Documents
La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 3 |
Suite des entreprises de la cavalerie ennemie sur l'Eure et sur l'Oise
Source : L. Rolin.
Situation militaire de la Normandie à la fin du mois de septembre
La présence des Allemands à Mantes
et à Beauvais
avait semé au loin l'effroi parmi les populations de la
Normandie, et l'alarme était grande dans les départements
d'Eure-et-Loir, de l'Eure et de la Seine-Inférieure,
qui se sentaient de plus en plus menacés,
et qui allaient avoir à subir d'un jour à l'autre les
incursions et les déprédations des fourrageurs ennemis.
Ces craintes n'étaient que trop fondées, et la situation
était devenue des plus sombres dans les derniers
jours de septembre, au moment où la France, après
d'irréparables désastres, apprenait encore la chute
de Toul
et celle de Strasbourg.
La capitale,
étroitement investie, ne pouvait songer qu'à elle-même;
la province, abandonnée à ses propres ressources, était
réduite à se débattre dans la confusion et l'impuissance,
et se trouvait désormais livrée à tous les
hasards et à tous les périls de la résistance locale.
Déjà l'Empire, ayant risqué sa dernière armée et Ã
la veille de s'écrouler, avait fait appel à son armée
administrative pour la création de nos réserves.
Le
ministre de l'intérieur reçut la mission de réunir en
quelques heures, au moyen du télégraphe, les
ressources que le ministre de la guerre avait eu des
années pour organiser.
Les préfets furent chargés
de convoquer la garde mobile, de pourvoir à son
habillement, à son équipement, à son armement et
à sa solde, de favoriser la formation des corps francs,
et d'activer celle des compagnies de marche de la
garde nationale.
Des fonctionnaires civils, remplissant
des fonctions analogues à celles de nos inspecteurs
généraux, furent envoyés en province pour
s'assurer de l'exécution des mesures prescrites.
Cette
mission fut dévolue, pour la Normandie, à M.
le conseiller d'État Oscar de Vallée, dont la tournée se
trouva interrompue par la nouvelle de la catastrophe
de Sedan.
Ce qui restait en France d'anciens militaires
subit avec tristesse, mais avec résignation, les
inspections et les revues de ces personnages civils.
Si seulement on s'était borné à se servir de notre
machine administrative pour habiller, soigner et
ravitailler les divers contingents, peut-être que l'on eût
pu tout réparer; mais, au lieu de s'occuper exclusivement
d'administration, les autorités civiles prétendaient
s'immiscer dans la direction militaire,
imposer des plans et ordonner des mouvements; les
généraux et les chefs de corps, au lieu d'avoir Ã
songer uniquement à leurs troupes, sont forcés de
compter avec les préfets, les maires et les conseils
municipaux, qui, loin de les aider, les contrecarrent,
leur enlèvent toute initiative, et par là même le
sentiment de leur propre responsabilité.
Au moyen des ressources qu'il a créées, chaque département, dans
un esprit d'égoïsme aussi absurde qu'étroit, veut
essayer de protéger ses confins comme une nouvelle
frontière;
les arrondissements imiteront l'exemple des
départements, et nos forces, au lieu de se concentrer,
vont se trouver éparpillées sur tous les points.
Comme l'Empire, le gouvernement de la défense
nationale ne sut pas se dégager des préoccupations
politiques; c'est pour ce motif qu'il patronna ce funeste
système de défense sur place, et la formation de ces
innombrables comités de défense, d'initiative ou de
vigilance, dont l'action a si souvent paralysé celle
de nos généraux.
Ces divers comités étaient composés
de gens étrangers pour la plupart aux connaissances
militaires, et qui avaient néanmoins la voix
prépondérante.
Des avocats, des médecins, des pharmaciens,
qui n'auraient pas manqué de crier haro
s'ils avaient vu des officiers plaider le mur mitoyen,
prescrire des médicaments ou manipuler des pilules,
étaient les premiers à fouler aux pieds l'antique
maxime : "Chacun son métier ".
Abusés par la légende de 1792, ils croyaient à l'improvisation des
armées, et proclamaient qu'il n'était pas nécessaire
d'avoir moisi plusieurs années dans une caserne pour
défendre son pays; ils se figuraient qu'un homme est
un soldat, et que l'élan et la passion suffisent à tout
et remplacent tout, l'ordre, l'autorité, la discipline,
le nombre, et même le canon.
Avec de tels stratégistes, nos provinces de l'Ouest
se trouvaient condamnées à l'isolement.
Elles étaient presque complétement dépourvues de troupes
régulières mais, sous l'imminence du danger, il s'était
produit chez elles un grand mouvement patriotique :
les volontaires se multipliaient, chacun voulait se
défendre, et chacun cherchait un fusil; mais par
malheur les armes faisaient défaut, et, plus encore
que les armes, les institutions militaires, qui forment
à l'avance les bras capables de les manier, et qui
sont le plus sûr boulevard de l'indépendance d'une nation.
Par suite du manque de direction militaire, nous
n'aurons guère à étudier dans le cours de cet ouvrage
que des opérations toutes locales, ne se rattachant Ã
aucun plan d'ensemble ; nous allons donc suivre
successivement, sur chaque rive de la Seine, les efforts
isolés qui vont être faits pour tâcher d'opposer une
digue au flot sans cesse grossissant de l'invasion.
Corps du général Gudin dans le département de la Seine-Inférieure
Sur la rive droite, à Rouen, commandait le général
de division comte Gudin, fils de l'illustre Gudin, tué
à Valoutina ; (...) sorti spontanément du cadre de réserve pour
offrir à son pays le secours d'un bras plus que
septuagénaire et l'exemple du patriotisme, était venu
reprendre le commandement de la 2e division militaire,
qu'il avait longtemps et dignement exercé.
