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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 5 |
Nouvelles entreprises de la cavalerie ennemie sur l'Eure et sur l'Epte
Source : L. Rolin.
Situation militaire sur la rive gauche de la Seine au commencement d'octobre
Le général de Rheinbaben, qui
commandait la 5e division de cavalerie, et dont le
quartier général était toujours
à Saint-Nom, avait
la même mission que le comte de Lippe,
le prince Albert (fils)
et les autres chefs des divisions de
cavalerie allemandes, c'était de coopérer au vaste système
de réquisitions organisé autour de la capitale pour
tenir constamment remplis les magasins de l'armée
d'investissement.
Pour faciliter ses entreprises, on
lui avait adjoint, à la date du 29 septembre,
les 1e et 3e bataillons du 2e régiment bavarois "Prince royal"
et il avait aussitôt lancé un fort détachement sur la
ligne du chemin de fer du Havre.
Délogeant des
Alluets les éclaireurs de la Seine et dispersant à
Aigleville les mobiles qui avaient tenté de s'opposer
à son passage, le général de Bredow s'était avancé
jusqu'à Pacy
et Vernon , avait réquisitionné dans les
environs, et réuni sur la rivière de l'Eure de grandes
provisions de fourrage et de bétail, après quoi
il était retourné vers l'armée de siège, emmenant
son butin.
Sur la gauche de la 5e division de cavalerie , la 6e
(général-major duc Guillaume de Mecklembourg-Schwerin)
faisait des entreprises analogues sur la
ligne du chemin de fer de Chartres ; et nous avons
relaté l'expédition du colonel d'Alvensleben sur
Rambouillet , le combat
d' Épernon , la surprise et
l'incendie d' Ablis .
Enfin, pour aller jusqu'à l'extrémité de cette
seconde ligne d'investissement, le prince Albert (père) ,
qui opérait sur la gauche du duc de Mecklembourg ,
à la tête de la 4e division de cavalerie , avait été dirigé
sur la Loire dès le 17 septembre, et s'était avancé
de Melun sur le chemin de fer
de Paris
à Artenay .
Le 5 octobre, il rencontra nos troupes
à Toury , et,
à la suite de l'échec qu'elles lui firent éprouver, il
fut forcé de battre en retraite
sur Angerville , pour
remonter le lendemain
vers Étampes .
L'échec du prince Albert
à Toury amena la formation
du corps du général de Tann , que la 6e division
de cavalerie eut mission d'appuyer.
Le général de Rheinbaben ,
de son côté, reçut l'ordre de se mettre
en communication, à Houdan , avec le
duc de Mecklembourg , qui
occupait Rambouillet ; par suite
de ce mouvement de concentration des divisions de
cavalerie allemandes sur leur gauche, le
département de l'Eure, un instant envahi, se trouva tout
à coup dégagé.
De notre côté, après la rencontre d' Aigleville , le
colonel Cassagne avait évacué Évreux, et les patrouilles
ennemies avaient pu s'avancer jusqu'aux
abords de cette ville, entièrement dégarnie de troupes.
Les quelques bataillons de mobiles qui, dans les premiers
jour du mois, occupaient Pacy-sur-Eure et
Vernon , s'étaient repliés
sur Conches et
sur Louviers .
Les éclaireurs de la Seine , depuis la rencontre des
Alluets , s'étaient établis aux environs
de Pont-de-l'Arche ,
où ils se réorganisaient, de façon à pouvoir
reprendre leurs opérations dans la seconde
quinzaine d'octobre.
Dès qu'il avait eu connaissance de cet abandon
d'une partie du département de l'Eure, le général
Gudin avait fait passer sur la rive gauche de la Seine
un escadron du 12e chasseurs
(commandant Sautelet ),
appuyé par quatre compagnies du 94e de ligne .
Arrivé à Gaillon le 6 octobre, le
commandant Sautelet
réoccupa Vernon le 8; aux troupes que nous venons
de désigner, s'étaient joints
le 1e bataillon de la garde mobile de l'Eure
et
les francs-tireurs de Louviers .
D'autre part, des secours ayant été demandés
par le département de l'Eure au commandant de la
subdivision militaire du Calvados, le général Law
de Lauriston , celui-ci s'était empressé d'y envoyer le
régiment des mobiles du Calvados (lieutenant-colonel
de Beaurepaire ).
Le colonel Cassagne put donc faire
réoccuper Evreux le 7 octobre, et pousser le lendemain
les mobiles du Calvados
jusqu'à Pacy-sur-Eure .
Il avait déjà reçu comme renfort, à la date du 3 octobre,
le 1e bataillon de la garde mobile de l'Ardèche ,
qui allait être bientôt suivi des autres bataillons du
même département, en sorte qu'à la date du 8 octobre,
il avait des forces plus que suffisantes pour
couvrir Évreux.
De son côté, le général de Malherbe ,
commandant la subdivision de l'Orne, avait envoyé à
Dreux , le 6 octobre, le 2e bataillon de la garde mobile
de son département (commandant des Moutis ).
Ainsi, pour résumer la situation militaire sur la
rive gauche de la Seine au 8 octobre, il y avait,
du côté de l'ennemi, la 5e division de cavalerie en
observation sur la rivière de l'Eure, mais
principalement
concentrée sur sa gauche, vers Houdan ; elle
était forte de trente-six escadrons, avec deux
bataillons bavarois, en tout environ six à sept
mille hommes et douze canons.
Nous avions à la même date,
de Dreux
à Pacy
et Vernon , un escadron de
chasseurs,
quatre compagnies de marche de la ligne et
neuf bataillons de mobiles; total environ dix mille
hommes, sans artillerie.
C'était assurément un effectif
respectable; malheureusement les bataillons qui
le formaient, au lieu de relever d'un commandement
unique, restaient sous les ordres directs des chefs
de quatre subdivisions territoriales, qui dépendaient
eux-mêmes, pour la plupart, des comités locaux, en
sorte que ce petit corps d'observation ne devait pas
tarder à se disloquer.
Rencontres de Garancières (6 octobre) et de Condé-sur-Vègre (7 octobre)
Le 6 octobre, les éclaireurs de la 11e brigade de
cavalerie (général-major de Barby ), partirent de
Saint-Cyr ,
et s'avancèrent le long de la ligne du chemin de
fer de Surdon
jusqu'à Garancières ; dans cette
expédition,
un uhlan du 18e régiment fut blessé par des
francs-tireurs , près du hameau
du Breuil , ce qui
valut aux habitants le pillage et un surcroît de
réquisitions.
Le lendemain, un hussard du 3e régiment
"Zieten" , qui faisait partie d'une patrouille
appartenant
à la 6e division de cavalerie et venue de
de Rambouillet , reçut un coup de feu aux environs de
Condé-sur-Vègre .
Les Prussiens revinrent deux jours après
pour incendier le village, et tuèrent d'une balle un
habitant qui fuyait dans les bois.
Ce fut le 8 octobre que le général de Rheinbaben ,
pour appuyer le duc de Mecklembourg , vint s'établir
à Houdan , avec le gros de ses forces.
