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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 14 |
Evénements en Normandie au commencement de janvier
Source : L. Rolin.
Rencontre de Moulineaux (2 janvier)
Venu à Rouen
le 31 décembre pour donner ses
instructions au commandant du Ie corps, le général
de Manteuffel était
reparti pour Amiens dans l'aprèsmidi
du 1e janvier.
De retour dans cette ville, il activa
le départ du 44e régiment rappelé des environs de
Corbie .
Ce régiment arriva à Rouen
le 2 janvier, et
fut aussitôt dirigé
sur Grand-Couronne; là, le colonel
de Boeking, commandant
la 1e brigade d'infanterie,
voulant s'assurer si le village de Moulineaux était
occupé par nos troupes, le fit immédiatement fouiller
à coups de canon .
Une batterie y lança par intervalles,
à une distance de plus de trois kilomètres, une
dizaine d'obus .
C'est ainsi que plus d'une fois l'ennemi
exécuta ses reconnaissances .
Cette canonnade
n'ayant révélé la présence apparente d'aucune troupe
dans le village, le
colonel de Boeking y dirigea une
patrouille, mais elle fut reçue à coups de fusil par un
de nos petits postes et s'empressa de tourner bride,
essuyant dans sa fuite quelques coups de canon partis
des retranchements de Château-Robert .
En avant de Grand-Couronne,
les Prussiens utilisant,
comme on l'a vu plus haut, les travaux de
défense ébauchés par nous, avaient prolongé et
achevé, en l'appuyant aux hameaux des Essarts, une
longue tranchée qui barrait la plaine, les protégeait
contre nos attaques et leur permettait de cheminer à
couvert dans la forêt de la Londe .
Tout faisait prévoir
qu'ils allaient prochainement prendre l'offensive, et
le général Roy
avait fait prévenir le colonel Thomas
de se tenir sur ses gardes, lui enjoignant « de résister
à outrance et de ne pas reculer d'une semelle ».
Les
braves mobiles de l'Ardèche étaient heureusement
de ceux qui n'ont pas besoin d'une pareille recommandation,
et ils avaient déjà fait leurs préparatifs
de défense.
A droite, sur le plateau d'Orival le
commandant de Montgolner
avait établi des épaulements
pour son artillerie et obstrué toutes les routes
et tous les défilés .
A gauche, le colonel Thomas, ancien
officier du génie, avait pris des dispositions analogues
une tranchée avait été creusée autour du
plateau circulaire sur lequel s'élève
Château-Robert,
et les routes avaient été coupées et garnies d'abâtis.
Situation des deux partis dans la journée du 3 janvier
Dans la journée du 3 janvier,
les troupes du général
Roy étaient établies dans les
positions suivantes :
A droite, au pavillon d'Orival,
le commandant
de Montgolfier,
avec le
3e bataillon de l'Ardèche,
le 2e de l'Eure,
une section de canons de montagne, une
de pièces Armstrong et plusieurs corps francs; en
tout, un peu plus de 2000 hommes avec quatre canons,
occupant Orival,
Saint-Ouen et
la Londe, aux
abords de la forêt de ce nom .
A gauche, à la Bouille,
le colonel Thomas
ayant sous ses ordres:
au Château-Robert,
une fraction
du 2e bataillon de l'Ardèche
et une partie du 3e des Landes;
à la Maison-Brûlée, le
reste de ces deux bataillons;
au Chouquet et
à Saint-Ouen-de-Thouberville,
le 1e bataillon de l'Ardèche,
avec plusieurs compagnies franches occupant des
postes d'observation aux abords de la forêt, un peloton
de chasseurs à cheval, quatre pièces de 4 et deux pièces
Armstrong:
total, un peu plus de 3000 hommes
et six canons .
Au centre et en réserve,
à Bourgthéroulde,
le général Roy
avec les 1e et 3e bataillons de
la mobile de l'Eure, un peloton de chasseurs à cheval
et quelques gendarmes, environ 1500 hommes .
Enfin d'autres corps, détachés à l'extrême droite,
paraissent placés sous les ordres directs du quartier
général, ce sont :
à Caudebec-lès-Elbeuf,
le 1e bataillon
des Landes;
à Elbeuf,
le 5e bataillon de mobilisés
de la légion de Rouen,
qui devait remplacer
au Neubourg
le 6e bataillon de la mobile de la Loire-
Inférieure.
Telles étaient les positions occupées par le général
Roy.
Nous, voudrions pouvoir approuver sans réserve
un chef militaire qui marchait résolument en avant,
alors que tant d'autres n'étaient que trop disposés à
se porter en sens inverse; mais il faut bien reconnaître
qu'avant d'entreprendre un mouvement offensif
de, cette importance, le
général Roy aurait dû,
non-seulement solliciter, mais encore s'assurer le
concours efficace
de l'armée du Havre, et surtout
celui
des troupes du Calvados,
qui étaient plus à sa
portée et qui venaient de passer sous son commandement
direct .
En outre, pour aller affronter seul
aux portes de Rouen
un ennemi supérieur en nombre,
il eût fallu prendre une position plus militaire .
Les troupes du général
Roy étaient disséminées sur
une longue ligne en forme de V, allant
d'Elbeuf à
Bourgthéroulde
et à la Bouille,
et hors de proportion
avec les effectifs;
par suite, les ailes n'étaient nullement
reliées entre elles ni avec la réserve, et ne
pouvaient par conséquent se prêter un appui réciproque
la boucle de la Seine, qu'on aurait dû fermer en
occupant fortement la ligne la plus courte, restait
ouverte, et la forêt
de la Londe
abandonnée à l'ennemi.
Dès lors il est facile de prévoir qu'en cas d'attaque
les groupes isolés
d'Elbeuf,
de Bourgthéroulde et
de la Bouille en seront réduits à
leurs efforts individuels .
Le général de Bentheim,
auquel le général Roy était
opposé, avait sous ses ordres directs, à la date du
3 janvier,
tout le 1e corps d'armée,
sauf un régiment
d'infanterie et deux batteries, plus la brigade des
dragons de la garde et
les 1e et 10e dragons de la
ligne, c'est-à-dire vingt-deux bataillons,
seize escadrons
et treize batteries; en tout, plus de 20000
hommes et soixante-dix-huit canons.