C'était un homme d'une activité et d'une énergie vraiment
surprenantes pour son grand âge, qui jugeait la situation
froidement, sans illusions, mais sans faiblesse.
Il voyait clairement qu'en voulant se défendre de tous
côtés, on n'arrêterait l'invasion nulle part; aussi
était-il d'avis de temporiser, convaincu que chaque
jour écoulé était un jour de gagné sur l'ennemi.
D'ailleurs, les forces dont il disposait étaient des
plus restreintes ; le noyau en était formé par deux
régiments de cavalerie échappés de Sedan et arrivés
à Rouen dans les derniers jours de septembre.
II y avait, en outre, deux bataillons de marche de la ligne
en formation dans la 2e division militaire; mais ces
corps se composaient, en grande partie, de jeunes
soldats de la classe de 1870, appelés dans les dépôts
dans la seconde quinzaine de septembre; il fallait
le temps de les instruire, et ils ne furent en état de
prendre la campagne que vers la fin du mois suivant.
Le gros des forces du général Gudin se composait
de douze bataillons de mobiles, mal habillés,
peu ou point équipés, n'ayant que des chaussures de
carton ou des vêtements d'amadou, (...) ;
tous armés de fusils transformés modèle
1867, dits à tabatière, armes défectueuses, d'une
faible portée, d'une justesse médiocre, très-sujettes
à se détraquer, sans pièces de rechange, et en grande
partie hors de service.
Telles étaient les troupes que,
sur la rive droite de la Seine, le général Gudin
pouvait opposer aux détachements du comte de Lippe
et du prince Albert, qui, opérant de concert, avaient
sous leurs ordres six bataillons, seize escadrons et
trente canons, c'est-à -dire sept à huit mille hommes
de troupes aguerries, exaltées par le succès, éclairées
par une nombreuse cavalerie, et pouvant, en cas d'attaque,
se concentrer rapidement sur le même point.
A côté du général Gudin,
à Rouen,
M. Estancelin,
ancien député, avait reçu du gouvernement le commandement
supérieur des gardes nationales dans les
départements de la Seine-Inférieure, du Calvados
et de la Manche, avec la mission de les habiller, de
les armer, de les organiser et d'utiliser leurs services.
M. Estancelin s'était aussitôt mis à l'oeuvre,
avec un dévouement d'autant plus méritoire qu'il
n'avait autour de lui aucun militaire apte à le seconder,
et qu'il rencontrait à chaque pas des difficultés
de toute sorte.
Dissoute dans presque toutes les villes
de France, la garde nationale avait été maintenue Ã
Rouen et Ã
Elbeuf, où elle formait une légion bien
organisée; mais dans le reste du département de la
Seine-Inférieure et dans ceux du Calvados et de la
Manche, il n'était guère possible de compter sur un
concours efficace des gardes nationaux volontaires
avant que les compagnies de marche fussent formées.
Le grand génie guerrier des temps modernes, (Napoléon Ie),
écrivait "Il ne faut pas que les gardes nationales
aillent se mettre par quinze cents devant
l'ennemi, sans ordre. Elles y vont, il est vrai, mais
elles en reviennent bien plus vite".
Le général Gudin connaissait l'opinion de Napoléon Ie sur la
garde nationale, et se serait bien gardé d'épuiser,
en les employant prématurément, les ressources que
pouvait fournir plus tard cette milice, lorsqu'elle
aurait été réunie et exercée.
Avec des moyens aussi restreints, il ne pouvait faire qu'une seule chose,
gagner du temps pour instruire et discipliner ses
jeunes troupes, pour organiser un peu d'artillerie,
car il ne possédait pas un canon, et enfin pour
permettre aux fortifications du Havre de s'élever et de
s'armer; car le Havre était son seul point d'appui,
et, en cas d'échec ou devant des forces supérieures,
il avait l'ordre du ministre de se retirer sur cette
place.
La ville de Rouen, dont les maisons sont en grande
partie construites en bois, est dominée à une très
petite distance par une série de hauteurs qui
l'entourent de toutes parts sur la rive droite de la Seine,
et n'est pas défendable avec la portée actuelle de
l'artillerie, Ã moins d'avoir des troupes nombreuses
et solides pour occuper sérieusement la crête des coteaux.
La défense immédiate de Rouen avec le
peu de troupes novices que possédait le général Gudin,
eût amené inévitablement la destruction d'une
des plus grandes cités commerciales de France,
la perte de sa garnison, et cela sans résultat utile pour
l'ensemble de la défense du territoire.
Aussi le plan du général était-il d'occuper la vallée de l'Andelle,
la foret de Lyons et le pays accidenté qui s'étend
depuis Gournay jusqu'à Neufchâtel , en portant
successivement sur cette ligne les bataillons organisés
au fur et à mesure qu'ils lui arriveraient.
Ce terrain couvert, coupé, boisé, était un champ de bataille
très-favorable pour former des débutants, les
Allemands ne pouvant y déployer les deux armes qui
leur donnaient la supériorité, la cavalerie et
l'artillerie.
LÃ on pouvait, non point les provoquer, mais
les attendre ; aguerrir nos jeunes troupes en leur
faisant surprendre les reconnaissances ou les partis
ennemis qui se présenteraient à leur portée, et, en
cas d'attaque par des forces supérieures, se retirer,
selon les circonstances, sur le Havre par la rive
droite de la Seine, ou par la rive gauche au moyen
des ponts conservés intacts.
Les nombreux comités locaux de défense qui
avaient, eux aussi, leurs plans particuliers et leur
stratégie de clocher, ne se firent pas faute de
critiquer les dispositions prises par le général Gudin ;
dans l'arrondissement des Andelys , qui se trouve
séparé par la Seine du reste du département de
l'Eure, on pressait très-vivement le général de
s'établir sur la ligne de l'Epte, qui formait autrefois la
limite entre la Normandie et l'Ile-de-France.
