouillait les bois.
Après avoir tenu quelque
temps les tirailleurs ennemis en respect, les francs-tireurs
et les gardes nationaux sont forcés de céder
le terrain; ils battent en retraite, sautant les haies,
escaladant les murs et se sauvent en
traversant Forêt-la-Folie.
Les fantassins prussiens se mettent à leur
poursuite; ils les ont vus franchir les murs de l'habitation
de l'adjoint au maire, et ce malheureux est massacré
sans pitié sous les yeux de sa fille au moment
où il ouvre sa porte aux assaillants.
Un garde-chasse,
pris les armes à la main, est criblé de balles et lardé
de coups de baïonnette; mais lui, du moins, a fait le
coup de feu et meurt en soldat après avoir vendu
bravement sa vie.
Pendant que ces scènes cruelles se passent
à Forêt-la-Folie,
le village de Guitry,
d'où n'est partie aucune
provocation, est ensanglanté par une boucherie horrible.
Le maire, M. Besnard, menacé plusieurs fois
d'être fusillé, n'échappe à la mort que par son sang froid,
et en est quitte pour voir son habitation incendiée
sous ses yeux mais, moins heureux que lui, huit
habitants qui reviennent des champs sont arrêtés et
égorgés un à un.
L'écrivain qui, dans un émouvant
récit, a le premier retracé ces scènes sanglantes, en
a justement flétri les auteurs.
Il n'y a qu'un mot
dans la langue française pour qualifier de tels actes,
ce sont des assassinats.
On a recherché les causes de la folie furieuse des
Prussiens; il n'y en a qu'une seule, c'est l'ivresse
causée par le pillage des caves du château
de Beauregard.
Quelques-uns ont prétendu que l'ennemi avait
subi des pertes considérables, et que c'était là le
motif de son exaspération et de ses représailles.
La vérité est que, dans toute cette journée, il n'eut qu'un
homme blessé; c'était un sous-officier
du 3e régiment
des uhlans de la garde, qui reçut une décharge de
plomb de chasse, et on a vu plus haut que le garde
particulier Lainé,
auquel on peut attribuer ce coup de
fusil, l'avait payé de sa vie.
Les Prussiens connaissaient probablement, dès le
6 novembre, l'insuccès des démarches relatives à l'armistice,
et cette nouvelle n'a peut-être pas été étrangère
à la rage qu'a montrée l'envahisseur en continuant
les hostilités.
En province, la rupture des
négociations ne fut connue que dans la soirée du 7;
ces tentatives avaient été une nouvelle cause de démoralisation
car, faire des ouvertures pour arriver
à la paix, c'était avouer que notre état était plus
que désespéré.
Néanmoins les doutes avaient disparu,
la situation était nette, et tant
que Paris tiendrait, la
France devait songer à se défendre.
On savait que,
par suite de la chute de Metz,
les Allemands disposaient
de forces considérables qu'ils allaient lancer
contre nos armées de province mais, avant l'irruption
de ce nouveau torrent, on aurait pu sérieusement
inquiéter les détachements ennemis qui couvraient
l'armée assiégeante.
La ligne d'occupation des Allemands, qui allait au
sud jusqu'à la Loire, s'étendait alors jusqu'à l'Eure
sur la rive gauche de la Seine
jusqu'à l'Epte sur la
rive droite, et se prolongeait au nord jusqu'aux villes
de Breteuil
et de Montdidier,
où les Saxons envoyaient
de fréquentes patrouilles.
Ces troupes n'avaient alors
aucun renfort à attendre de l'armée d'investissement,
et on aurait dû comprendre que ce système odieux
qui consiste à terrifier les populations, était un indice
même de la faiblesse des détachements qui le mettaient
en pratique.
Par exemple, le comte de Lippe,
qui formait à Beauvais
et à Clermont
l'aile droite de
ces corps d'occupation et qui faisait face en même
temps à Gournay et
à Breteuil,
c'est-à-dire à l'armée
de Rouen et à celle
d'Amiens,
était dans une position
critique et réduit aux expédients.