En défalquant
les détachements qu'il avait envoyés pour se couvrir
sur la rive droite, dans la direction
d'Yvetot,
la brigade de Zglinitzki,
celle du comte de Brandebourg
et la garnison de Rouen,
le général de Bentheim pouvait
encore disposer de près de trois brigades pour
la durée de son mouvement offensif sur la rive
gauche.
En réalité, le corps destiné à agir sous ses
ordres contre le
général Roy se composait de la
1e division d'infanterie,
commandée, en l'absence
du général de Falkenstein,
par le général d'artillerie
de Bergmann
et renforcée par le 44e régiment
et le 1e bataillon de chasseurs,
avec l'artillerie correspondante
et un régiment de cavalerie; en tout, seize
bataillons et quatre escadrons, ce qui pouvait former
un effectif de 14 à 15000 hommes.
Combats de Château-Robert, de Maison-Brûlée et de Saint-Ouen-de-Thouberville
4 janvier
C'est avec une partie de ces forces que l'ennemi
partit de Grand-Couronne,
le 4 janvier, vers quatre
heures du matin, par une nuit des plus épaisses et par
un froid de dix degrés.
Formé en plusieurs colonnes,
il s'avança en silence, traversa le village de
Moulineaux
qu'il trouva inoccupé, et attaqua presque
simultanément tous nos avant-postes.
Le premier choc fut subi par trois compagnies
du 2e bataillon
de l'Ardèche, placées en grand'garde sur le mamelon
qui domine Château-Robert
du côté de Rouen.
Le poste avancé, assailli par la fusillade serrée d'une
nombreuse infanterie qui, à la faveur de l'obscurité,
avait pu s'avancer par les deux versants de la crête, fut
forcé de se replier sur les compagnies de soutien qui
accouraient à son secours.
Il y eut alors une mêlée
générale dans laquelle on ne reconnaissait son adversaire
qu'à la lueur des coups de feu; l'ennemi continuait
de s'avancer en masses profondes, et, après une
énergique résistance, les trois compagnies de l'Ardèche
durent se retirer
sur Château-Robert pour
rallier le reste de leur bataillon.
La pente de la montagne,
naturellemeut très-rapide, était rendue plus
difficile encore par l'effet de la neige et de la gelée;
aussi les nôtres eurent-ils beaucoup à souffrir d'un feu
plongeant auquel ils ne pouvaient répondre.
D'autres
postes, placés sur la crête du ravin qui longe le chemin
de fer, furent attaqués en même temps et refoulés
soit sur le château, soit sur
la Maison-Brûlée.
Dès lors la défense se concentre sur le plateau de
Château-Robert.
Cette position est attaquée par une
colonne secondaire qui débouche parla forêt et le ravin
du chemin de fer, tandis que la colonne principale
s'avance par la rampe
de Moulineaux, sous le feu
rasant des défenseurs abrités derrière les retranchements
du château.
Là, deux ou trois cents mobiles
du 2e bataillon de l'Ardèche
avec une partie
du 3e bataillon des Landes,
sous les ordres du
commandant Bétat,
opposent aux assaillants les plus
héroïques efforts; mais, après avoir disputé le terrain
pied à pied pendant une heure, ils sont presque complètement
enveloppés et forcés de se retirer sur le
carrefour de la Maison-Brûlée,
où s'est réuni le
1er bataillon de l'Ardèche
(commandant de Guibert).
A ce moment, le jour commence à poindre, mais on
n'y voit pas assez pour distinguer les nôtres de l'ennemi,
et cette circonstance empêche la réserve d'ouvrir
le feu pour protéger la retraite des défenseurs
du château, position désormais perdue.
Dans la défense de Château-Robert ,
le 2e bataillon de l'Ardèche
et le 3e des Landes
avaient subi des pertes
sérieuses, surtout en officiers.
Le 1e bataillon de l'Ardèche
avait envoyé en avant, pour soutenir la retraite,
quelques sections qui avaient également souffert; en
outre, il s'était affaibli de deux compagnies (capitaine
Sugier), détachées avec deux pièces
de canon à Duclair,
où l'ennemi faisait mine de vouloir franchir le
fleuve.
Le 3e bataillon des Landes,
fractionné en plusieurs
détachements, était presque totalement dispersé,
à l'exception d'une compagnie environ, en sorte
qu'au carrefour de
la Maison-Brûlée
il ne restait pas
deux bataillons complets à opposer aux douze ou
treize du général de Bentheim.
Cependant des colonnes profondes commencent à
se montrer sur la route de Rouen
et les avenues de
la forêt :
il est environ sept heures et demie du matin .
Le colonel Thomas,
ayant rallié les défenseurs, fait
ouvrir un feu roulant de mousqueterie, tandis que
les deux pièces de montagne de la batterie
des mobilisés
du Calvados, placées devant la Maison-Brûlée,
enfilent la route de Rouen.
La section de canons
Armstrong des Basses-Pyrénées est également mise
en batterie à quelques centaines de mètres sur notre
droite,en face d'une avenue de la forêt où apparaît
l'ennemi;
mais les artilleurs, qui croient déjà leurs
pièces prises, s'enfuient au galop sans avoir même
ouvert le feu;
bientôt la rapidité de leur course fait
sauter un caisson, et cette explosion tue ou blesse
plusieurs conducteurs qui s'en seraient peut-être tirés
sains et saufs s'ils étaient restés
à leur place de bataille .
Malgré cet incident fâcheux qui les découvre
sur leur droite, et malgré la disproportion du nombre,
les nôtres soutiennent cependant la lutte avec
acharnement pendant près d'une heure, jusqu'à ce que
les masses ennemies ne soient plus qu'à quelques pas;
en ce moment, le
colonel Thomas,
attaqué de front,
est sur le point d'être tourné sur sa droite, du côté de
la route de Bourgthéroulde, où
la 1re compagnie du
1er bataillon de l'Ardèche
(capitaine de Montravel)
a failli être enveloppée et a perdu son chef, resté aux
mains de l'ennemi; il est menacé sur sa gauche par
une colonne qui monte par
la Bouille,
refoulant un de
nos postes en observation sur ce point;
il se résout à ordonner la retraite sur
Saint-Ouen-de-Thouberville.