De cette façon, il est vrai, nos troupes, au lieu d'être
adossées à une rivière, eussent été couvertes par une
autre; mais l'Epte, qui prend sa source au même
point que l'Andelle , a un développement de plus de
vingt lieues, et en outre, dans son cours inférieur,
elle arrose un pays à peu près découvert, le pied
des plateaux du Vexin; elle offrait donc une ligne plus
étendue, plus éloignée et beaucoup moins favorable
que l'Andelle.
D'ailleurs il est probable que si le
général Gudin s'était porté sur l'Epte, d'autres lui
auraient conseillé de s'avancer jusqu'à l'Oise; mais
se hasarder si loin avec des troupes si peu nombreuses
et si novices, c'était appeler l'attention de
l'ennemi, aller bénévolement au-devant d'un échec
certain, et découvrir du même coup, non-seulement
l'arrondissement des Andelys,
mais encore Rouen
et la Seine-Inférieure, qui avaient bien aussi leur
importance et qu'il s'agissait particulièrement de
protéger.
Le général s'en tint donc avec fermeté au plan
qu'il avait conçu, plan qui était le seul raisonnable,
le seul sérieux, et le seul qui serait probablement
adopté aujourd'hui par tout chef militaire placé dans
les mêmes conditions.
Dans les derniers jours du mois de septembre, les
troupes dont le général Gudin disposait sont ainsi
réparties :
à Fleury-sur-Andelle,
le 12e régiment de chasseurs ;
à Charleval, le 2e bataillon de la garde
mobile des Hautes-Pyrénées ;
à la Feuillie, le 8e bataillon
du Pas-de-Calais ;
à Gournay,
deux escadrons du 3e régiment de hussards,
le 1e bataillon de la garde mobile du Pas-de-Calais
et le 4e de l'Oise ;
à Argueil,
le 1e bataillon des Hautes-Pyrénées ;
enfin le
1e bataillon de l'Oise
est dirigé sur Formerie .
Les 1e et 2e bataillons des Landes, arrivés depuis
quelques jours à Rouen, achèvent de s'y former; les
2e et 3e bataillons de l'Oise
et le 2e de la Seine-Inférieure
sont employés aux travaux de défense et Ã
l'armement de la place du Havre.
Si nous ajoutons aux troupes que nous venons d'énumérer
les bataillons de marche de la ligne en formation dans les
dépôts, nous aurons l'ensemble des forces placées sous
les ordres du général Gudin au 1e octobre, soit
deux régiments de cavalerie, deux bataillons de
marche de la ligne en formation, et onze bataillons de
mobiles; en tout, 13 Ã 14 mille hommes sans artillerie.
Corps du général Delarue dans le département de l'Eure
Sur la rive gauche de la Seine, Ã Evreux,
le général Delarue, commandant la subdivision
territoriale, était chargé de la défense du
département de l'Eure, car le délégué du ministre
de la guerre avait réparti pour la défense les
départements en deux zones, la première comprenant
ceux qui se trouvaient en contact immédiat avec
l'ennemi.
Vers le 20 septembre, le général
Delarue avait reçu pour instructions d'évacuer
Évreux dès que l'ennemi s'en approcherait,
et de replier ses troupes sur Serquigny,
point stratégique qu'il devait défendre autant
que possible, ainsi que la ligne du chemin de fer,
qui restait dans ce cas la seule communication
libre avec Rouen et le nord de la France.
A cette date, le général Delarue
n'avait à sa disposition
que le 39e régiment de la garde mobile de
l'Eure et le 1e régiment des Éclaireurs de la Seine,
formant ensemble un effectif de moins de 4000
hommes, sans cavalerie ni artillerie.
Le département de l'Eure faisant partie de la 2e division militaire,
le général Delarue se trouvait sous les ordres du général
Gudin ; mais il était en réalité dans la dépendance
des comités de défense de son département, lesquels,
comme on sait, prétendaient ne dépendre de
personne.
L'action des départements de la Seine-Inférieure
et de l'Eure se trouva ainsi presque complétement
isolée dès le début ; le commandant de la
division militaire ne s'occupait de ce qui se passait au
delà de la Seine que parce que Rouen pouvait être attaqué de ce côté.
Avant de revenir sur la rive droite
de ce fleuve, nous allons raconter en peu de mots les
événements qui se sont déroulés sur la rive gauche Ã
la fin de septembre et dans les premiers jours d'octobre.
Retournés à Vernon à la suite de leur première
apparition à Mantes le 22 septembre, les Éclaireurs
de la Seine, formant deux bataillons, allèrent
s'établir le lendemain dans la forêt de Rosny; le 25, ils
s'avancèrent jusqu'à Magnanville, et le 28, ils
occupèrent Mantes, chassant devant eux les éclaireurs
prussiens.
Ce jour-là , un des leurs, le capitaine Guillaume
explorant les environs à la tête d'une
patrouille, surprit dans la cour d'un moulin d'Epône
quelques cavaliers qu'il dispersa; il s'empara de leurs
chevaux, qu'il ramena, aux grands applaudissements
des habitants de Mantes qui le virent rentrer dans cet
équipage.
Le 29, les Éclaireurs de la Seine allèrent
camper à Maule, en arrière de la petite rivière de la
Mauldre et de la forêt des Alluets, opposés aux
fourrageurs ennemis de la 5e division de cavalerie, dont
le quartier général se trouvait à Saint-Nom, et qui,
depuis l'expédition de la brigade de Brédow contre
Mézières, était concentrée Ã
Saint-Germain, sur la
lisière de la forêt de Marly.
Les francs-tireurs furent suivis dans ce mouvement
par des gardes nationaux sédentaires.
Depuis le 20 septembre, un piquet d' éclaireurs à cheval de
la garde nationale
de Rouen (sous-lieutenant
Lequeux-Muston) avait exploré la rive droite de la
Seine, en passant par Fleury-sur-Andelle, Etrépagny
et Magny.