Première apparition des Prussiens à Dreux (8 octobre)
Le même jour,
une vingtaine de hussards prussiens, appartenant au
10e régiment de Magdebourg et à la 13e brigade
de cavalerie (général-major de Redern ), se présentèrent
à Chérisy , où ils firent des réquisitions, et
poussèrent
jusqu'à Dreux .
Arrivé aux portes de cette ville,
le chef de la patrouille fit remettre au maire un billet
réclamant des logements pour une colonne
imaginaire
dans laquelle figuraient deux régiments d'infanterie.
Le maire répondit aux hussards que la ville
de Dreux ne se rendrait pas à une poignée de
fourrageurs,
et que s'ils ne se retiraient pas au plus vite,
les habitants allaient leur donner la chasse.
L'officier
ennemi, tirant sa montre, persista plus que jamais
à annoncer l'arrivée prochaine de la colonne qu'il
disait précéder : il jugea prudent toutefois de faire
demi-tour, et se retira à fond de train sur
Chérisy .
Là, les hussards faisaient une halte pour
prendre leur repas et laisser souffler leurs chevaux,
quand, vers deux heures de l'après-midi, ils furent
surpris par des gardes nationaux de Dreux , qui,
s'étant mis à leur poursuite, leur tuèrent un cheval
et leur firent un prisonnier.
Comme on l'a vu plus haut, le 2e bataillon de la
garde mobile de l'Orne était arrivé
à Dreux quelques
jours auparavant; de là il s'était porté à
Nogentle-Roi,
en observation sur Epernon, qui avait été
occupé par les Allemands à la suite du combat du
4 octobre.
Ayant appris l'apparition des hussards
prussiens à Dreux, le commandant des Moutis se
rendit dans cette dernière ville sans perdre de temps,
et, dans la nuit du 8 au 9, il prit ses dispositions
pour recevoir l'ennemi, s'il se présentait de nouveau.
Combat de Chérisy (9 octobre)
Le 9 octobre, un détachement combiné, fort
d'environ deux compagnies, deux escadrons et deux
pièces, revint en effet à Chérisy pour prendre les
réquisitions que les hussards avaient levées la veille.
Vers onze heures, les Allemands sont en vue: fidèles
à leur tactique, ils fouillent les bois de leurs obus,
et en couvrent le terrain dans toutes les directions,
afin de tenir les nôtres à distance.
Des gardes nationaux de Dreux et des volontaires des environs
s'étaient portés sur Chérisy dès le matin, afin de
maintenir l'ennemi de front et de le menacer sur sa
droite, tandis que les mobiles de l'Orne l'attaqueraient
sur son flanc gauche.
A une heure, ces
derniers, venus de Villemeux,
entrent en ligne: à la
vue de ces compagnies qui débouchent des bois de
Marsauceux, l'ennemi se retire précipitamment, sans
prendre le temps d'enlever ses réquisitions, et
laissant derrière lui quelques fantassins chargés de garder
le pont de Chérisy.
Attaqué vigoureusement, ce petit
poste est bientôt enlevé par les nôtres, et le reste
de l'infanterie bavaroise, forcé d'abandonner son
butin et de passer sous le feu des éclaireurs de
Dreux, embusqués dans les
bois de Raville, est
promptement mis en déroute.
Dans cette affaire,
un ou deux des nôtres seulement furent blessés; les
fantassins bavarois du 2e régiment "Prince royal"
essuyèrent des pertes sensibles: trois d'entre eux
furent tués, et une dizaine blessés ou faits prisonniers.
Incendies de Chérisy et de Septeuil (10 octobre)
En apprenant les résultats de la journée, le
sous-préfet de Dreux appela les gardes nationaux les plus
rapprochés de la ligne du chemin de fer, et demanda
des renforts.
A sa sollicitation, le 3e bataillon de
la mobile de l'Orne (commandant Boudonnet) reçut
l'ordre de se porter sur Dreux, afin de coopérer avec
le 2e bataillon à la défense de cette ville.
Le commandant des Moutis, prévoyant bien que,
fidèle à ses habitudes de représailles, l'ennemi
reviendrait en force pour venger son échec de la veille,
fit barricader, dans la matinée du 10 octobre, les
ponts de Chérisy et
de Mézières; le premier fut gardé
par les mobiles, le second par les gardes nationaux
du pays.
A droite, des éclaireurs de Dreux (capitaine
Troncy) occupèrent les bois qui s'étendent vers
Marsauceux; à gauche, d'autres volontaires (capitaine
Laval) furent dirigés sur les
bois de Raville.
Une compagnie de mobiles avait été établie
de grand'garde en avant de Chérisy; vers onze heures et demie,
cette compagnie se repliait à la hâte sur la barricade,
annonçant la présence d'une colonne ennemie qu'elle
évaluait à deux mille hommes, infanterie, cavalerie
et artillerie.
Quelques instants après, le canon
commençait à fouiller les bois; puis les uhlans
hanovriens du 13e régiment parcouraient rapidement une
ligne allant de Germainville au
village de Mézières;
arrivés aux abords de ce village, ils furent accueillis
par la fusillade de nos tirailleurs, qui leur tuèrent
un homme, en mirent un autre hors de combat,
et blessèrent cinq ou six chevaux.
Derrière ces
cavaliers, les tirailleurs bavarois s'étaient déployés
à droite et à gauche des hauteurs de Chérisy, et, sous
la protection de leur artillerie, ils forcèrent les
nôtres à rallier leurs réserves.
Sur ces entrefaites, des
détachements de la garde nationale de Laigle, suivis
du 3e bataillon de la garde mobile de l'Orne,
arrivèrent
comme renforts.
Ce dernier bataillon fut formé
en deux colonnes: l'une devait tourner l'ennemi sur
la droite, par la vallée de l'Eure et le village de
Mézières; l'autre, s'avancer par la gauche, en longeant
le chemin de fer, jusqu'à la ferme de la Mésangère;
mais la colonne de gauche se vit arrêtée au tunnel
du Petit-Chérisy, et celle de droite, en arrivant dans
le village de Mézières, essuya quelques coups de
canon, qui causèrent dans ses rangs une hésitation
bientôt changée en panique.
Le mouvement était
manqué; mais au centre, le commandant des Moutis,
avec les mobiles de son bataillon, armés de fusils
Chassepot, et avec les gardes nationaux de Dreux,
se maintint dans ses positions et contint les efforts
de l'ennemi, qui essaya plusieurs fois, mais
inutilement, de s'emparer du pont de Chérisy.
Pendant ce temps les fantassins bavarois, la torche
à la main, mettaient le feu à la ferme de la Mésangère
et à une soixantaine de maisons de Chérisy.
C'était un nouvel exemple de la guerre de terreur; le
général de Bredow, car c'était lui, renouvelait les scènes
de Mézières, par lesquelles il s'est acquis dans ces
malheureuses contrées une renommée impérissable.
Vers quatre heures, son œuvre de dévastation achevée
et sa vengeance assouvie, il reprit le chemin
de Houdan, laissant derrière
lui Chérisy en flammes.
