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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871
Chapitre 16 |
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Événements en Normandie depuis le mouvement du grand-duc de Mecklemhourg jusqu'à la fin de l'armistice
Source : L. Rolin.
Marche du grand-duc de Meclembourg sur Alençon et Rouen
Par suite de nos revers sur la Loire, la Normandie allait être sillonnée
et occupée par un nouveau corps
ennemi, celui du grand-duc de Mecklembourg,
et subir comme une seconde invasion.
On se souvient
qu'après le combat de Dreux
le XIIIe corps prussien s'était rabattu
sur Nogent-le-Rotrou; depuis ce
moment, il avait continué dans l'Ouest une marche en zigzag dont la
trajectoire trahit suffisamment les
incertitudes qui régnaient alors au
grand quartier de Versailles.
Après avoir pris part à la bataille du
Mans,
il fut dirigé sur Alençon.
Combat de Saint-Pater et occupation d'Alençon (15 et 16 janvier)
Il eut le 15 janvier aux abords
de cette ville, à Saint-Pater, un court
mais très-vif engagement avec le général Lipowski,
lequel avait sous ses ordres environ 2000 francs-tireurs
et 4000 mobilisés de l'Orne et de la Mayenne,
avec un peloton de chasseurs et huit canons de
montagne.
Le général de Wittich,
avec la 22e division
arrivait par la route du Mans;
il était appuyé sur celle de Mamers
par la brigade de Bredow,
qui avait été
envoyée à sa rencontre et qui formait son avant-garde.
Tenu en échec pendant toute la journée
du 15, le grand-duc avait pris ses dispositions pour
une attaque générale, lorsqu'il apprit qu'Alençon
avait été évacué par nous dans la nuit.
Il y fit son entrée sans résistance dans la matinée du 16 janvier.
Après avoir séjourné dans cette ville, le XIII corps
cessa de faire partie de l'armée du prince
Frédéric-Charles et reçut l'ordre de
se mettre en marche sur Rouen.
Il devait se joindre à la première armée
prussienne pour frapper contre le général Faidherbe un coup décisif,
car on n'espérait pas à Versailles
que les renforts envoyés de Rouen et
de Paris au général
de Goeben pussent lui suffire pour écraser son adversaire.
Le 18, l'avant-garde du XIIIe corps partit
d'Alençon, éclairée par la brigade de Bredow;
la division de cavalerie de Rheinbaben ayant relevé celle
du prince Albert (père), restée à l'aile droite du
prince Frédéric-Charles.
Cette avant-garde arriva
le 18 à Sées,
le 19 à Gacé et le 20 à
Montreuil-l'Argillé;
elle était suivie à une journée d'intervalle
par la 17e division; la 22e passant
par le Mesle et
Moulins-la-Marche, se dirigea sur
Glos-la-Ferrière,
sans rencontrer d'autre résistance que celle de
quelques paysans qui, sur la route de Crulai
à Laigle,
blessèrent un uhlan et tuèrent un fantassin au major
de Necker, qui commandait l'avant-garde.
La marche du grand-duc de Mecklembourg eut
pour effet d'interrompre brusquement le mouvement
de notre 19e corps, dont les têtes de colonne étaient
déjà parvenues à Argentan, et qui devait gagner
Laval pour y rejoindre
les débris de l'armée de la
Loire.
La présence du XIIIe corps allemand dans
cette contrée jeta le plus grand trouble dans la
direction déjà si indécise de nos opérations militaires;
et le grand-duc, dont la marche de flanc aurait pu
être sérieusement inquiétée, passa devant tout le
front du général Dargent sans rencontrer le moindre
obstacle.
Le département de l'Eure et la lisière
du Calvados étaient complétement abandonnés à
l'ennemi; il se produisit néanmoins quelques
tentatives isolées de résistance dans les arrondissements de
Lisieux et
de Bernay, où des gardes nationaux mal
armés tentèrent, avec plus de courage que de chance
de succès, d'arrêter le flot de ces nouveaux envahisseurs.
Combats d'Orbec et de Bernay (21 janvier)
Le 21 janvier, le
16e régiment de uhlans, détaché
de la brigade de Bredow pour surveiller la route de
Lisieux, se vit brusquement arrêté en avant
d'Orbec
où il essuya des coups de feu.
Averti de cette résistance, le général
de Treskow, qui se trouvait en ce
moment avec le gros de la 17e division
à Montreuil-l'Argillé,
au point de bifurcation des routes de Bernay
et d'Orbec, dirigea sur cette dernière ville
le 14e
bataillon de chasseurs mecklembourgeois, appuyé par
une section d'artillerie et soutenu par un bataillon du
75e; il plaça ce détachement sous les ordres du major
de Gaza, après quoi il continua sa marche sur
Broglie.