En l'absence de toute cavalerie régulière,
ces volontaires avaient rempli leur mission avec
une Intelligence et une activité remarquables, donnant
fréquemment de leurs nouvelles et tenant la
population, alors si anxieuse, au courant de la marche de
l'ennemi.
Ils furent rejoints peu de temps après par
une colonne sous les ordres du commandant général
Estancelin; elle se composait d'un autre piquet de
cavaliers et d'éclaireurs à cheval
de Rouen et d'Elbeuf,
du dépôt de la garde mobile de la Seine-inférieure, et
d'environ sept cents volontaires du 1e bataillon de la
garde nationale de Rouen
(commandant Rondon).
Excursion de la garde nationale de Rouen à Mantes (29 septembre)
Transportées par le chemin de fer, ces troupes firent
leur entrée à Mantes
le 29 septembre, peu d'heures
après que les Éclaireurs de la Seine en étaient partis.
Après avoir poussé une pointe en chemin de fer
jusqu'Ã Meulan,
de concert avec les tirailleurs havrais
de la 1e compagnie qui se trouvaient dans ces
parages, et exploré quelques localités entre Mantes
et
Mézières
sans rencontrer l'ennemi, la colonne
expéditionnaire, couverte par les francs-tireurs, reprit le
soir même le train qui l'avait amenée, et passant par
Louviers et Elbeuf,
fit sa rentrée à Rouen le 2 octobre.
Entreprises du détachement de Bredow sur la rive gauche de la Seine
"C'était incontestablement une expédition aventurée",
comme l'a plus tard avoué celui qui la dirigeait ;
en effet, si elle avait été différée de vingt-quatre
heures seulement, le commandant général Estancelin
se serait trouvé en face du général de Bredow ,
qui, à la tête d'une colonne composée du 13e
régiment de dragons, de deux escadrons du 16e uhlans ,
de six compagnies d'infanterie bavaroise et d'une
batterie d'artillerie, s'apprêtait à faire de son côté une
expédition contre Mantes, afin de purger la contrée
des francs-tireurs qui l'occupaient.
Les deux bataillons des Éclaireurs de la Seine
(commandant de Faby),
arrivés à Maule le 29, s'étaient
répandus aux environs, notamment à Ecquevilly, où
ils tirèrent sur une patrouille du lOe hussards , Ã
laquelle ils prirent un homme et deux chevaux, et aux
Alluets , où deux cents des leurs environ passèrent la
nuit : aucune troupe française ne devait s'approcher
aussi près de Paris pendant l'investissement.
Rencontre des Alluets (30 septembre)
Le 30, vers six heures du matin, on signala la présence d'une
patrouille; c'étaient trois dragons du 13e régiment
de Schleswig-Holstein qui se dirigeaient sur les
Alluets au pas de leurs montures.
Embusqués derrière
des murs, les francs-tireurs les attendirent et les
reçurent par une décharge qui tua un cheval et blessa
mortellement un cavalier.
Le même jour, vers onze
heures, l'avant-garde du général de Bredow
vint
prendre position à l'est du village, à une distance de
plus de deux kilomètres, et se mit en devoir de le
bombarder et de l'incendier, tout en fouillant de ses
obus les bois où les éclaireurs s'étaient réfugiés.
Ceux ci, bien que hors de portée, ripostèrent par une
fusillade qui eut pour résultat de maintenir à distance
l'infanterie bavaroise.
Pendant près de trois heures
l'artillerie ennemie ne cessa de tonner, et plus de cent
obus tombèrent sur les Alluets,
où ils mirent le feu
à une grange et endommagèrent plusieurs habitations.
Les nôtres, qui couraient risque d'être enveloppés
dans les bois, furent avertis par les gens
du pays, qui leur servirent de guides, et ils se
retirèrent, sans cesser de tirailler,
par Ecquevilly
et par
Mareil-sur-Mauldre .
L'ennemi en les poursuivant
lança encore une douzaine.d'obus sur le village
d'Herbeville , et brûla,
à la Falaise , la maison d'un paysan
pris les armes à la main.
A la suite de cet engagement,
qui ne causa d'autre perte à l'ennemi que
celle du dragon tué le matin, et aux nôtres qu'une
seule blessure sérieuse, les Prussiens occupèrent
Maule,
et les Éclaireurs de la Seine
se replièrent sur
Mantes , où ils arrivèrent à la nuit.
Occupation de Mantes (le octobre). Rencontre d'Aigleville (5 octobre)
Dans la matinée du lendemain, 1e octobre, le général de Bredow fit
son entrée à Mantes à la tête de la colonne dont nous
avons donné plus haut la composition, et qui pouvait
être forte d'un peu plus de 2000 hommes.
Les Éclaireurs de la Seine, rejoints
par des francs-tireurs de Rouen et
du Havre , venaient de quitter la ville
quelques heures auparavant et n'eurent que le temps
de se retirer à Dammartin , pour se rabattre pendant
la nuit suivante dans la direction de Vernon et de
Louviers.
Il ne restait plus pour couvrir Évreux de ce côté
que la garde mobile de l'Eure.
Dès le 22 septembre,
le 1e bataillon avait été envoyé à Vernon, avec l'ordre
d'occuper la forêt de Bizy.
Le 2 octobre, le 3e
bataillon du même département fut dirigé d'Evreux sur
Pacy, avec mission de harceler l'ennemi qui occupait
Mantes et de le gêner dans ses réquisitions, mais
il avait l'ordre de se retirer devant des forces
supérieures, en se conformant aux instructions contenues
dans la circulaire ministérielle du 21 septembre sur
l'emploi de la garde mobile.