Au même moment, les éclaireurs de la brigade de
Redern, venus de Maule, faisaient éprouver le même
sort au village de Septeuil.
Là un hussard ivre, du
10e régiment de Magdebourg, tirant à tort et à travers
dans les rues, avait tué un habitant inoffensif.
Quelques gardes nationaux exaspérés s'embusquèrent
et firent expier ce meurtre aux hussards; mais ceux-ci,
pour se venger à leur tour, mirent le feu à une
douzaine d'habitations et se livrèrent au pillage,
sous les yeux de leurs chefs, qui, lorsqu'ils le
voulaient, savaient faire respecter la propriété et la vie
humaine.
Après avoir occupé quelques instants les ruines de
Chérisy, les nôtres s'étaient repliés sur Dreux dans
la soirée, ayant perdu dans cette affaire deux tués
et une douzaine de blessés.
Evacuation et réoccupation de Dreux (11 octobre)
Le 3e bataillon de l'Orne
s'étant en grande partie dispersé pendant l'action, le
commandant des Moutis, sans artillerie, restait seul
avec son 2e bataillon, fatigué par une lutte de deux
jours et à court de munitions; il n'était pas en force
pour défendre Dreux d'une manière efficace, dans le
cas où l'ennemi chercherait à lui faire subir le sort
qu'il venait d'infliger à Chérisy.
La ville de Dreux,
située au fond d'une vallée et dominée de tous côtés
par des hauteurs, n'était pas défendable avec d'aussi
faibles ressources; en conséquence, il se replia
dans la nuit du 10 au 11 sur Vert en Drouais; là, il
trouva un ordre du général de Malherbe, lui
enjoignant de diriger son 2e bataillon sur Verneuil et
le 3e sur Laigle.
Tandis que ces événements se passaient à Chérisy
et à Dreux, le
colonel Cassagne s'était établi à Merey
avec le 3e bataillon de la mobile de l'Eure et une
partie du 2e; il avait dirigé sur sa gauche, à Pacy, le
ler bataillon de la garde mobile de l'Ardèche, et, sur
sa droite, à Saint-Georges, Anet et Ivry-Ia-Bataille,
le régiment de la garde mobile du Calvados.
Par une
marche de moins de deux lieues, qui les eût portés
sur la lisière de la forêt de Dreux,
les mobiles du Calvados cantonnés
à Saint-Georges et
à Anet auraient
pu, en menaçant l'ennemi sur son flanc droit, empêcher
le désastre de Chérisy, dont ils restèrent les
spectateurs indignés mais immobiles.
Par suite du manque d'entente et d'unité dans
le commandement, ce fut seulement dans la matinée
du 11 que la ville de Dreux,
évacuée pendant la nuit par les mobiles de l'Orne,
fut occupée par ceux du Calvados.
Le même jour le colonel Cassagne, laissant
à Pacy
le bataillon de l'Ardèche, se porta au
sud d'Evreux,
sur Avrilly, pour aller,
le 13, occuper Damville.
A peine installé à Dreux
avec les mobiles du Calvados, le
colonel de
Beaurepaire obtint du général commandant la
région de l'Ouest l'autorisation de rester dans
le département d'Eure-et-Loir; puis il demanda
des renforts de tous côtés: son régiment de mobiles,
deux bataillons
du Lot-et-Garonne, un
bataillon
de la Manche, une batterie d'artillerie, un peloton
de gendarmes et plusieurs compagnies franches
formèrent sous ses ordres un petit corps
s'élevant à plus de 6000 hommes.
Situation militaire dans le département de l'Eure à l'arrivée du général de Kersalaun
Grâce à l'arrivée de ces renforts, on se serait
trouvé en mesure de repousser les Allemands s'ils
s'étaient présentés; mais, bien loin de renouveler
ses attaques sur Chérisy,
le général de Rheinbaben avait
évacué Houdan.
A la suite du combat d'Artenay, il avait reçu
l'ordre de reprendre ses anciennes positions,
et il dirigea sur
Mantes la
13e brigade de cavalerie (général-major de Redern),
qui prit possession de cette ville le 18 octobre.
A cette dernière date, le général de brigade de
Kersalaun, du cadre de réserve, avait été mis à
la tête de la subdivision de l'Eure, en remplacement
du colonel du génie Rousseau, qui remplaçait
lui-même le colonel Cassagne, appelé au commandement
de la place de Douai.
L'escadron du 12e chasseurs
et les compagnies du 94e de ligne qui occupaient
Vernon avaient été rappelés le 15 octobre sur la
rive droite de la Seine mais, d'autre part, les
troupes de l'Eure s'étaient accrues de deux nouveaux
bataillons de la garde mobile de l'Ardèche; en
outre, les Éclaireurs de la Seine s'étaient reformés
en un régiment ayant un effectif d'un peu plus de
700 hommes.
Les forces totales dont le
général de Kersalaun,
arrivé le 20 à Évreux,
disposait pour
la défense de la ligne de l'Eure, étaient donc les
suivantes: le 41e régiment de la garde mobile de
l'Ardèche (lieutenant-colonel Thomas)
le 39e régiment
de l'Eure
(lieutenant-colonel d'Arjuzon);
le 6e bataillon de la Loire-Inférieure
(commandant Manet);
le 1e régiment des éclaireurs de la Seine
(colonel
Mocquard) et la
1e compagnie des éclaireurs de
Normandie
(capitaine Trémant);
en tout, près de
8000 hommes sans cavalerie ni artillerie.
Ces forces, réunies sousle commandement du colonel
Mocquard, formèrent,
de Vernon
à Ivryla-Bataille,
le corps d'observation de la vallée de l'Eure,
appuyé sur sa droite à Dreux
par celui du colonel de Beaurepaire.
Le colonel Mocquard, qui avait pour mission de
couvrir Evreux et de s'opposer aux incursions
et aux
déprédations de l'ennemi,
était allé s'établir le 19 octobre à Hécourt, sur la
rive droite de l'Eure, avec quatre compagnies du 3e
bataillon de l'Ardèche (commandant de Montgolfier),
les Éclaireurs de la Seine et ceux de Normandie.
Le 2e bataillon de l'Eure, sous les ordres du lieutenant-colonel
d'Arjuzon, était campé dans
la forêt de Pacy-sur-Eure;
Ivry-IaBataille, Pacy, Vernon et Gaillon étaient occupés
par les autres bataillons de l'Ardèche, de l'Eure et
de la Loire-Inférieure.
Dans la matinée du 20
octobre, une centaine de fourrageurs venus
de Mantes
se présentèrent à Villegats.
Au moment où on leur
livrait les réquisitions qu'ils avaient exigées,
quelques Éclaireurs de la Seine pénétrèrent dans
le village, et, après un échange de coups de feu
dans lequel un des nôtres fut tué, les Prussiens,
ignorant sans doute le petit nombre de leurs adversaires,
prirent la fuite en abandonnant leur butin.