Dans cette deuxième phase de l'action, nous éprouvons
des pertes sensibles;
nos deux canons de montagne,
qui n'ont pu brûler que quelques gargousses, sont
néanmoins servis jusqu'au dernier moment au milieu
d'une grêle de balles, et vomissent encore la mort,
quand ils tombent aux mains de l'ennemi :
die beiden feuernden Geschütze genommen.
Si cette circonstance
est honorable pour le vainqueur, elle l'est surtout pour
les braves gens qui se firent héroïquement tuer sur
leurs pièces en essayant de les sauver .
A partir de ce moment, les Prussiens ayant cessé
le feu s'établirent à
Maison-Brûlée sans chercher à
poursuivre les nôtres, et il s'ensuivit comme une sorte
de suspension d'armes tacite.
Le général de Bentheim
attendait vraisemblablement
l'arrivée de son artillerie
et de sa cavalerie, qui, à cause des coupures et des
obstacles semés sur la route
de Grand-Couronne, ne
pouvaient avancer que très difficilement.
Le colonel
Thomas,
de son côté, profita de ce répit pour reformer
ses deux bataillons
à Bosgouet, en arrière de
Saint-Ouen-de-Thouberville,
et pour envoyer chercher,
à Bourgachard, une batterie de 12 rayé, servie
par des mobiles du Morbihan
(capitaine Redon) et
escortée par un bataillon
de mobilisés du Calvados.
Il était onze heures lorsque ces renforts arrivèrent à
Bosgouet .
Maître désormais du carrefour
de Maison-Brûlée
et en possession de son artillerie, le général
de Bentheim
forma ses troupes en trois colonnes qu'il lança
sur les points où il savait les nôtres concentrées.
A son aile droite, deux bataillons
du 3e régiment, sous
les ordres du colonel
de Legat, durent s'avancer sur
la route de Bourgachard;
au centre, le colonel
de Busse, avec un bataillon
du 43e régiment
et le 44e,
fut dirigé sur Bourgthéroulde;
enfin, à sa gauche, le
41e régiment,
sous les ordres du colonel
de Meerscheidt-Hüllessem,
prit à travers la forêt une
avenue qui conduit dans la direction de
la Londe.
Nous allons suivre successivement, en commençant
par notre gauche, la marche de chacune de ces
colonnes.
A Bosgouet, en arrière de
Saint-Ouen-de-Thouberville,
le colonel Thomas
a fait reformer ce qui reste
des bataillons de mobiles, auxquels on a distribué des
cartouches de réserve; il les déploie à droite et à gauche
de la route, sur laquelle il fait avancer la batterie
de 12; puis il se prépare à opérer un vigoureux retour
offensif.
A sa voix, les débris des
bataillons de l'Ardèche
et des Landes, des mobilisés du Calvados et
quelques
francs-tireurs de Caen, de Lisieux,
du Puy-de-Dôme et de Saintonge,
fondent avec impétuosité
sur l'ennemi, qui, surpris par cette attaque, se retire
sur Saint-Ouen-de-Thouberville.
Les nôtres ouvrent
aussitôt un feu à volonté sur toute la ligne, tandis que
les pièces de 12, mises en batterie sur la route, tonnent
pendant une demi-heure et empêchent les Prussiens
d'avancer.
Un nouveau combat sérieux s'est engagé;
il tourne à notre avantage, car notre droite, gagnant
du terrain à la faveur du brouillard, serre de très-près
l'aile gauche prussienne et menace de l'envelopper;
mais le colonel de Legat
se voit tout à coup dégagé,
grâce à l'intervention inattendue de son artillerie, qui,
retardée jusque-là par la coupure de la route, entre
subitement en ligne, crible les nôtres de mitraille, à
la distance d'environ trois cents pas, puis les couvre
en peu de temps d'une centaine d'obus.
Le trouble
commence à se mettre dans nos rangs; le colonel
Thomas
charge les premiers fuyards et les ramène
énergiquement au combat; mais, menacé d'être enveloppé
à son tour, prévenu que la plupart des mobiles
ont épuisé leurs munitions, il
se voit hors d'état de continuer
cette lutte inégale qui ne lui laisse plus aucun
espoir de succès.
M'ayant reçu ni ordres, ni renforts du
quartier général, il se replie de nouveau en arrière
de Saint-Ouen-de Thouberville,
et prend rapidement
la route de Bourgachard,
afin d'éviter la poursuite de
l'artillerie et de la cavalerie qui ne tardent pas à le
suivre, timidement d'abord, mais d'assez près.
Arrivé
à Bourgachard,
il s'apprêtait à faire reformer sa colonne,
quand son arrière-garde lui signala la présence
de l'ennemi; il continua sa retraite
par Routot, où il
rallia le détachement qu'il avait envoyé
vers Bardouville
pour surveiller la rive gauche de la Seine.
Enfin, après une halte d'une heure
à Routot, il poursuivit sa
route sur Pont-Audemer,
où il arriva très affaibli vers
onze heures du soir.
Dans les combats successifs
de Château-Robert, de
Maison-Brûlée
et de Saint-Ouen-de-Thouberville,
notre colonne de gauche avait perdu une quarantaine
d'hommes tués, à peu près 80 blessés et environ
250 prisonniers, parmi lesquels 7 officiers.
Ces pertes
portèrent pour la plus forte partie sur
les bataillons
de l'Ardèche et des Landes, qui avaient soutenu
presque seuls le principal effort du combat et contenu
jusque vers neuf heures du matin treize des bataillons
du général de Bentheim,
luttant ainsi dans la proportion
de un contre quatre ou cinq, défendant le terrain
pied à pied et opposant à l'ennemi la plus admirable
résistance .