Le 3, sur l'ordre du
lieutenant-colonel d'Arjuzon, commandant le 39e
régiment de la mobile de l'Eure, les 1e et 3e bataillons
se réunirent à Chaufour, et poussèrent une
reconnaissance jusque près de Bonnières, après quoi ils
reprirent les positions qu'ils occupaient
précédemment.
Dans la matinée du 4 octobre, la 2e compagnie
du 1e bataillon (capitaine de Saint-Foy), envoyée de
Port-Villez en reconnaissance
vers Bonnières, s'y
trouva tout à coup en présence du gros du détachement
ennemi venu de Mantes; elle eut à essuyer
le feu de son artillerie, et dut se replier sur Vernon,
d'où la garnison se retira peu de temps après sur
Gaillon et Louviers.
Après avoir fait incendier et détruire
la gare de Bonnières, sous le prétexte qu'on avait
tiré quelques coups de fusil sur ses éclaireurs du
haut d'une locomotive blindée, le général de Bredow
se porta dans la direction de Pacy.
Le commandant
Power, chef du 3e bataillon qui occupait cette ville,
fut informé que l'ennemi s'était dirigé sur Bréval, et
il apprit sa présence à Bonnières.
Menacé ainsi de
deux côtés, il prit ses dispositions en vue d'une
attaque qui devenait imminente.
Il fit occuper Saint-Chéron
par trois compagnies, en plaça deux autres
dans les bois qui se trouvent en avant de
Pacy, le long
de la route de Bonnières,
et laissa les deux dernières
en réserve dans la ville.
Avant que les deux compagnies
envoyées dans la forêt eussent le temps
de prendre position, une trentaine de dragons prussiens
arrivèrent jusqu'au poste établi en avant de Pacy,
mais ils rebroussèrent immédiatement à la vue des
mobiles.
Dans la soirée, le commandant Power rassembla
les deux compagnies restées en réserve et
rejoignit celles qui se trouvaient déjà dans la forêt
avec le lieutenant-colonel d'Arjuzon.
Le 5, avant le
jour, ces quatre compagnies, auxquelles s'étaient joints
quelques volontaires des environs, furent postées Ã
la lisière du bois, sur le territoire
d'Aigleville.
Vers dix heures l'ennemi parut.
Ce furent d'abord
quelques éclaireurs qui tournèrent bride après avoir
essuyé une décharge; puis une assez
forte avant-garde de cavalerie, soutenue par un détachement
d'infanterie dont le feu prenait en flanc nos tirailleurs.
A plusieurs reprises les dragons se mirent en devoir
de charger, mais ils essuyèrent une fusillade nourrie
qui les força de tourner bride.
Peu de temps après
on entendit sur la route le roulement de l'artillerie
qui arrivait avec le gros de la colonne.
Le colonel
d'Arjuzon,
voyant qu'il avait affaire à un corps de
toutes armes et supérieur en nombre, s'abstint de
s'engager et donna le signal de la retraite, qui
s'effectua par Ménille et par le pont de
Cocherel.
Cependant le général de Bredow,
après avoir fouillé
la forêt à coups de canon, s'était porté rapidement
vers Pacy;
puis, apercevant les mobiles dans
Ménille,
il dirigea son feu de ce côté; mais les maisons
seules eurent à en souffrir, et les compagnies qui
s'y trouvaient purent gagner Évreux
sans avoir Ã
déplorer aucune perte.
Les volontaires furent moins
heureux dans le mouvement de retraite, un garde
national d'Evreux fut pris et massacré par la
cavalerie.
Trois habitants de Pacy, qui s'étaient avancés
en curieux et sans armes, trouvèrent également la
mort aux portes de la ville.
Quant au détachement
de Saint-Chéron, il se retira sans coup férir et ne
perdit qu'un caporal isolé, qui, rencontré par
quelques cavaliers, fut blessé et fait prisonnier.
Bien que cette rencontre n'ait occasionné à l'ennemi,
s'il faut l'en croire, que des pertes nulles ou
insignifiantes, le village d'Aigleville faillit
être incendié :
l'ordre en avait été donné, et plusieurs fantassins,
la torche au poing, n'attendaient plus que le signal,
lorsqu'une domestique du château, Bavaroise
d'origine, parvint à adoucir la férocité de ses
compatriotes.
La présence de l'ennemi à Pacy, connue aussitôt Ã
Evreux, y causa une panique des plus vives.
Le colonel Cassagne, qui avait remplacé la veille
le général Delarue dans le commandement de la
subdivision de l'Eure, eut d'abord l'intention
de tenter un retour offensif et de reprendre
ses positions mais l'ennemi ayant occupé Vernon
dans la même journée et paraissant menacer
Evreux de deux côtés, cette ville fut abandonnée
dans la nuit du 5 au 6, les divers
services administratifs et le matériel de la gare
évacués précipitamment, et les troupes dirigées
sur Serquigny.
Le 6, le général de Bredow lança dans la direction
d'Evreux et
de Vernon de forts détachements
de réquisition qui ne rencontrèrent plus aucune
résistance; il réunit ainsi de grandes provisions,
consistant principalement en farines, bestiaux,
avoine et fourrages, qu'il dirigea aussitôt sur les
magasins de l'armée d'investissement.
Entreprises des Allemands sur la ligne de Chartres
Pendant ces entreprises du
détachement de Bredow
sur la rive gauche de la Seine, la 6e division
de cavalerie (général-major duc
de Mecklembourg-Schwerin),
qui opérait à la gauche de la 5e, s'avançait sur
Chartres en suivant la ligne
de Paris
à Rambouillet.
Embuscades et massacres de Saint-Léger-aux-Bois (1-2 octobre)
Le 1e octobre, une patrouille du
16e hussards de
Schleswig-Holstein tentait de se mettre en
communication avec le
général de Rheinbaben;
entre Saint-Léger-aux-Bois et
Condé-sur-Vègre, au
lieu dit les Pins-du-Phalanstère,
elle tomba dans
une embuscade dressée par des gardes nationaux des
communes voisines et des francs-tireurs de
Saint-Léger, et elle eut deux cavaliers tués et
cinq blessés.