Le lendemain, les mobiles de l'Ardèche et les
Éclaireurs de la Seine, en poussant une reconnaissance
sur Saint-Illiers-la-Ville, y rencontrèrent de nouveau
les fourrageurs, leur tuèrent un homme, et en
blessèrent un autre qui fut fait prisonnier.
Il était à supposer que l'ennemi chercherait à se
venger: le colonel Mocquard reçut en effet à son
camp d'Hécourt des renseignements qui lui faisaient
prévoir qu'il serait attaqué le lendemain par une
partie de la garnison de Mantes.
Il donna des ordres en conséquence, fit explorer
le terrain dans la matinée du 22 octobre par
quelques éclaireurs montés sur des chevaux pris
à l'ennemi et qui formaient toute sa cavalerie;
à dix heures, il était prêt à opérer une forte
reconnaissance.
Il n'y avait alors à Hécourt que
les troupes indiquées plus haut, formant
ensemble un effectif d'environ 1200 hommes.
Elles furent réparties en deux colonnes qui, dans leur marche,
devaient décrire chacune un demi-cercle et se rejoindre à Lommoye,
point situé entre Mantes et le
bois d'Hécourt.
Combat de Villegats (22 octobre)
Mais tandis que le colonel Mocquard
prenait ces dispositions,
les hussards de Magdebourg
entouraient Villegats
et Cravent,
et le général de Redern, avec le
reste de sa cavalerie,
le 3e bataillon du régiment
bavarois "Prince royal"
et une batterie
d'artillerie, prenait position entre les deux villages.
Aussi, au moment où, vers onze heures du matin, les nôtres
allaient se mettre en marche, ils se virent subitement et
vivement attaqués, surtout par l'artillerie, dont les obus,
tombant sur notre tête de colonne qui débouchait des bois,
y causèrent des pertes sensibles.
Le colonel Mocquard fit
aussitôt déployer toute sa troupe en tirailleurs; lui-même,
au centre, marchait sur Villegats;
sa droite formée par les
éclaireurs du capitaine Trémant,
s'avançait à couvert sur
Cravent, en suivant une vallée
profonde qui passe par les
hameaux des Vieilles-Maisons
et des Carrières;
à gauche, la
garde mobile de l'Eure
quittait son campement de la forêt
de Pacy,
occupait Chaufour
et en repoussait les éclaireurs
qui s'y présentaient.
A Villegats, le centre soutint avec
énergie les efforts de l'ennemi, donnant ainsi le temps à
la droite, qui avait cheminé à couvert, d'entrer en ligne
à son tour lorsque les Allemands la virent déboucher, ils
cédèrent précipitamment le terrain; la cavalerie et l'artillerie
s'enfuirent au galop, et l'infanterie bavaroise se sauva au
pas de course, abandonnant sabres et schakos.
Les nôtres
les poursuivirent
avec un élan remarquable, jusqu'au moment où le
colonel Mocquard , craignant d'exposer sa faible
troupe en l'engageant trop loin, fit sonner la retraite;
vers quatre heures il rentrait au camp d'Hécourt .
C'était un vrai succès; c'eût été une victoire si la
poursuite avait été continuée, car les artilleurs
hanovriens ,
en déroute complète, embourbèrent leurs
pièces dans les terres détrempées de la plaine de
Lommoye, à peu de distance du champ de bataille.
Dans cette journée, qui fait le plus grand honneur à
nos troupes, leurs pertes s'élevèrent à six hommes
tués ou atteints mortellement et une dizaine de blessés;
parmi ces derniers se trouvait le commandant
Guillaume ,
des Eclaireurs de la Seine , qui eut le bras
fracturé et subit le lendemain l'amputation avec le
même courage dont il avait fait preuve sur le champ
de bataille.
L'ennemi, de son côté, avait essuyé la perte de
dix hommes tués, parmi lesquels un officier du
11e hussards , qui s'était toujours montré au premier
rang pendant l'action et avait fait preuve d'une grande
bravoure.
C'était l'officier d'ordonnance du général
de Redern , le second lieutenant
de Kalckstein ; son
nom, mal déchiffré par les Éclaireurs de la Seine,
leur fit supposer qu'ils avaient tué le fils du général
de Falkenstein , auquel ils attribuèrent bien
gratuitement
le grade de lieutenant-colonel d'artillerie.
Le soir du combat de Villegats , le colonel
Mocquard ,
trompé par de faux renseignements et
craignant
un retour offensif de l'ennemi, leva son camp
et le transporta dans la forêt de Pacy ; le lendemain,
il alla s'établir derrière la rivière de l'Eure, sur les
hauteurs boisées de Bosc-Roger ; enfin le 30 octobre,
les Allemands n'ayant manifesté aucune intention
agressive depuis leur échec du 22, il reprit son
campement
du bois d'Hécourt .
A partir de cette date jusqu'au
19 novembre, les positions des troupes de
l'Eure ne subirent que de légères modifications
et furent à peu près les suivantes:
Sur notre gauche, dans la forêt de Bizy, couvrant
Vernon,
le 1e bataillon de l'Ardèche (commandant
de Guibert ) et le
1e de l'Eure (commandant
Guillaume );
à Chaignes , le
2e bataillon de l'Eure (commandant
Ferrus );
à Aigleville et à
Pacy , le
3e bataillon
de l'Ardèche (commandant
de Montgoiner );
au camp d'Hécourt , les
Éclaireurs de la Seine
(colonel Mocquard ), ceux de Normandie (capitaine
Trémant )
et le 6e bataillon de la Loire-Inférieure
(commandant Manet );
à Saint-Chéron et à
Merey , le
3e bataillon
de l'Eure (commandant
Power );
à Garennes et à
Ivry-la-Bataille,
le 2e bataillon de l'Ardèche
(commandant Bertrand ).
Situation militaire sur la rive droite de la Seine à l'arrivée du général Briand
Sur la rive droite de la Seine, le
général Briand ,
ancien colonel du 2e spahis, avait été récemment
nommé au grade de général de brigade et au
commandement
de la 2e division militaire; il ne changea
rien aux dispositions prises par le
général Gudin pour
la défense de la Seine-Inférieure, et maintint sur la
ligne de l'Andelle
les troupes qui s'y trouvaient
établies;
groupées autour des deux régiments de cavalerie
qui occupaient Fleury
et Forges , elles formaient
deux petits corps chargés de
couvrir Rouen , l'un sur
la route de Gisors , et l'autre sur celle
de Beauvais ,
le premier opposé au prince Albert et le second au
comte de Lippe .
Le corps de Fleury-sur-Andelle, qu'on appelait
quelquefois
improprement le camp de Grainville, était
sous les ordres du lieutenant-colonel Laigneau, qui
commandait le 12e régiment de chasseurs en l'absence
du colonel de Tucé, mis à la tête de la subdivision
militaire de la Seine-Inférieure.