A deux kilomètres au sud-est d'Orbec, en avant du
hameau de Sevrais, la route était coupée, fortement
barricadée et gardée par une centaine de
francs-tireurs de Lisieux et de gardes nationaux du pays;
avec une résolution digne d'un meilleur résultat, ces
braves gens essuyèrent quelque temps la canonnade;
mais, menacés d'être pris à revers par deux compagnies
qui avaient déjà débordé leur ligne, ils se virent
forcés d'abandonner leur position et de se retirer sur
Orbec.
Là ils essayèrent encore de se défendre, mais
en présence des forces relativement énormes qui
menaçaient de les envelopper de toutes parts, ils durent
se résigner à évacuer la ville vers quatre heures
de l'après-midi.
Dans cet engagement, un uhlan fut
mis hors de combat; les nôtres eurent deux ou trois
hommes blessés, et quatre d'entre eux furent faits prisonniers.
Dans la soirée, le major de Gaza fit son entrée
à Orbec à la tête de son détachement; son premier
soin fut d'imposer à la ville une contribution de guerre
de 40,000 francs le lendemain, ne voulant pas laisser
impunie la conduite des Français qui avaient commis
le crime de défendre le sol de la patrie et leurs foyers
domestiques, il fit impitoyablement fusiller les quatre
gardes nationaux pris la veille les armes à la main, et
il défendit aux habitants de leur donner la sépulture.
Bien que réduits à leurs propres forces par suite de
l'évacuation complète du département de l'Eure, les
habitants de Bernay, de même que
ceux d'Orbec,
s'opposèrent bravement à la marche de l'ennemi.
Dans la matinée du 21 janvier, dès que l'on connut
son approche, on battit le rappel dans les rues de la
ville.
Réunis au nombre d'environ trois cents, les
gardes nationaux se portèrent à la rencontre des Allemands
et prirent position dans les bois, du côté menacé ils gardaient la route principale au hameau de
Malouve, s'étendant sur leur gauche jusqu'à la vallée
de la Charentonne.
Pendant ce temps, des volontaires partis
en reconnaissance s'avançaient sur la
route de Broglie et, vers onze heures, ils se virent en
présence des premiers éclaireurs du général de Bredow.
Après avoir détaché le 16e uhlans
sur Orbec, ce
général avait continué sa marche sur Bernay
et traversé Broglie sans éprouver de résistance;
mais lorsque son
extrême avant-garde arriva à la hauteur de
Saint-Quentin-des-Iles, elle essuya de loin une
décharge qui lui
fit aussitôt tourner bride.
Le major de
Bessel, qui appuyait ces cavaliers avec un bataillon
du 90e régiment mecblembourgeois, prit aussitôt ses
dispositions une compagnie, détachée sur la rive
droite de la Charentonne, reçut pour mission de menacer
Bernay à l'est, tandis qu'une section
d'infanterie
et un piquet de cavalerie se portaient à l'ouest de
cette ville dans le but d'y détruire le chemin de fer.
Le reste de la colonne suivit la route principale, et,
après avoir dépassé Saint-Quentin,
l'artillerie s'essaya
par quelques coups de canon qui furent le signal du
combat.
L'action s'engagea de tous côtés, et le tocsin,
qui appelait aux armes les habitants des communes
voisines, méta son glas lugubre au bruit du canon et
de la fusillade.
Vers deux heures, les Allemands
s'étaient avancés au delà de Malouve; ils s'étendaient
de la Charentonne à la vallée de Saint-Nicolas, et
fouillaient de leurs obus les abords de la ville et les
bois occupés par les gardes nationaux.
De notre côté,
quelques volontaires, s'emparant d'une lourde pièce
en fonte restée sous les halles de Bernay
et plus dangereuse pour ceux qui la servaient que pour l'ennemi,
la traînèrent jusqu'à l'entrée de la ville où ils la mirent
en position mais, après avoir tiré quelques
coups à mitraille, nos canonniers improvisés se
virent bientôt forcés de cesser cette lutte inégale sur
une route enfilée par les projectiles ennemis.
Le combat de tirailleurs se prolongea néanmoins jusqu'après
trois heures; à ce moment les nôtres, menacés d'être
cernés, se rapprochèrent de Bernay;
quelques-uns
d'entre eux, embusqués dans une briqueterie du Valmonard,
continuèrent opiniâtrément une fusillade
dont l'ennemi ne put triompher malgré sa supériorité
numérique.