Dans ce pays couvert de forêts, les paysans
s'étaient organisés pour inquiéter l'ennemi,
et chaque jour ses fourrageurs étaient reçus
à coups de fusil.
Pour mettre fin à cette résistance,
le duc de Mecklembourg donna l'ordre à un
bataillon du 11e régiment bavarois
"de Tann" de faire une battue dans la forêt.
Dans la matinée du 2 octobre, les Bavarois
cernèrent la commune de Poigny
et se mirent en
devoir de fouiller les bois.
Aux abords de l'étang de la Cerisaie, ils
égorgèrent froidement deux bergers dans la
hutte desquels ils avaient trouvé un vieux
fusil. (...).
A Saint-Léger-aux-Bois, pour venger les
pertes essuyées la veille par les hussards,
ils pendirent le maire par son écharpe Ã
la porte de sa mairie,
fusillèrent un garde national et emmenèrent seize
habitants comme otages.
Deux de ces malheureux,
effrayés, essayent de fuir; ils sont impitoyablement
massacrés; l'un d'eux, lorsqu'il reçut le coup mortel,
tenait ses deux enfants par la main.
LÃ encore, les
meurtriers branchèrent les cadavres de leurs
victimes, supplice que les bourreaux du moyen âge
réservaient aux voleurs de grands chemins.
Un récit allemand de la dernière guerre,
récit illustré, dans
lequel la plume rivalise souvent avec le crayon pour
l'extravagance, nous apprend le nom de celui qui
présidait à l'exécution de ces hautes-œuvres.
C'était le
major de Beumen, un philanthrope, nous dit-on :
der menschenfreundliche Major von Beumen.
Si cet
officier est un type d'humanité, on se demande ce
que peut être le commun des Bavarois, ses
compatriotes.
Pendant ces escarmouches, l'ennemi, qui occupait
en force Rambouillet, poussait de fréquentes
reconnaissances
jusqu'Ã Epernon.
Combat d'Epernon (4 octobre)
Le 4 octobre, le colonel
d'Alvensleben, à la tête de
la 15e brigade de cavalerie,
de deux compagnies d'infanterie du régiment du
corps et du 11e bavarois, et d'une batterie, se porta
lui-même sur cette ville, menaçant ainsi le
département d'Eure-et-Loir.
Ce département était tout à fait
dépourvu de moyens de défense.
Dès que les communications avaient été coupées
avec Paris, le
général Boyer, commandant de la
subdivision militaire, se conformant aux instructions
qu'il avait reçues du ministre, s'était retiré dans
l'Orne avec les mobiles placés sous son
commandement, afin qu'ils pussent achever leur instruction et
acquérir quelque solidité.
Mais cet officier général
se trouvant en désaccord avec les comités de défense,
fut relevé de ses fonctions, et les mobiles rappelés
à Chartres.
A la nouvelle de l'approche de
l'ennemi, le préfet d'Eure-et-Loir, qui, comme tant
d'autres fonctionnaires civils, ne craignait pas d'ordonner
des mouvements militaires, dirigea sur Épernon les
2e et 4e bataillons de la garde mobile de son
département (lieutenant-colonel Marais); renforcés par
quelques gardes nationaux et par des francs-tireurs
du pays, ils allèrent occuper le
plateau des Marmousets
et celui
de la Diane, qui dominent la ville à une
faible distance et sont séparés par une vallée étroite
que traverse la grande route du côté de Rambouillet.
Le 4 octobre, entre dix et onze heures, l'ennemi parut,
et commença la canonnade.
Après une lutte sérieuse de plusieurs heures,
dans laquelle le commandant
Lecomte tomba bravement à la tête du 4e bataillon
d'Eure-et-Loir, et qui coûta, tant aux mobiles qu'aux
gardes nationaux de Droué, quinze tués et une trentaine
de blessés, les nôtres, écrasés par l'artillerie,
se virent forcés d'abandonner le terrain et de se
retirer sur Chartres.
D'après les états de pertes du bureau
statistique prussien auxquels nous nous en rapportons,
bien qu'ils soient souvent inexacts, le colonel
d'Alvensleben avait eu, de son côté, dans cette journée,
sept hommes tués et vingt-quatre blessés, dont
un officier.
Le soir même, il entra à Epernon; le
lendemain, il s'occupa de faire des réquisitions, et
le 7, il retourna à Rambouillet, emmenant son butin
et laissant derrière lui quelques détachements.
L'un de ces détachements, composé du 4e escadron
du 16e régiment de hussards de Schleswig-Holstein
et d'un piquet d'infanterie du 11e régiment bavarois,
occupait Ablis, bourg riche et important,
situé sur les confins du département de Seine-et-Oise.
Surprise et incendie d'Ablis (8 octobre)
Le 8 octobre, un peu avant le jour, les Allemands y
furent surpris et attaqués par environ cent trente
francs-tireurs de Paris
(commandant Lipowski),
venus de Denonville.
Apres une demi-heure de combat,
les nôtres se replièrent, emmenant avec eux
soixante-dix prisonniers et près de cent chevaux.
Dans ce hardi coup de main, qui leur coûta deux
hommes seulement, les francs-tireurs de Paris tuèrent
six Prussiens et en blessèrent cinq autres ; parmi
les premiers se trouvait le capitaine Ulrich, chef de
l'escadron des hussards et du détachement.