Ce corps se composait
des troupes suivantes, ainsi réparties:
à Fleury,
le 12e régiment de chasseurs (lieutenant-colonel
Laigneau);
à Pont-de-l'Arche et à Pont-Saint-Pierre, les
le et 2e bataillons de la mobile des Landes
(commandants Beaume
et Esplendes);
à Grainville,
le 1e bataillon de la Loire-Inférieure
(commandant Ginoux);
à Charleval,
le 2e bataillon des Hautes-Pyrénées
(commandant Debloux);
à Ménesqueville,
le 2e bataillon de marche des 41e et 94e de ligne
(commandant Rousset);
en avant de cette ligne,
à Cressenville,
le 2e bataillon de la Seine-Inférieure
(lieutenant-colonel Welter), détachant trois
compagnies à Mesnil-Verclives (commandant Rolin).
Le corps qui occupait la vallée supérieure de
l'Andelle et le pays
de Bray, sous les ordres du colonel
d'Espeuilles, comprenait les troupes suivantes, ainsi
réparties:
à Argueil et
à Forges,
le 3e régiment de
hussards
(colonel d'Espeuilles);
à la Feuillie,
les 1e et 8e bataillons de la mobile du Pas-de-Calais
(commandants de Livois et Darceau);
à Argueil,
le 1e bataillon des Hautes-Pyrénées
(commandant Laffaille) et le
4e de l'Oise
(commandant Héricart de Thury);
à
Forges et à Gaillefontaine,
le 1e bataillon de l'Oise
(commandant Cadet), que viendra plus tard appuyer
le 5e bataillon de marche des 19e et 62e de ligne
(commandant Barreau).
Chacun de ces petits corps avait reçu le 20 octobre
une section de canons de 12 rayés de la 2e
batterie du 10e régiment d'artillerie
(capitaine Lenhardt).
En avant de cette ligne se mouvaient divers corps
francs qu'un décret du 29 septembre avait mis à la
disposition du ministre de la guerre, mais dont il
n'est pas facile de fixer exactement les positions, par
ce motif que la plupart d'entre eux continuaient d'agir
à leur guise et n'étaient rattachés que nominalement
aux divers détachements qu'ils étaient censés couvrir.
Voici, par ordre alphabétique, la nomenclature d
e ces divers corps, qui étaient plus particulièrement
groupés aux abords de la forêt de Lyons,
à Cressenville,
Gaillarbois, Touffreville, Verclives, Nojeon-le-Sec,
Puchay, Morgny et Lyons-la-Forêt.
Compagnie de marche de Dieppe
(capitaine Angot);
compagnie d'Éclaireurs de la garde nationale d'Elbeuf
(capitaine Julien);
compagnie d'Éclaireurs rouennais
(capitaine Desseaux);
compagnie de francs-tireurs des Andelys
(capitaine Desestre);
section de Bolbec (lieutenant Pimont);
section de Cherbourg (lieutenant Bitouzé);
compagnie de Louviers (capitaine Garnier);
demi-bataillon du Nord (commandant Rondot);
section de l'Orne (commandant de Beautot);
compagnie des fusiliers-marins de Dieppe (capitaine Godard);
guérilla rouennaise (capitaine Buhot);
tirailleurs havrais de la 1e compagnie (capitaine Jacquot),
de la 2e (lieutenant Bellanger) et de la 3e
(capitaine Moquet), auxquels
viendront se joindre plus tard la 4e compagnie
(capitaine Roux) et celle des Vengeurs
(capitaine Deschamps).
A ces divers corps francs étaient
attachés quelques cavaliers irréguliers,
entre autres des guides à cheval de la Seine-Inférieure,
commandés par le duc de Chartres, qui, caché sous le nom de
Robert Lefort, payait obscurément sa dette à sa patrie.
La réunion de ces diverses troupes, auxquelles on
a donné le nom d'armée de l'Andelle, comprenait
donc en somme, à la date du 22 octobre : deux
régiments de cavalerie comptant chacun moins de 300
chevaux; douze bataillons de marche de la ligne et
de mobiles ayant un effectif moyen d'environ mille
combattants et une quinzaine de corps francs de la
valeur moyenne d'une compagnie; au total, un peu
plus de 14000 hommes avec six canons.
Les détachements du prince Albert et du comte de
Lippe, auxquels ces troupes étaient opposées, avaient
à la même date une force totale de six bataillons,
vingt-quatre escadrons et cinq batteries, soit 8 à
9000 hommes et trente canons.
Sans doute avec nos 14000 hommes de l'armée
de l'Andelle, bien que la plupart mal armés, mal
équipés et sans grande cohésion, on eût pu, malgré
la faiblesse de notre artillerie, déloger les Prussiens
et les Saxons de Gisors et
de Beauvais; ce résultat
eût été obtenu bien plus facilement encore, si l'armée
d'Amiens avait bousculé le comte de Lippe tandis
que celle de Rouen aurait culbuté le prince Albert.
Mais, pour cela, il eût fallu chez nous une entente
qui, malheureusement, n'existait nulle part, ainsi
qu'on l'a vu au commencement de ce chapitre en
suivant les événements de la rive gauche de la Seine.
Sur la rive droite, l'armée d'Amiens, en train de se
constituer sous le général Farre, reste forcément dans
l'inaction.
Le général Briand, arrivé depuis peu de
temps et qui dans quelques jours quittera son
commandement, ne voulut pas s'attaquer seul à des
troupes aguerries et à même de recevoir des
renforts: il se tint strictement sur la défensive dans les
positions choisies par son prédécesseur.
Quelques corps francs, las de cette inaction, vont
opérer isolément dans la zone qui sépare les deux
armées; ils vont harceler et fatiguer les patrouilles
ennemies en leur faisant la guerre de surprises, et
ces opérations, sans grands effets meurtriers et sans
aucun résultat au point de vue militaire, attireront
sur nos campagnes les plus terribles représailles.
Les lieux choisis de préférence par les francs-tireurs
de la vallée de l'Andelle pour dresser leurs embuscades
étaient les environs d'Etrépagny et les abords des
bois de Doudeauville et
de la Héronniére; c'est là
qu'ils attendaient d'ordinaire les uhlans de la garde,
ces hardis cavaliers qui, partant de Gisors,
sillonnaient les environs pour faire leur service
d'éclaireurs, achever de désarmer les communes, et surtout,
pour réquisitionner des fourrages et du bétail.
Le 19 octobre, vers midi, un détachement de
tirailleurs havrais se rendit
à Étrépagny dans le but
d'empêcher l'ennemi d'enlever des réquisitions qu'il
y avait imposées la veille.
Embusqués en avant de la
ville, près du cimetière, derrière des meules de blé,
les francs-tireurs saluèrent par une fusillade hors
de portée les premiers uhlans qui se présentèrent.
Comme il était tard et que les fourrageurs n'étaient
pas nombreux, ils ne poussèrent pas plus loin ce
jour-là;
mais ils ne devaient pas tarder à revenir en force,
car le prince Albert, croyant le bourg sérieusement
occupé par nous, décida pour le lendemain une
expédition à laquelle il fit concourir les garnisons de
Gisors et
de Magny.
La colonne principale, partant de Gisors, devait
s'avancer par la route de Paris; la colonne auxiliaire
venant de Magny devait suivre le chemin des
Thilliers à Etrépagny, de manière à aborder de deux côtés
à la fois cette dernière position.