Voilà les mobiles que tant de gens
avaient intérêt à décrier !
Il est certain qu'aucune
troupe de ligne ne se fût mieux conduite que ces soldats
improvisés; non-seulement ils sauvèrent l'honneur de
la journée, mais ils firent payer cher à l'ennemi les positions
de Château-Robert
et de Moulineaux.
Dans ces
diverses attaques, les
3e et 41e régiments , ainsi que le
1e bataillon de chasseurs prussiens , perdirent une
trentaine d'hommes tués, dont deux officiers, et une
centaine de blessés .
Le 3e régiment
fut celui qui eut le
plus à souffrir : il eut à lui seul une vingtaine de tués,
parmi lesquels les seconds
lieutenants Dallmer et
Liebe , et en outre
un officier avec plus de quatre-vingts hommes hors de combat.
Surprise de Rougemontier
Après avoir pris part au retour offensif dirigé par
le colonel Thomas
sur Maison-Brûlée,
les artilleurs
de la batterie du Morbihan, ainsi que
le bataillon de
mobilisés du Calvados
qui lui servait de soutien,
s'étaient retirés, vers midi,
sur Rougemontier;
ils se
croyaient sans doute couverts par
les mobiles de
l'Ardèche qui, comme on sait, avaient pris le chemin
de Routot , lorsque, vers cinq heures du soir, ils se
virent subitement attaqués par une colonne volante
qui, à la faveur d'un brouillard épais, s'était mise à
leur poursuite .
Ce détachement, conduit par le major
Preinitzer,
commandant l'artillerie de la 1e division
d'infanterie prussienne , se composait d'une compagnie
du 3e régiment
montée sur des voitures, de deux
pelotons du 1e dragons, et d'une section d'artillerie.
Les premiers éclaireurs qui se présentèrent
à Rougemontier
ayant essuyé quelques coups de feu, le major
Preinitzer
prit aussitôt ses dispositions l'artillerie
se plaça sur la route, à environ huit cents mètres
du village, ayant à sa droite l'infanterie, à sa gauche
la cavalerie puis, à un signal bruyant, donné
par tous les clairons réunis, l'attaque commença.
L'infanterie ouvrit le feu, tandis que l'artillerie lançait
une vingtaine d'obus
sur Rougemontier.
Deux de nos pièces, placées à l'entrée de ce village,
essayèrent
de répondre à celles de l'ennemi, pendant que
quelques francs-tireurs ripostaient à la fusillade;
mais, au milieu de l'obscurité qui régnait alors, il
était impossible de juger à quelles forces on avait
affaire, et bientôt les gardes nationaux, effrayés par
les hurrahs, se sauvèrent dans toutes les directions,
abandonnant une voiture de munitions et deux pièces,
qui tombèrent plus tard aux mains de l'ennemi.
A la suite de cette panique, toutes les troupes qui
se trouvaient aux environs rétrogradèrent en désordre
sur Pont-Audemer
et même sur Honfleur et
Pont-l'Évêque.
C'en était fait désormais de notre
colonne de gauche.
Depuis longtemps déjà celle du centre n'existait plus.
Combats de Bourgtheroulde et de la Londe
Dès le matin, au bruit de la fusillade qui éclatait
vers Château-Robert,
la 2e compagnie du 3e bataillon
de l'Eure avait été envoyée en reconnaissance dans
cette direction; à peu de distance
de Bourgthéroulde,
elle rencontra des estafettes venant apporter au général
Roy
l'avis que les grand'gardes de l'Ardèche et des
Landes avaient été surprises et écrasées.
Quelques instants après, le
capitaine de Boisgelin,
du 1e
bataillon de l'Eure, accouru
de Saint-Ouen-de-Thouberville,
à travers les bois, annonçait que l'ennemi,
maître du carrefour de
la Maison-Brûlée, marchait
à la fois sur Bourgachard et
sur Bourgthéroulde .
Le
général Roy, ainsi
qu'il était facile de le prévoir,
s'était vu coupé de ses ailes dès le début de l'engagement,
parce qu'il avait négligé de faire occuper la
forêt de la Londe,
dont l'ennemi était complétement
maître .
Il resta donc sans aucune communication
avec le colonel Thomas,
et il eût sans doute été
enlevé lui-même par les quatre bataillons du colonel
de Busse, si un épais
brouillard n'avait pas dérobé à
l'ennemi la faiblesse numérique de ses adversaires .
Le général Roy n'avait
avec lui que deux bataillons
de mobiles, un peloton de chasseurs, et quelques
francs-tireurs;
toutefois, il ne voulut pas céder le
terrain sans combattre .
Il détacha quatre compagnies
du 1er bataillon de l'Eure
sur la
route d'Elbeuf, deux
autres sur celle de Bourgachard,
et, laissant une
réserve à Bourgthéroulde,
il se porta lui-même avec
ce qui lui restait à la rencontre de l'ennemi .
Un peu
avant dix heures, les premiers tirailleurs prussiens
débouchèrent sur la lisière de la forêt
de la Londe,
et il s'engagea, de ce côté,
une courte, mais vive fusillade .
Les francs-tireurs de la 2e compagnie du Calvados,
dont le chef fut tué dès les premiers coups;
puis quelques compagnies de mobiles, jetées à la hâte
le long des fossés, arrêtèrent un instant l'avant-garde
du colonel de Busse; mais
bientôt, assaillis de tous
côtés par une grêle de balles, les nôtres furent refoulés
jusque dans Bourgthéroulde.
Là, le général Roy
donna le signal de la retraite, et le commandant
Guillaume,
du le bataillon de l'Eure,
fut chargé de
la couvrir.
Une faible arrière-garde, composée d'une
quarantaine de mobiles, s'embusqua derrière l'église,
fit bravement tête aux Prussiens qui débouchaient
par les routes de Rouen
et d'Elbeuf et les tint quelque
temps en respect.
Grâce à la résistance énergique
de cette poignée d'hommes, et à la faveur du brouillard
qui, en ce moment, redoublait d'intensité, le
reste de la colonne put se retirer
sur Brionne sans
être poursuivi ni inquiété.