Malheureusement les représailles ne devaient pas se faire
attendre : Ã neuf heures du matin, l'ennemi revient
avec des forces considérables pour venger son échec
de la nuit; le village est envahi et cerné; quatre
paysans, rencontrés dans les rues, sont massacrés
sans pitié ; le maire est averti que s'il ne paye pas sur
l'heure une contribution de cinq mille francs, on va
incendier sa commune; puis, quand l'argent est versé,
le feu est mis aux habitations, et le bourg est brûlé
de fond en comble; dans sa soif de vengeance l'ennemi
n'épargne même pas l'ambulance dans laquelle
on a soigné ses blessés.
Vingt-deux otages sont enchaînés et traînés au quartier
prussien du Mesnil-Saint-Denis par
le général-major de Schmidt,
chef de la division de cavalerie, qui menace de les retenir
si le gouvernement français ne lui rend pas les hussards
faits prisonniers.
Le lendemain, cependant, sur la protestation de la
délégation de Tours et des autorités du département,
le général de Schmidt se décida à relâcher les habitants
d'Ablis, et il aurait même, dit-on, en les reconduisant
aux avant-postes, laissé échapper ces paroles:
"A mon lit de mort, je me rappellerai cette malheureuse
affaire."
Il pourra se rappeler également le drame de Sivry-sur-Ante,
dans lequel son ancien régiment a été le principal
acteur, et dont la Champagne ne perdra pas
de si tôt le souvenir.
"L'Incendie d'Ablis était, dit Rüstow, le premier
acte annonçant clairement la guerre de terreur."
Ce n'était ni le premier ni malheureusement le dernier:
déjà nous avons vu le général de Bredow inaugurer
sa marche par le bombardement de Mézières;
nous verrons cette consigne s'exécuter impitoyablement
sur les deux rives de la Seine, et nous n'aurons que
trop souvent l'occasion de flétrir ces représailles
dignes des guerres civiles.
Entreprises des Saxons et des Prussiens sur la rive droite de la Seine
Sur la rive gauche de la Seine, nous avons laissé
les Saxons au moment où, après avoir pris possession
de Beauvais, le 30 septembre ils ont envahi la plus
grande partie du département de l'Oise.
Au commencement d'octobre, se sentant soutenus par
le détachement du prince Albert, dont les patrouilles
sillonnent déjà les environs de Marines et de Magny,
et s'avancent jusqu'aux portes de Gisors,
ils deviennent, de leur côté, plus entreprenants
et le 2 octobre ils envoient dans la direction de
Gournay une première
reconnaissance, forte de deux escadrons de cavalerie,
dragons et uhlans.
Rencontres de Gournay (2 octobre) et d'Armentières (5 octobre)
Gournay,
ville commerçante et marché important,
était un centre de ravitaillement dont l'ennemi désirait
s'assurer la possession; aussi, dès le 21 septembre,
le général Gudin avait-il fait occuper cette ville
par le 8e bataillon de la mobile du Pas-de-Calais
(commandant Darceau), qui fut renforcé le 1e octobre
par le 4e bataillon de l'Oise et par
deux escadrons
du 3e hussards, sous les ordres du
colonel d'Espeuilles.
Dans la matinée du 2 octobre, un peloton de nos hussards
rencontra à la hauteur de Senantes
la reconnaissance
saxonne en marche sur Gournay, et, en
présence d'un ennemi supérieur en nombre, il dut se
replier sur cette ville, suivi de près par les Saxons.
Enhardie par la retraite des nôtres, une patrouille du
18e uhlans s'avance jusqu'à la gare; mais elle est reçue
à coups de fusil par une section de la 5e compagnie
du Pas-de-Calais (lieutenant de Puisieux), qui se
trouve là de grand'garde.
Tandis que le reste de la
compagnie de mobiles (capitaine du Hays) cherche Ã
les tourner au pas de course, le colonel d'Espeuilles,
à la tête d'un escadron, donne la chasse aux uhlans;
et ceux-ci, après avoir essuyé plusieurs décharges,
s'enfuient, emmenant un de leurs sous-officiers blessé
et laissant entre nos mains deux chevaux et un
prisonnier.
Cette première apparition des fourrageurs à Gournay,
sur la limite même de la Seine-Inférieure, causa
dans le département une très-vive émotion; mais
l'émotion de l'ennemi ne fut pas moins vive, car il ne
s'attendait nullement à rencontrer notre cavalerie
régulière, ni surtout à être ramené par elle, aussi
cette escarmouche occasionna-t-elle une alerte, non
seulement parmi la garnison de Beauvais, mais
encore parmi celle de Clermont, qui s'empressa de
doubler le service des grand'gardes et des patrouilles.
Devenus plus circonspects, les Saxons ne se hasardèrent
plus aussi loin, et ce furent nos cavaliers qui
allèrent à leur rencontre.
Le 5 octobre, un peloton
du 3e hussards, en reconnaissance
à la Chapelle-aux-Pots,
fut averti dela présence de patrouilles ennemies
dont il suivit la trace jusqu'Ã Hodenc-en-Bray.
Là , sept de nos hussards se détachèrent, fondirent à toute
bride sur Armentières, et y rejoignirent les Saxons,
qui, ne se croyant pas suivis de si près, faisaient
tranquillement leur provision de tabac et de cigares.
Troublés dans leurs achats, ils détalèrent précipitamment,
poursuivis pendant plusieurs kilomètres
par les décharges des nôtres.
Dans cette nouvelle
rencontre, deux dragons furent mortellement atteints;
quant à nos hussards, n'ayant éprouvé aucune perte,
ils rentrèrent à Gournay, ramenant encore un uhlan
fait prisonnier.
En traversant, dans leur fuite, le hameau d'Héricourt,
les dragons du 2e régiment saxon s'écriaient
qu'ils seraient vengés.
Ils le furent en effet dès le lendemain.
Incendie d'Héricourt (6 octobre)
Sur les ordres du colonel saxon de
Standfest, qui occupait Beauvais, un détachement
d'exécution, commandé par le major de Goerne,
du 2e régiment à pied de la garde prussienne, et
composé des 6e et 7e compagnies de ce régiment,
de deux escadrons du 18e uhlans saxons et de deux
pièces d'artillerie, se mit en route pour la
Chapelle-aux-Pots.