Étrépagny n'avait
alors aucun moyen de défense; les tirailleurs havrais
avaient regagné leur campement dans la soirée du 19.
Bombardement de la Broche (20 octobre), de Vernon (22 octobre), de Longchamps (24 octobre)
Une centaine de francs-tireurs de Louviers
(capitaine Garnier) arrivés à la fin de cette
escarmouche, s'installèrent dans le parc du château de
M. de Corny, situé dans les bois de la Broche,
position qui commande la route de Gisors.
Le lendemain, vers huit heures du matin, les trois uhlans
légendaires étaient signalés dans la direction de
Bézu-Saint-Eloi.
Un franc-tireur, ne pouvant résister
au désir d'essayer la portée de sa carabine,
leur envoya, à près d'un kilomètre, un coup de feu qui
n'eut d'autre résultat que de faire connaître à
l'ennemi le lieu précis occupé par les nôtres;
quelques heures plus tard, le château et le parc de la Broche
étaient complétement cernés par les uhlans, qui
avaient prévenu la colonne de Gisors et avaient reçu
comme renfort un piquet d'infanterie montée et une
section d'artillerie.
Pour essayer de se reconnaître,
le chef des francs-tireurs examinait la position du
haut d'un petit pavillon de garde, quand il se trouva
brusquement séparé de sa troupe qui s'était jetée
dans les bois.
Resté avec deux domestiques, dans un
grenier dont le canon défonçait la toiture, le
capitaine Garnier eut à soutenir un véritable siège.
Sommé de se rendre, il répondit par une décharge
de son revolver et par les appels de sa trompe, au
son de laquelle il essayait de rallier ses hommes et
qui ne trouvait d'écho que dans les hurrahs
prussiens : traqué comme une bête fauve, il
n'échappa
que par miracle aux balles, aux obus et à l'incendie;
il en fut quitte pour une blessure légère, et après avoir
renversé un uhlan qui tentait de lui barrer le passage,
il put gagner le taillis, rejoindre quelques-uns des
siens et, plus tard, le gros de sa troupe qui avait été
recueilli dans les bois de Frileuse par les
francs-tireurs des Andelys
(capitaine Desestre).
Quant aux
Prussiens, furieux de s'être laissé arrêter par trois
hommes dont deux sans armes, ils dévalisèrent et
brûlèrent le château de la Broche; après quoi ils se
rendirent à Étrépagny, pillèrent quelques boutiques,
et imposèrent à la ville une contribution de quatre
mille francs pour la punir d'avoir donné asile à des
francs-tireurs.
Deux jours plus tard, le 22 octobre, au moment
où, sur la rive gauche de la Seine, les Allemands
étaient repoussés de Villegats par le colonel
Mocquard,
le prince Albert, pour se mettre en
communication avec le général de Redern et l'appuyer au
besoin par cette démonstration, avait dirigé sur
Vernon un détachement de toutes armes formé par les
uhlans du 1e régiment de la garde, un piquet
d'infanterie montée et une section d'artillerie.
Arrivé à
Vernonnet, ce détachement se vit arrêté par la Seine,
le génie français ayant fait sauter le pont dans la
soirée du 14 octobre.
De la rive droite l'ennemi
héla les bateaux amarrés à l'autre bord et demanda
le maire de Vernon: un coup de carabine tiré par
un gendarme fut la seule réponse qu'il obtint.
Ce fut aussi le signal d'un bombardement: deux pièces
braquées sur la route des Andelys en face de la
caserne et du parc des équipages, lancèrent sur la ville
une cinquantaine d'obus qui n'y causèrent
heureusement
que des dommages matériels.
Vers deux heures,
la colonne ennemie fit demi-tour, sans avoir pris le
repas que les habitants de Vernonnet avaient été
requis de lui préparer.
C'est que, pendant le bombardement,
on avait battu le rappel et sonné le tocsin
dans les communes voisines.
Les Prussiens
craignaient que leur retraite ne fût inquiétée; et en effet
ils ne purent l'effectuer sans encombre.
Un braconnier
émérite, des environs de Panilleuse,
s'embusqua
dans la forêt de Vernon, à un coude que fait
la route entre la fontaine de Tilly et le castel de
Saulseuse,et il attendit là le retour de l'ennemi.
Après avoir
laissé passer l'avant-garde, il ajusta le cavalier qu'il
prit pour le chef de l'expédition, et d'un coup de fusil
tiré avec adresse, il lui fit mordre la poussière; puis
il prit la fuite, poursuivi par une vive fusillade.
Les fantassins mirent pied à terre pour fouiller le bois,
tandis que les uhlans le cernaient, et ils ne tardèrent
pas à rencontrer trois ou quatre autres paysans armés,
qui tous firent le coup de feu avec non moins de
succès que leur compagnon; chacun d'eux tua ou
blessa son homme, après quoi tous s'enfuirent, sauf
un seul qui fut pris et paya pour les autres.
Ces braconniers avaient admirablement choisi cet endroit
pour attendre l'ennemi: tant il est vrai que la chasse
est l'école primaire de la guerre!
En dressant
leur embuscade loin des cantonnements prussiens et dans
une forêt où il était difficile d'exercer des représailles,
ils avaient donné à certains chefs de corps francs
une leçon qui ne fut malheureusement pas suivie,
comme on va le voir.
Dans la matinée du 24 octobre, quelques
francs-tireurs
partis de Morgny allèrent s'embusquer aux
abords du village de Longchamps, tirèrent sur une
patrouille ennemie qui débouchait d'Heudicourt, et
démontèrent un cavalier.
Les uhlans eurent plus de
peur que de mal, mais ils résolurent néanmoins de
tirer vengeance de cette surprise, et le lendemain,
ayant à leur tête le major baron de Korff, ils
revinrent
en force avec du canon.
Les nôtres, de leur côté,
prirent leurs dispositions, et le 24 au matin, deux
compagnies des francs-tireurs du Nord (commandant
Rondot), auxquelles se joignirent
des tirailleurs havrais de la 3e compagnie
(capitaine Moquet),
occupèrent
Longchamps et les environs, le hameau de
Bifauvel,
la ferme d'Entre-deux-Bocs et le bois Lesueur,
se plaçant ainsi à cheval sur la route de Gisors
à Lyons-Ia-Forêt.
Vers onze heures et demie, la
fusillade
annonça la présence des Prussiens; ils mirent
aussitôt deux pièces en batterie en avant
d'Heudicourt,
sur la route de Gisors, et commencèrent une
canonnade, heureusement mal dirigée et hors de portée,
dont personne n'eut à souffrir; puis leur infanterie
entra en ligne à son tour; les francs-tireurs
essayèrent
quelque temps de la tenir en échec, mais ils
durent abandonner les bois où ils s'étaient
embusqués,
pour se replier sur Morgny, après avoir eu un
homme tué et deux blessés.