Cet engagement coûta
aux nôtres huit hommes tués, au nombre desquels le
capitaine Pascal, des
francs-tireurs du Calvados, et
une douzaine de blessés, dont le
capitaine de Saint-Foy,
des mobiles de l'Eure.
Le bataillon du 43e régiment
prussien, qui fut seul engagé dans cette
affaire, eut une dizaine de soldats atteints plus ou
moins grièvement.
A dix heures et demie du matin,
Bourgthéroulde
était au pouvoir de l'ennemi, ce qui
explique comment les ailes du
général Roy, coupées
l'une de l'autre, se trouvèrent en même temps sans
communication avec le quartier général.
Le plateau d'Orival
devait être assailli simultanément
par un détachement venu
de Pont-de-l'Arche
et par la colonne qui, de
la Maison-Brûlée, avait été
dirigée à travers la forêt sur le village
de la Londe.
Cette dernière se composait, comme on l'a vu plus
haut, du 43e régiment d'infanterie;
le colonel de
Meerscheidt, qui la commandait, devait se relier avec
le lieutenant-colonel de Massow,
venu
par Elbeuf,
pour isoler, cerner et jeter à la Seine l'aile droite
du général Roy.
Mais les entreprises de ces colonnes
avortèrent toutes les deux par suite de circonstances
que nous allons faire connaître.
Au bruit de la violente
fusillade qui avait éclaté dès le matin à
Château-Robert,
le commandant de Montgolfier
avait fait
doubler les avant-postes, et prendre les armes à son
détachement, qu'il concentra sur le plateau du Pavillon
d'Orival.
Dès la veille, il avait prescrit à la compagnie des
francs-tireurs de Seine-et-Oise
(capitaine Poulet-Langlet),
cantonnée à
Saint-Ouen-de-la-Londe,
de pousser une reconnaissance sur
Château-Robert,
et c'est cette compagnie qui se trouva
aux prises avec le colonel de Meerscheidt.
Parti de
Saint-Ouen dans la matinée du
4 janvier, au bruit de
la fusillade, le capitaine
Poulet-Langlet traversait le
village de la Londe,
lorsqu'un paysan tout essoufflé
vint le prévenir qu'il y avait autour de sa maison une
dizaine de fantassins prussiens; une section de
francs-tireurs
s'avança pour s'en assurer, et elle se trouva
aussitôt en face, non d'une escouade; mais d'un
bataillon qui la reçut par une grêle de balles.
Le capitaine
Poulet-Langlet
fit immédiatement occuper
les quatre chemins qui aboutissent au carrefour du
village, et il envoya une seconde section pour appuyer
celle qui se trouvait engagée.
Grâce au brouillard, qui
ne permettait de voir qu'à quelques pas, l'ennemi fut
trompé sur la force des nôtres; chaque fois qu'il se
présentait au débouché d'une rue, il essuyait des
coups de feu, en sorte qu'il crut le village fortement
occupé.
En réalité, il ne s'y trouvait alors que les
francs-tireurs de Seine-et-Oise
et une section du
3e bataillon de l'Ardèche,
chargée de la garde des
bagages, qui fut elle-même attaquée sur un autre
point.
Ces mobiles se défendirent énergiquement, et,
avec l'appui des francs-tireurs, ils purent emmener
la caisse et les munitions de réserve de leur
bataillon.
Cependant, au bruit de la fusillade, le commandant
de Montgolfier
avait renforcé le poste de la Bergerie,
qui avoisine la Londe,
et dirigé sur ce village
deux compagnies
du 2e bataillon de l'Eure, et
une de la Loire-Inférieure.
A l'arrivée de ce renfort,
les Prussiens s'empressèrent de rentrer dans la forêt,
emmenant leurs prisonniers et incendiant une ferme
derrière eux.
Nous perdîmes, dans cette affaire,
sept hommes tués, dont un officier, le sous-lieutenant
Joigneau,
des francs-tireurs de Seine-et-Oise, douze
blessés et une quarantaine de prisonniers.
Le 41e régiment
prussien, de son côté, avait subi, en tués et blessés,
des pertes à peu près égales.
On sait que la marche du
colonel de Meerscheidt
sur la Londe était combinée avec une attaque qui
devait être faite
par Pont-de-l'Arche,
contre Elbeuf
et Orival.
Entreprises contre Elbeuf et engagements d'Orival (4 janvier)
Cette attaque eut lieu en effet, mais elle
demeura également sans résultat.
Vers sept heures
du matin, le lieutenant-colonel
de Massow, des dragons
lithuaniens, ayant réuni
entre Alizay et
Igoville
un détachement composé d'une partie
du le régiment
d'infanterie, d'un
escadron de dragons
et d'une batterie, franchit la Seine à
Pont-de-l'Arche et s'avança par
Criquebeuf et
Martot dans la direction
d'Elbeuf.
Cette ville était occupée par le
1e bataillon des Landes,
six compagnies de mobilisés,
les francs-tireurs de Louviers
et des gardes nationaux volontaires.
Vers neuf heures, les premiers éclaireurs pénétrèrent jusque
dans Caudebec-lès-Elbeuf; quelques coups de feu
furent échangés, et les dragons poursuivis jusqu'à
la Villette.
Sur ces entrefaites, une batterie s'étant
approchée jusqu'à environ six cents mètres des faubourgs,
avait lancé sur la ville, un peu au hasard,
une vingtaine d'obus.
Là se borna la démonstration
du lieutenant-colonel de Massow.
N'ayant pu, à cause
du brouillard, s'éclairer suffisamment, il se retira sur
la rive droite de la Seine
par Pont-de-l'Arche, dont il
fit soigneusement barricader le pont.
De leur côté,
les mobiles et les mobilisés, n'ayant point d'ordres
précis, évacuèrent
Elbeuf dans l'après-midi.
Nos troupes du plateau
d'Orival avaient ainsi
échappé au danger qui les menaçait, ce qui ne les
empêcha pas d'avoir à repousser plusieurs tentatives
faites sur leur front, dans le but probable de détourner
leur attention du double mouvement tournant
qui devait s'opérer.