C'est ainsi que, le
4 novembre, il fit concentrer
à Beauvais, avec le
déploiement d'une forte escorte de cavalerie, l'infanterie
de la garde prussienne, qui était rappelée à
l'armée de siège et qui fut relevée par des compagnies
saxonnes; puis, dans la crainte que ce stratagème
ne fût pas suffisant pour nous donner le
change, le 5 novembre, il fit aux journaux
de Beauvais
la communication suivante: "80000 hommes
de l'armée allemande qui se trouvait
devant Metz
se dirigent, à marche forcée,
sur Amiens
et Rouen,
sous le commandement du
général de Manteuffel
Ils arriveront sous peu de jours à destination." »
Cet avis signifiait clairement, pour qui voulait
comprendre, que les Saxons attendaient avec la plus
grande impatience l'arrivée des renforts qu'ils nous
annonçaient;
on aurait dû profiter de cette situation,
et si, à ce moment, nos
troupes d'Amiens
avaient attaqué
le comte de Lippe,
et celles de Rouen
le prince Albert,
elles les eussent assurément reconduits tous
deux jusqu'à l'Oise;
l'armée de l'Eure pouvait
également refouler le
général de Rheinbaben
sur la rive
gauche de la Seine nous allions avoir en ce moment
même une lueur d'espoir et comme un sourire de la
fortune avec la
reprise d'Orléans
et la victoire de
Coulmiers;
et
qui sait si Paris
assiégé, au bruit du
canon des armées de secours, n'eût pas tenté à son
tour une sortie efficace?
Mais, au lieu d'agir de concert, nos troupes de
l'Ouest demeurent isolées et inactives.
Pendant que
celles du Nord se constituent et s'organisent, celles
de Normandie restent dans leurs positions sans même
songer à se former.
Depuis l'apparition de l'ennemi,
c'est-à-dire depuis un mois, le commandement a
déjà changé trois ou quatre fois de main sur la rive
droite comme sur la rive gauche de la Seine; à peine
les généraux ont-ils fait connaissance avec leurs
troupes, qu'ils sont remplacés ou relevés de leurs
fonctions.
Ces changements déplorables vont se
reproduire d'une manière incessante pendant toute
la durée de la guerre, et il ne faut pas s'étonner, dès
lors, s'il n'y a eu aucune suite dans les opérations de
nos chefs militaires et si les soldats n'ont pas été
animés envers eux de cette confiance qui est le premier
gage du succès.
A Lille, le général Bourbaki
lutte déjà contre mille difficultés et sera bientôt sacrifié
aux exigences des comités de défense;
à Rouen
le général commande provisoirement; les commandements
secondaires sont aussi provisoires, en sorte
que, dans une semblable situation, on ne peut que
répéter le mot de Napoléon Ie: "Mon Dieu! qu'est
ce qu'une armée sans chefs ! »
La petite guerre, nous voulons dire la guerre d'embuscades,
va donc continuer seule, rarement heureuse
et attirant presque toujours des représailles sur les
communes qui en sont le théâtre.
Embuscade de Bazincourt (8 novembre)
Depuis l'occupation
de Gisors, les uhlans avaient
établi un poste au nord-ouest
de Thierceville, sur la
lisière du bois
du Chaufour.
Ces cavaliers jouissaient
là, depuis un mois, de la sécurité la plus parfaite,
quand, dans la soirée du 8 novembre, le poste retournant
à Gisors essuya la décharge de quelques
Vengeurs de la mort, qui, à la faveur du brouillard,
s'étaient glissés dans les bois jusqu'à peu de distance
de Bazincourt.
Un uhlan eut le nez coupé et son cheval
resta sur la place.
Connaissant, pour l'avoir
éprouvée, la cruauté de l'ennemi, les habitants de
Bazincourt commençaient
à s'enfuir avec ce qu'ils
avaient de plus précieux, quand le maire, M. le
comte de Briey,
intervint auprès du prince Albert,
et put détourner les représailles dont sa commune
était menacée.
Les villages situés dans la vallée de la Levrière,
l'un des affluents de l'Epte, étaient souvent visités
par les patrouilles ennemies de la garnison de Gisors.
Dans la matinée du 10 novembre,
des Vengeurs de la mort,
venus
de Morgny,
s'embusquèrent dans les
broussailles qui entourent l'église
d'Hébécourt,
et firent
feu sur sept à huit uhlans.