Cette rencontre coûta
en outre la vie à deux habitants inoffensifs, dont l'un
gardait des vaches et l'autre gaulait des pommes;
elle eut les honneurs d'un ordre du jour du général
Bourbaki et d'un bulletin
de Tours, bien qu'elle n'eût
causé aucune perte aux Prussiens, qui, vers deux
heures, reprirent le chemin de Gisors, emmenant à
leur suite du bétail pris à Longchamps et de
nombreuses
voitures chargées de réquisitions.
Cependant la nomination du général Bourbaki au
commandement supérieur de la région du nord avait
été promptement connue du quartier général
prussien,
qui ordonna au comte de Lippe, chargé plus
particulièrement d'observer Amiens de redoubler
de vigilance, de prescrire de fréquentes patrouilles
d'officiers et de renforcer ses détachements de
réquisition.
Un de ces détachements, quittant Beauvais dans
la matinée du 27 octobre, s'était dirigé sur
Marseille-le-Petit,
où il passa la nuit, après avoir levé aux
environs de très-fortes réquisitions.
Il fut rejoint le
lendemain par d'autres troupes parties
de Beauvais
de grand matin, avec de nombreuses voitures, et
conduites par le général Senfft, qui venait prendre le
commandement de la colonne.
Il disposait pour son
expédition de trois compagnies
du 2e régiment à pied de la garde prussienne,
du 18e régiment de uhlans
et d'un escadron du 3e dragons saxons avec
une batterie d'artillerie; total environ 1500 hommes
et six canons.
L'objectif du général Senfft était
Formerie,
bourg important et station du chemin de fer
de Rouen
à Amiens.
Cette station n'était gardée
depuis la veille que par un poste du 3e hussards et par
une compagnie (capitaine Dornat)
du 5e bataillon de marche, envoyée
du Havre
et forte d'environ 130
hommes du 19e de ligne.
Combat de Formerie (28 octobre)
Dans la matinée du 28 octobre, le général Senfft se
dirigeait sur Formerie
avec toutes ses forces, et vers
dix heures nos vedettes du 3e hussards se repliaient
sur la gare en annonçant l'arrivée de l'ennemi.
En
effet, peu d'instants après, un peloton de uhlans,
formant l'avant-garde, traversait rapidement le bourg
de Formerie et se portait au trot sur la station.
Accueillis par une vive fusillade qui en démonta
plusieurs,
les cavaliers saxons n'eurent que le temps de
tourner bride et furent vivement poursuivis par nos
soldats jusque sur la place du Marché aux bestiaux.
Là, le capitaine Dornat se trouva tout à coup en
présence
de l'infanterie prussienne, qui occupait déjà le
côté opposé de la place et qui, postée dans les
maisons,
le reçut à son tour par un feu des plus nourris.
Cette poursuite heureuse avait empêché l'ennemi de
déboucher sur la gare, où il nous eût infailliblement
écrasés, mais la situation devenait critique.
Le capitaine Dornat sut tirer parti de ses faibles
ressources;
l'entrée de chaque rue fut solidement
défendue
par de petits postes de quelques hommes, et,
grâce à la plus énergique résistance, cette
compagnie
tint seule en échec, pendant près de deux heures,
les forces du général Senfft, et donna ainsi aux
renforts
le temps d'arriver.
Le 1e bataillon de la garde mobile de l'Oise
(commandant Cadet) était cantonné depuis plusieurs
jours entre Forges
et Gaillefontaine;
dans la matinée
du 28 octobre, le colonel d'Espeuilles, prévenu
de la marche des Prussiens, donna l'ordre aux divers
détachements de ce bataillon de se porter isolément
sur Formerie.
Le premier renfort arrivé sur le lieu
du combat, vers midi, venait de Gaillefontaine.
Le capitaine Alavoine, qui le commandait, laissa une
compagnie
à la gare, et se porta aussitôt avec la sienne,
la 2e, au point le plus menacé.
Il y trouva le capitaine
Dornat, qui, à la tête d'une poignée d'hommes, luttait
avec la dernière énergie.
La rue dont il défendait
l'entrée débouche obliquement sur la place de
Formerie, dont les Prussiens occupaient le côté opposé,
et forme ainsi deux angles inégaux: à droite, l'angle
défilé était occupé par les soldats de la ligne; les
mobiles de l'Oise durent prendre une position
symétrique et occuper à gauche l'angle découvert.
En se démasquant pour traverser la rue à la tête de sa
compagnie, le capitaine Alavoine fut blessé et mis hors
de combat;
mais un certain nombre de ses mobiles,
sous les ordres du lieutenant Meneust, puis une
section de la 1e compagnie (sous-lieutenant de
Thanneberg), purent gagner les maisons, s'établir dans
les chambres et prendre part à l'action;
on continua
ainsi de se fusiller par les fenêtres, des deux côtés de
la place et les nôtres, bien qu'inférieurs en nombre,
soutinrent avec avantage le feu de l'ennemi.
Cependant le général Senfft avait fait mettre son
artillerie en batterie sur une petite éminence, à la
lisière d'un bouquet de bois, sur la commune de Boutavent;
depuis le début de l'engagement, il lançait
ses projectiles un peu partout, mais principalement
sur le pâté de maisons occupé par nos soldats et
faisant face à la route de Crillon, par laquelle il était
arrivé.
Les obus dirigés sur Formerie n'y causèrent
que des dégâts matériels; les autres, tombant dans
des terres détrempées, n'éclataient pas, et les nôtres
n'eurent pas à en souffrir.
Le principal effet de cette
canonnade fut de hâter l'arrivée de nos renforts, qui,
vers deux heures, commencèrent à affluer de toutes
parts.
Ce furent d'abord les autres compagnies du
bataillon de marche et celui de la mobile de l'Oise,
puis un convoi qui conduisait
de Rouen
à Amiens de
l'infanterie de marine, et plus tard enfin, le colonel
d'Espeuilles, parti
d'Argueil avec deux escadrons de
hussards, le 4e bataillon de la mobile de l'Oise et une
section d'artillerie.
Ces divers détachements, arrivés
l'un après l'autre, ne dépassèrent pas la gare de
Formerie,
supposant sans doute qu'elle était le principal
objectif de l'ennemi, et les compagnies Dornat et
Alavoine restèrent seules engagées dans l'intérieur du
bourg.
Sur ces entrefaites, un renfort inattendu,
arrivant sur un autre point, allait prendre à l'action
une part décisive.
Le général Paulze d'Ivoy, qui commandait à
Amiens, avait été informé dans la journée du 27
qu'un détachement s'était présenté à
Marseille-le-Petit,
avec l'intention probable de détruire la voie ferrée
d'Amiens
à Rouen.
Il dirigea aussitôt sur ce point le
1e bataillon de la garde mobile du Nord
(commandant de Lalène-Laprade), soutenu par une section
d'artillerie (lieutenant Joachim), avec la mission de
repousser l'ennemi, dont la force était évaluée à
7 ou 800 hommes.
Parti d'Amiens avec un train de
chemin de fer, le commandant de Lalène-Laprade
devait coucher à Poix, en partir de très-bon matin
pour Formeriè, et s'établir, avant le jour, dans les
bois qui avoisinent cette localité dans la direction de
Marseille-le-Petit; il avaitl'ordre de se concerter
préalablement avec le colonel d'Espeuilles pour prendre
l'ennemi entre deux feux et lui couper la retraite.