Le pont d'Orival
était gardé par
les éclaireurs de Normandie
(capitaine Trémant),
appuyés par une compagnie
du 2e bataillon de l'Eure
(capitaine de Bonnechose),
et, plus en arrière, par
une autre du 3e bataillon de l'Ardèche
(capitaine de Canson).
S'avançant par les bois de Saint-Aubin, les
Prussiens assaillirent ces avant-postes par le pont
d'Orival,
sur la rive droite, tandis que d'autres détachements,
débouchant par
le Port-du-Gravier
et le Catelier, les menaçaient sur la rive gauche.
L'ennemi
tâtait ainsi la position, tantôt d'un côté, tantôt
de l'autre; son attaque, commencée à huit heures du
matin, se renouvela encore à deux reprises, à onze
heures et à deux heures, mais chaque fois sans succès.
Nos tirailleurs, embusqués sur le pont même et
derrière les talus du chemin de fer, appuyés en arrière
par une seconde ligne placée sur les hauteurs, opposèrent
à l'ennemi une sérieuse résistance, et le
repoussèrent chaque fois qu'il se montra.
Vers trois
heures, ayant jugé ses efforts inutiles, il renonça à
son entreprise, qui lui coûta la perte de deux hommes
tués et d'une quinzaine de blessés, dont un officier.
Grâce aux positions avantageuses qu'ils occupaient,
nos tirailleurs n'avaient eu que deux ou trois hommes
hors de combat, parmi lesquels
le capitaine de Bonnechose.
Par suite de l'occupation
de Bourgthéroulde par
l'ennemi et de l'évacuation
d'Elbeuf par nos troupes,
le commandant de Montgolfier, isolé
à Orival et sans
nouvelles du général Roy, se trouvait dans une position
des plus critiques; aussi, après avoir réuni, dans
la soirée du 4 janvier, les principaux officiers de son
détachement, il résolut de se soustraire, par une
marche de nuit, aux dangers qui le menaçaient.
Cette
marche s'opéra heureusement et sans être inquiétée,
par la forêt
d'Elbeuf
et le Gros-Theil sur Brionne,
que la colonne atteignit le 5, à midi.
Il était temps
d'évacuer le plateau
d'Orival
et d'effectuer une retraite
qui, différée plus longtemps, eût été gravement compromise
car, le lendemain matin, l'ennemi s'apprêtait
à renouveler contre cette position ses attaques
de la veille.
Le lieutenant-colonel de Massow, après
avoir fait lancer sept ou huit obus sur les faubourgs
d'Elbeuf,
comme pour annoncer son arrivée, reprit
possession de la ville évacuée par nous depuis la veille.
Tel est le récit des événements dont la rive gauche
de la Seine a été le théâtre dans la journée du 4 janvier.
Au moment où notre petit corps de l'Eure essuyait
ainsi le choc du général de Bentheim, le général
Faidherbe battait en retraite dans le Nord après
la bataille de Bapaume.
Si cette bataille fut un
succès pour nos armes, nos troupes de Normandie y
avaient indirectement contribué, car c'est leur mouvement
offensif qui avait forcé le
général de Manteuffel
à envoyer neuf bataillons
d'Amiens
à Rouen
or, il est évident que si ces renforts, au lieu d'être
sur la Seine, s'étaient trouvés sur la Somme
le 3 janvier ,
ils auraient pu modifier les résultats.
Nos efforts sur la basse Seine ne furent donc pas tentés
en pure perte, et si ces mouvements offensifs, au lieu
d'être isolés et décousus, eussent été concertés et
combinés, on peut être fondé à croire qu'ils auraient
eu des conséquences décisives.
Retraite du général Roy derrière la Rille et la Touques
Après l'échec du 4 janvier,
toutes nos troupes de l'Eure
avaient repassé la Rille quelques corps s'étaient
même repliés jusque sur la Touques;
c'était la conséquence
d'une panique qui s'était produite
à Pont-Audemer ,
dans la nuit du 4 au 5 , à la suite de la
surprise dont les
mobilisés du Calvados avaient été
victimes
à Rougemontier;
panique dont fut témoin
le commandant Mouchez , qui était venu seul ce jour-là
du Havre
à Bourgachard , pour se concerter avec le
commandant de la rive gauche.
Dans la journée du
5 janvier,
le général Roy réoccupa
Pont-Audemer à
la tête d'un
bataillon de mobilisés du Calvados et des
gardes nationaux sédentaires de Bernay,
et il rentra
le lendemain à Brionne .
Dans la journée du 7 janvier,
des reconnaissances ennemies
se présentèrent sur toute la ligne.
Rencontres de Breteuil, de Bosrobert et d'Appeville (7 janvier)
Sur notre
droite, des éclaireurs du
général de Rheinbaben ,
partis de Damville ,
s'avançaient jusqu'à Breteuil, où
ils rencontraient des francs-tireurs; puis, après avoir
échangé des coups de feu pendant un quart d'heure
aux abords de cette ville, l'ennemi regagnait ses
cantonnements, emmenant un landwehrien du 2e régiment
de grenadiers de la garde, blessé dans cette
rencontre.
Pendant ce temps, les reconnaissances
du général de Bentheim
attaquaient nos avant-postes
de la Rille sur plusieurs points,
notamment au Bosrobert,
en avant de Brionne, et
à Appeville, sur la
lisière de la forêt de Montfort,
où un dragon lithuanien
fut tué.
Tandis que le général Roy
s'occupait de réorganiser
la défense de la vallée de la Rille, le ministre de
la guerre, ayant appris les résultats de son mouvement
offensif, lui adressait des dépêches dans lesquelles
il lui reprochait, en termes fort vifs, d'avoir
adopté de mauvaises dispositions et de s'être laissé surprendre
par l'ennemi.
En même temps il le remplaçait
par le colonel Saussier,
du 41e de ligne, qui fut
promu au grade de général de brigade, et chargé du
commandement des forces réunies dans l'Eure et le
Calvados.