Tandis que la cavalerie cernait le village,
le gros de la troupe se dirigeait sur Héricourt.
DéjÃ
l'avant-garde prussienne avait massacré sur sa route,
au Pont-qui-Penche, un malheureux paysan dont les
réponses incohérentes lui avaient paru suspectes;
en arrivant au passage à niveau du chemin de fer,
dit le Pont-aux-Claies, les fantassins envahirent
la maisonnette du garde-barrière;
l'ayant trouvé
caché dans sa cave avec plusieurs ouvriers employés
aux réparations de la voie, ils le firent sortir;
puis, sur le simplé soupçon qu'il était de connivence
avec des francs-tireurs, ils le forcèrent à s'adosser
à un poteau du télégraphe et le fusillèrent sous
les yeux de sa femme éplorée, en face de sa maisonnette
en flammes.
Quant aux terrassiers, ils échappèrent
à la mort, mais non à l'ignominie mis à nu et attachés
aux arbres de la route, ils ne furent relâchés
qu'après avoir été fustigés d'une façon toute
germanique.
Poursuivant sa marche sur Héricourt,
le major de Goerne arrive vers midi à l'entrée
duvillage; sachant qu'il est vide de défenseurs
et qu'il n'y a personne pour lui répondre, il met
ses pièces en batterie et commence le bombardement
pour ainsi dire à bout portant au bout de vingt
minutes, les hameaux d'Héricourt, d'Armentières
et de la Frenoye sont en feu.
Vers deux heures,
ces héros reprennent la route de Beauvais, laissant
derrière eux une soixantaine d'habitations en flammes,
et satisfaits d'avoir tiré vengeance d'un fait de
guerre qui était pourtant des plus réguliers.
C'est ainsi que, sur la rive droite comme sur la
rive gauche de la Seine, les Allemands, ayant
rompu en visière avec la civilisation, parcourent
notre malheureux pays la mèche allumée, la torche
à la main, et ils se réjouissent de ce que la
"pacification fait partout de rapides progrès"
: Die Pacifirung machte hier uberall
gute Fortschritte !
Ah si de pareils moyens
eussent été employés dans un pays armé et préparé
pour la défense, ils auraient eu pour résultat
l'extermination certaine des "pacificateurs").
Occupation de Compiègne (7 octobre)
Au lendemain de l'incendie d'Héricourt, les
Allemands, pensant nous avoir suffisamment
terrifiés du côté de l'ouest, résolurent d'étendre
leur rayon d'occupation dans le nord un régiment
de dragons saxons parti de Clermont avec une
section d'artillerie, et deux compagnies prussiennes
envoyées de Chantilly, allèrent tenir garnison
à Compiègne, qui avait été visité plusieurs fois
déjà par les fourrageurs ennemis, et qui fut
occupé sans difficulté.
Le major de Funcke, qui
commandait ce détachement saxo-prussien, s'attendait
à faire un long séjour à Compiègne; installé Ã
l'ancienne résidence impériale, il se montrait
assez satisfait de la nourriture et du logement,
quand, deux jours après son arrivée, il reçut
tout à coup, à son grand déplaisir, l'ordre de
retourner à Clermont,
dont le colonel de Standfest
venait de prendre le commandement.
Le général Senfft,
de son côté, s'était rendu à Beauvais pour concourir
au mouvement que le prince Albert et le comte
de Lippe allaient effectuer de concert contre
Gisors.
La ville de Gisors, qui est le centre
d'un commerce important, le nœud de plusieurs
embranchements de chemin de fer, et, en quelque
sorte, la clef du Vexin, ne devait pas tarder Ã
être réquisitionnée par l'ennemi c'était l'objectif
nxé au prince Albert, que nous avons laissé à la
fin du chapitre précédent sur la rive droite de
l'Oise
Apparition des Prussiens à Gisors (6 octobre)
Au commencement d'octobre
, le détachement de ce prince, se reliant Ã
celui du comte de Lippe, poussait ses patrouilles
le long de la ligne de l'Epte, où il détruisait les
ponts de Bray-et-Lu, de Montreuil et d'Aveny.
Le 2 octobre le jour même où les cavaliers saxons
s'avançaient jusqu'aux portes de Gournay, les uhlans
prussiens poussaient jusqu'à Trie-Château, coupaient
le télégraphe à Eragny et y détruisaient le chemin
de fer.
Le 6 octobre, huit des leurs pénétrèrent dans
Gisors, poussant devant eux un habitant qu'ils avaient
pris comme guide et comme sauvegarde; mais, reçus Ã
coups de fusil par les gardes nationaux, qui leur
blessèrent deux chevaux, ils s'enfuirent à toute
bride en abandonnant leur prisonnier.
La présence
presque simultanée de l'ennemi à Pacy et à Vernon,
à Gournay et à Gisors, dans les premiers jours
d'octobre, avait redoublé les alarmes en Normandie.
A Rouen, le commandant
général Estancelin faisait
retentir l'appel aux armes: "L'ennemi entre dans
notre province, disait-il dans sa proclamation
du 8 octobre, que tout homme de cœur prenne son
fusil et vienne le recevoir!
Sur les frontières
de notre département, des accidents de terrain,
des bois profonds, permettent une résistance
efficace : que chaque arbre abrite un tireur, que
chaque obstacle soit défendu!"
C'est à la même
date que M. Gambetta, échappé
de Paris en ballon
et tombé la veille aux environs de Montdidier,
traversait la ville de Rouen, où de sa voix vibrante
il adressait à la foule assemblée ces paroles
restées célèbres : "Si nous ne pouvons faire un pacte
avec la victoire, faisons un pacte avec la mort!"