Arrivé à Poix dans la soirée du 27, il s'apprêtait à en
partir dans le courant de la nuit, quand, au moment
de s'embarquer, il apprit que le train qui l'avait
amené était retourné à Amiens.
Averti en même
temps que des fourrageurs marchaient sur
Grandvilliers,
il partit de Poix entre quatre et cinq heures du
matin pour se porter à leur rencontre et réparer ainsi
le malentendu ou la faute du chef de train.
Ralliant à
Équennes deux compagnies de la mobile du Gard,
ce qui portait à environ 1,500 hommes la force de
son détachement, il arriva vers neuf heures à
Grandvilliers, qu'il trouva inoccupé.
Là, il accorda quelque
repos à sa troupe, et vers dix heures et demie,
au bruit du canon qui tonnait vers Formerie, il se
remit en marche dans cette direction, passant par
Feuquières et Monceaux-l'Abbaye.
Arrivé vers une heure
à ce dernier point, il détacha environ 500 hommes
(capitaine de Lalène-Laprade), avec la section
d'artillerie,
vers Mureaumont, dans le but de prendre l'ennemi
en queue et d'entraver sa retraite, tandis que
lui même l'attaquerait en tête.
Il continua en
conséquence
sa marche sur Formerie avec le gros de sa
colonne.
A l'entrée du village de Bouvresse, les
premiers
tirailleurs entendirent siffler au-dessus de leurs
têtes des balles tirées par un ennemi invisible,
puis des obus qui enfilaient la route.
Bien qu'inaccoutumés à ce bruit, les mobiles du Nord
accentuèrent
leur mouvement et s'engagèrent résolument à
travers les vergers, les haies et les clôtures.
En débouchant de Bouvresse, ils essuyèrent une fusillade
serrée partie d'une briqueterie;
ils ripostèrent
vivement, et l'infanterie prussienne ne tarda pas à tourner
le dos, protégée par un pli de terrain et par le feu de
son artillerie. Les nôtres se jetèrent alors dans un
petit bois qui s'étend entre la briqueterie de
Bouvresse
et Formerie.
Déconcerté par l'arrivée de ce
nouveau renfort qui le menaçait sur son flanc droit,
le général Senfft avait donné le signal de la retraite;
aussi, lorsque les mobiles du Nord débouchèrent sur
la lisière du petit bois qui longe la route de Formerie
à Crillon, l'ennemi était déjà hors de la portée des
fusils à tabatière.
Il était près de trois heures; le bruit
du combat allait en s'éloignant et s'affaiblissait
rapidement.
Le silence s'était fait auxabords de Formerie,
mais le canon retentissait encore au delà de
Mureaumont, et voici ce qui se passait dans cette direction.
La colonne secondaire de la mobile du Nord, qui avait
été dirigée sur ce point, y arriva vers deux heures et
demie sans incident remarquable, et se porta sur
Formerie en suivant la route départementale.
Mais en débouchant du village, à un coude que forme la
route, les mobiles se trouvèrent face à face avec deux
escadrons de cavalerie, rangés en bataille à une très
petite distance; les ennemis semblaient se préparer à
fondre sur eux, mais ils démasquèrent tout à coup
une section d'artillerie mise en batterie au milieu
de la chaussée, et les artilleurs chargèrent
précipitamment,
sans doute pour exécuter un tir à mitraille
qui, à une si faible portée, eût été des plus meurtriers.
Les nôtres durent se replier et se reformer à l'autre
extrémité du village.
Ils étaient là depuis quelque
temps, lorsque la cavalerie ennemie parut à douze ou
quinze cents mètres; elle semblait suivre le chemin
de Boutavent à Colagnies.
Aussitôt notre artillerie tira
sur elle.
A un moment où un gros de uhlans était de
pied ferme, un obus bien dirigé vint éclater au milieu
des rangs et y jeta le désordre ce fut le signal d'une
retraite qui s'effectua précipitamment par Campeaux
et Songeons.
Bon nombre de fantassins de la garde,
forcés de changer de direction et de se jeter à la
traverse, passèrent dans des terrains détrempés par la
pluie, et y laissèrent leurs bottes, que les habitants
ébahis trouvèrent le lendemain dans leurs champs.
Ce combat, dans lequel les soldats du bataillon de
marche et les mobiles du Nord et de l'Oise
montrèrent beaucoup de solidité et d'entrain, leur coûta
six hommes tués ou atteints mortellement, et une
vingtaine de blessés, dont deux officiers, les
capitaines Alavoine
et Dornat.
L'ennemi, de son côté,
accusa dix tués, dont un sous-officier de l'infanterie
de la garde, et une douzaine de blessés qui entrèrent
le lendemain à l'hospice de Beauvais.
Ainsi, grâce à la résistance énergique du capitaine
Dornat, qui, avec sa seule compagnie, tint longtemps
l'ennemi en respect, luttant dans la proportion d'un
contre dix; grâce au concours d'une fraction du
1e bataillon de l'Oise grâce surtout à l'heureuse
intervention des mobiles du Nord, l'ennemi avait subi
à Formerie
un échec complet.
Arrivé en déroute à
Beauvais dans la nuit du 28 au 29,
le général Senfft
annonçait à Clermont
qu'ayant rencontré l'ennemi
à Formerie, il avait
été forcé de se replier avec
perte: zum Rückzug unter Verlust gezwungen.
Il s'attendait à être attaqué par nous; il s'apprêtait
même à évacuer Beauvais,
et le détachement de
Clermont avait reçu
l'ordre de s'apprêter à le recueillir,
en se portant
par Mouy sur Noailles,
pour occuper
le défilé de Silly.
Mais la mobile du Nord
s'étant retirée sur
Grandvilliers,
et le colonel d'Espeuilles
se maintenant sur
la défensive le général saxon se remit peu à peu de
son émotion, qui fut bientôt complétement dissipée
par une nouvelle aussi rassurante pour lui
qu'accablante pour nous.
Dans ]a journée du 27 il fit afficher
à Beauvais et communiquer aux
journaux l'avis suivant, qui est par lui-même assez significatif:
"La reconnaissance d'hier à Formerie
a montré que le bourg était occupé par deux bataillons.
Après une courte canonnade, le détachement revint sur
Songeons et
Beauvais, et empêcha l'ennemi
d'atteindre son but, qui était de lui couper la retraite
dans la direction de Marseille.
Nos pertes ont été de quatre morts et douze blessés."
Comme les
Allemands, en général, n'avaient pas l'habitude de nous
faire connaître les rapports de leurs opérations, l'avis
du général Senfft aurait pu paraître singulier s'il ne
se fût terminé par la phrase suivante, qui était pour
lui une consolation à son échec
de Formerie, et pour
nous l'annonce d'un nouveau désastre, dont les
conséquences
seront désormais irréparables : "Le 27 de
ce mois, à cinq heures du soir, Metz a capitulé. »