Formation d'une division avec les troupes de l'Eure et du Calvados sous le général Saussier
Le 9 janvier,
le général Saussier vint se mettre à
Brionne à la tête de ses troupes, qui se trouvaient
réparties le long de la Rille.
Par suite de la réunion
du corps de l'Eure et des mobilisés du Calvados, il
disposait de près de 20000 hommes, et il reçut
l'ordre d'organiser, avec ces divers éléments, une
division destinée à faire partie du 19e corps en formation.
La 1e brigade de cette division resta aux
ordres du général Roy, la seconde fut placée sous
le colonel de Gouyon.
L'armée du Havre devait également former une
division pour le 19e corps; mais, avant d'arriver à
cette formation, nous devons dire quelques mots des
événements, d'ailleurs peu importants, survenus dans
ces derniers jours en avant du Havre.
Tandis que le général Roy
échouait aux portes de
Rouen, le
général Peletingeas se tenait,
avec une colonne mobile d'une dizaine de mille hommes et
trois batteries, entre Bolbec
et Goderville, avec son
quartier général à Bréauté.
Il était opposé au général
de Pritzelwitz,
qui, chargé d'observer
le Havre, occupait
la ligne de Duclair
à Barentin, avec
la brigade de
Zglinitzki et celle du
comte de Brandebourg.
L'ennemi
avait poussé jusqu'à Yvetot
un fort détachement, afin
de s'éclairer dans la direction
de Bolbec et
de Fauville
il y eut même dans cette dernière localité quelques
coups de feu échangés entre les éclaireurs des
deux partis.
Au moment où les opérations recommençaient
dans le Nord ainsi que sur la rive gauche
de la Seine, un mouvement offensif
de l'armée du
Havre sur la ligne
de Rouen
à Amiens aurait certainement
bouleversé tous les projets de l'ennemi, mais
ce mouvement ne devait pas être tenté.
Tout ce que
fit le général Peletingeas
fut de porter, le 2 janvier,
sa colonne mobile en avant de Bolbec,
entre Lanquetot
et Nointot.
Rencontre d'Alliquerville (2 janvier)
Le même jour, nos hussards allèrent
éclairer la route de Rouen;
cinq d'entre eux s'avançant
vers Alvimare rencontrèrent sur
les limites de
cette commune, aux abords
d'Alliquerville, une patrouille
du 2e régiment de dragons de
la garde
à laquelle ils blessèrent un cavalier.
Ce furent là les seuls
coups de feu échangés.
Peu au courant de la situation
militaire, mal renseigné sur les forces de l'ennemi
et voyant dans ses reconnaissances
sur Fauville
les indices d'un mouvement tournant, le
général Peletingeas
avait résolu de se replier sur les lignes de
défense, et il fit convoquer
le 3 janvier les divers
comités et corps constitués de la ville
du Havre
pour les associer à la responsabilité de
cette détermination.
Approuvé peut-être par les autorités
civiles et les gens incompétents, ce projet souleva
chez les militaires, officiers supérieurs ou chefs de
service, une opposition à peu près unanime; néanmoins,
la colonne mobile du Havre
reçut l'ordre de
reprendre les positions qu'elle occupait précédemment,
de Beuzeviile
à Goderville.
A peine ces troupes
étaient-elles en marche, dans la matinée
du 4 janvier,
qu'elles entendirent très-distinctement le canon qui
tonnait en ce moment sur les hauteurs
de Bosgouet
et de
Saint-Ouen-de-Thouberville;
le son se propageant
sur la terre gelée produisait une illusion telle,
que l'on crut un moment à uncombat d'arrière-garde;
plusieurs bataillons s'arrêtèrent spontanément pour
faire face à l'ennemi; mais nos éclaireurs n'ayant
rien signalé, on attribua cette canonnade à un engagement
de notre flottille sur la Seine, et le mouvement
rétrograde fut continué.
Rentrée du général Peletingeas au Havre
Dans la soirée, le général
Peletingeas, ayant
appris la défaite de
nos troupes de l'Eure,
s'empressa de replier les siennes.
Elles se
mirent en marche pendant la nuit, arrivèrent dans
l'après-midi
du 5 janvier
aux environs du Havre, et
prirent leurs cantonnements sur la ligne
d'Harfleur
à Montivilliers
et Octeville.
Pendant cette sortie d'une
douzaine de jours, cette colonne mobile fut presque
toujours en mouvement; mal vêtus, mal chaussés,
sans distributions de vivres régulières, bivouaquant
sur la neige par un froid de 12 à 15 degrés, nos soldats
rentrèrent au Havre plus
que décimés par la
maladie; ils avaient dépensé en détail dans les alertes
perpétuelles, les reconnaissances, les marches et
contre-marches qu'on leur fit exécuter, une énergie,
une patience et une résignation dignes d'un meilleur
emploi et d'un autre résultat.
Le général Peletingeas
en se repliant sur le Havre,
par une marche de nuit, se croyait serré de près par
l'ennemi.
Il était suivi en effet, mais de loin et par
un faible détachement c'était une simple reconnaissance
composée d'une compagnie, d'un escadron et
d'une section d'artillerie.
Partie du camp de Bouville,
elle était sous les ordres du
capitaine de Kczewski,
le même qui avait dirigé l'attaque
du 24 décembre
contre Bolbec et
qui apparut de nouveau
le 5 janvier
aux environs de cette ville.
Le lendemain, il se dirigeait
sur Saint-Romain,
et vers dix heures il arrivait
à la hauteur
de Routot.
Là,tandis que ses cavaliers
battaient la campagne, il mit ses deux pièces en batterie
sur la droite de la route et lança
sur la Queue-du-Gril,
vide de défenseurs, une vingtaine d'obus,
après quoi il
regagna Saint-Romain
et Bolbec.
C'était,
comme on l'a déjà vu, un moyen employa par les
Prussiens pour s'éclairer et pour accroître la portée
de leurs reconnaissances.
Ces procédés de canonnade
à outrance étaient alors plus en vogue que
jamais dans toute l'armée allemande; et ce même
jour, le général de Barby,
qui commandait à Evreux,
menaçait la ville d'un bombardement, à propos
d'un article de journal.