L'un d'eux tomba, blessé
d'une balle à la cuisse; les francs-tireurs l'achevèrent
, le dépouillèrent et s'enfuirent en laissant sur la
route son cadavre nu et mutilé.
Dès que l'autorité
militaire française connut cette atrocité, elle en
traduisit les auteurs devant une cour martiale mais
les Prussiens n'attendirent pas la sentence pour exercer
leurs représailles.
Incendie d'Hébécourt (10 novembre)
Le soir même, Hébécourt est
cerné par un escadron de uhlans; deux canons, braqués
sur la route de Mainneville
à Gisors, entre les
hameaux des Landes et de la Perelle, brûlent et détruisent
sous leurs projectiles la ferme des Monts,
pendant que les fantassins du 27e régiment envahissent
la partie basse du village et portent leurs torches
incendiaires jusque sous le lit d'une femme en couches.
Le vénérable curé d'Hébécourt
est enlevé
comme otage, et, à la vue de sa paroisse en flammes,
cet infortuné vieillard, qu'on a maltraité et forcé
de gravir au pas de course une côte escarpée, tombe
pour ne plus se relever.
Quant aux Prussiens, ils ne
quittent le village que lorsqu'ils se sont bien assurés
que sa ruine est complète.
Ainsi, pour un Prussien tué, comme
à Hébécourt;
pour un uhlan blessé, comme à Forêt-la-Folie, fait
prisonnier comme à Etrépagny,
ou simplement démonté,
comme à Longchamps, les malheureux habitants
sont soumis à d'horribles vengeances.
Certes,
ces représailles étaient iniques; mais, les habitudes
de l'ennemi étant connues, il était insensé d'aller les
provoquer sans motif sérieux.
Expédition des Saxons à Ravenel (16 novembre)
Dans l'Oise, les embuscades ne produisaient guère
de meilleurs résultats.
Le 14 novembre, quelques
francs-tireurs, en reconnaissance aux environs de
Ravenel, firent feu, hors
de portée, sur une patrouille
de dragons saxons.
Ceux-ci en furent quittes pour
la peur, néanmoins ils rebroussèrent aussitôt sur
Saint-Just.
Là, ils apprirent qu'il y avait au château
de Ravenel, et
dans les ambulances de la localité,
une douzaine de nos blessés de l'armée du
Rhin, et ils s'imaginèrent que ces débris de nos
premiers désastres, dont pas un n'était en état de
tenir une arme, pouvaient bien être les auteurs
de la fusillade qu'ils avaient essuyée.
De retour à
Clermont, ils racontèrent cette fable en exagérant
le danger qu'ils avaient couru, et l'état-major
saxon ne voulut point perdre cette occasion de
rendre une commune responsable des coups de feu
tirés sur ses éclaireurs.
Le 16 novembre,ils revinrent en nombre; le détachement,
sous les ordres du
major de Funcke, se composait
de deux compagnies, deux escadrons et deux
canons; il arriva jusque dans
Ravenel sans rencontrer
la moindre résistance; là, le major saxon fit braquer
ses deux pièces sur le village, et menaça les habitants
d'un bombardement, s'ils ne livraient pas les agresseurs
de l'avant-veille.
Comme il était impossible de
satisfaire à une pareille exigence, la commune fut
frappée d'une contribution de guerre de 2000 francs,
le maire et l'adjoint furent emmenés comme otages,
et nos malheureux blessés, après un simulacre de
visite, déclarés prisonniers de guerre.
Au retour de cette brillante expédition, le major
de Funcke remarqua entre
Ravenel
et Saint-Just, sur
la commune du Plessier, un moulin à vent dont la
vue l'intrigua fort.
Ce moulin, qui tournait lors de son
passage, s'était arrêté à son retour, et il supposa que
dans cette intermittence, il pouvait bien y avoir un
signal.
Comme le héros de Cervantes, il résolut d'en
avoir raison, mais par des procédés moins
chevaleresques.
Sur son ordre, et pour faire un exemple:
um ein Exempel zupel zu statuiren,l'infortuné moulin
fut livré aux flammes.
Faisant allusion à Sans-Souci
et à la Silésie, un poëte écrivait jadis:
On respecte un moulin, on vole une province.
On voit que, de nos jours, les Allemands ont
oublié, à l'égard des moulins, l'exemple du grand
Frédéric.