Formation d'une division avec les troupes du Havre et projet d'embarquement de cette division (7 et 8 janvier)
Ce fut le lendemain du jour où les Prussiens avaient
ainsi insulté les avant-postes du
général Peletingeas,
qu'il reçut l'ordre de former avec ses troupes les
mieux organisées une division destinée à faire partie
du 19e corps.
Le 7 janvier,
il réunit les officiers supérieurs
au château d'Epréménil, où il avait installé son
quartier général, et il leur communiqua les dépêches
qu'il avait reçues.
Le projet de départ rencontra une
approbation presque unanime; seul le commandant
des mobiles du Havre protesta contre
l'abandon inopportun
d'une place pour laquelle on avait fait jusque là
les plus grands sacrifices; il obtint que son bataillon
ne ferait point partie de la formation projetée.
Dans
la matinée du 8 janvier,
les troupes furent concentrées
au Havre;
la flottille devait les conduire à Caen,
où le matériel du chemin de fer avait été réuni pour
leur transport ultérieur sur Mézidon
et Argentan.
Dans la journée, il y eut un échange suivi de dépêches
entre le Havre et
Bordeaux;
et, soit que les autorités
civiles aient fait de nouvelles représentations
au ministre
de la guerre, soit que ce dernier ait reconnu
lui-même que le corps dont il voulait renforcer le
général Chanzy ne pourrait jamais arriver
à temps
pour le secourir, toujours est-il que dans la matinée
du 9 l'embarquement fut contremandé.
Les troupes
reprirent aussitôt leurs cantonnements, à la grande
satisfaction des habitants
du Havre et à la confusion
non moins grande de tous ceux qui avaient présenté,
deux jours auparavant, de si excellentes raisons pour
l'abandon de la place.
Départ du général de Manteuffel et son remplacement par le général de Goeben
A cette même date du
9 janvier, il se produisit
dans la répartition des forces de nos adversaires une
modification importante : le
général de Manteuffel,
appelé au commandement
de l'armée du Sud, qui
allait opérer contre le
général Bourbaki,
fut remplacé
à la tête de la Iere armée
par le général d'infanterie
de Goeben.
Ce dernier, toujours opposé au général
Faidherbe, s'empressa
de faire diriger
de Rouen sur
Amiens six bataillons et
deux batteries tirés du
Ie corps,
pour en former le détachement du général
de Memerty.
Sur la Seine, les forces ennemies étaient
donc réduites à seize bataillons et seize escadrons,
avec lesquels le général
de Bentheim
occupait la ville
de Rouen, la ligne
de Bourgachard
à Pont-de-l'Arche
sur la rive gauche, et celle
de Duclair
à Pavilly sur
la rive droite.
Ainsi affaibli, il devait nécessairement
se tenir sur la défensive; il se contenta donc d'envoyer
dans la direction du Havre,
de Fécamp et de
Dieppe,
des détachements d'observation, des colonnes
volantes et des simples reconnaissances.
Combat d'avant-postes à Gainneville (10 janvier)
Un de ces détachements parut
le 10 janvier
à Gainneville.
C'était le même qui était venu
le 6 janvier
jusqu'à Routot,
d'où il avait fait
sur la Queue-du-Gril
une reconnaissance
à coups de canon; le 7 janvier,
il avait marché sur Fauville,
le 8 janvier
sur Fécamp,
et, après être rentré au camp
de Bouville,
il s'avançait de nouveau
le 9 jusqu'au
delà de Lillebonne.
Il était composé, comme précédemment,
d'une compagnie montée sur des voitures,
d'un escadron et de deux canons, sous les ordres
du capitaine de Kczewski,
du 5e régiment d'infanterie.
Par suite de la concentration de troupes qui s'était
opérée au Havre
en vue d'un embarquement, il ne
restait alors aux avant-postes que des mobilisés : une
partie de ces troupes couvrait la route du
Havre en
avant d'Harfleur,
s'étendant du château d'Orcher à
celui de Bainvillers;
Gainneville n'était occupé le
10 janvier
que par la 4e compagnie du 2e bataillon de
la légion de Rouen
(capitaine Lecerf), qui s'y trouvait
de grand'garde et s'était établie dans une ferme située
en face de l'église.
Vers six heures du matin, le capitaine
de Kczewski,
parti pendant la nuit de Saint-
Antoine-la-Forêt, arrivait à
Gainneville, en vue de
nos avant-postes.
Il prit position au lieu dit la
Maison-Blanche, établit ses deux pièces en face
du pavillon
Holker et se mit en devoir de recommencer
une canonnade qui, cette fois, ne devait pas rester
complétement impunie.
Déployés derrière les haies,
les fossés et les clôtures des fermes, les mobilisés
accueillirent l'ennemi par une vive fusillade et le
maintinrent à distance pendant plus d'une demi-heure
mais, ayant épuisé leurs faibles munitions et
ne se sentant pas soutenus, ils se virent forcés de se
replier sur
Gonfreville-l'Orcher.
Les Prussiens les
suivirent en lançant de diverses positions une trentaine
d'obus, qui n'occasionnèrent que des dégâts matériels
insignifiants; vers huit heures, ils reprirent la
direction de Bolbec,
emmenant avec eux cinq hommes
blessés, dont deux mortellement.
De notre côté, deux
mobilisés furent légèrement atteints, et une femme
de Gainneville eut l'épaule
traversée par une balle.
A la suite de cet engagement, l'armée du Havre
resta établie derrière ses lignes de défense.
A partir
de cette époque, les événements décisifs vont se
précipiter :
le 10 janvier,
la capitulation de Péronne a
rendu l'ennemi complètement maître de la ligne de
la Somme; le 12,
notre armée de la Loire
essuie au Mans
un désastre irréparable;
nos armées de l'Est et
du Nord luttent
encore, mais avec plus de résignation
que d'espoir de succès; Paris bombardé se prépare
à faire son dernier effort; de toutes parts on pressent
l'approche de la crise suprême.