La nuit arrivait, et les fusiliers mecklembourgeois ayant
perdu l'officier qui les commandait, le premier
lieutenant Glaewecke, se retirèrent
à une certaine distance, abandonnant le champ de
bataille.
Cette affaire coûta aux habitants de Bernay
une dizaine d'hommes tués ou blessés; mais par cette
conduite honorable ils avaient tenu en échec, pen-
dant une demi-journée, l'avant-garde du XIIIe corps
allemand et effacé le souvenir de la sédition du
17 décembre.
Si tous nos gardes nationaux avaient
défendu leurs foyers avec la même résolution, ils
auraient bien vite lassé l'envahisseur.
Le lendemain,
la lutte devait recommencer; mais elle eût été plus
inégale encore que la veille, car le grand-duc avait
cru nécessaire de concentrer toutes ses forces pour
une attaque générale, et il avait appelé à Broglie la
22e division, qui se trouvait
à Glos-la-Ferrière au
moment du combat.
La municipalité de Bernay, sentant
l'impossibilité d'une plus longue résistance,
s'employa pour la faire cesser, afin d'épargner à la ville
les horreurs d'une prise de vive force.
Le 22 janvier, à six
heures du matin, le major de Bessel, avec un
bataillon et un escadron, prit possession
de Bernay,
après avoir encore essuyé quelques coups de feu qui
amenèrent de sanglantes représailles.
A midi, la 17e division fit son entrée à son tour,
et le général de
Treskow frappa une contribution de guerre, qui fut
réduite, il est vrai, à cent mille francs, mais qui avait
d'abord été portée à un taux dont l'énormité même
montrait tout le dépit qu'éprouvaient les Allemands
de s'être laissés arrêter par une poignée de gardes
nationaux.
Le lendemain, le grand-duc fit éclairer sa marche
vers Rouen par la 5e division
de cavalerie, qui avait
été placée sous ses ordres pour la durée de ses
opérations; le général de Reinbaben lui-même fut
appelé au commandement de la 22e division d'infanterie,
en remplacement du général de Wittich.
Embuscades a Serquigny et à Conches (22 et 23 janvier)
De fortes reconnaissances rayonnèrent dans les
principales directions :
la 17e brigade de cavalerie
(général major de Rauch) s'avança sur la route de
Lisieux jusqu'à Thiberville;
la brigade de Bredow
sur la route de Lieurey
jusqu'à Bazoques;
enfin la brigade
de Redern fut dirigée
sur Brionne;
une de ses
patrouilles, en explorant le cours de la Rille, eut deux
hussards blessés anx environs
de Serquigny.
Le 23 janvier, des flanqueurs
en marche sur le Neubourg
mirent Conches au pillage,
parce qu'au sortir de cette
ville ils avaient essuyé des coups de feu qui blessèrent
un uhlan.
Le même jour, l'avant-garde du XIIIe corps
se mit en communication à Saint-Denis-des-Monts
avec les avant-postes de la Ie armée prussienne.
La
jonction du grand-duc de Mecklembourg avec le
général de Bentheim était dès lors effectuée.
Le 24 janvier, le grand-duc continua
sa marche sur
Rouen; la 17e division
se porta
directement sur
Brionne
et la 22e fut dirigée de
Broglie
sur Beaumesnil,
Beaumont-le-Roger et
le Neubourg.
Rencontre de Marolles (24 janvier). Entrée du grand-duc de Mecklembourg a Rouen (25 janvier)
Pendant ce
temps, le major de Rosenberg ,
à la tête du 13e uhlans ,
s'avançait sur Lisieux ; mais son escadron
d'avant-garde rencontra, au delà
de Marolles, des mobilisés
du Calvados, qui démontèrent deux cavaliers et
forcèrent les autres à tourner bride.
Le major de Rosenberg
fit alors avancer une section d'artillerie
et lança quelques obus sur nos avant-postes, après
quoi, supposant sans doute Lisieux mieux gardé qu'il
ne l'était en réalité, il rétrograda jusqu'à Marolles
et l'Hôtellerie ,
où il établit ses cantonnements.
Le 25 janvier à midi,
le grand-duc fit son entrée à
Rouen, à la tête de son état-major
et de son avant-garde.
Le lendemain, le 90e régiment d'infanterie ,
le 14e bataillon de chasseurs,
le 18e dragons et deux
batteries allèrent renforcer, de Duclair
à Pavilly , sur
la ligne de la Sainte-Austreberte , les détachements
du général de Bentheim .
Le 27 janvier, toute la
17e division
et la brigade de cavalerie
du XIIIe corps passèrent sur
la rive droite de la Seine, tandis que
la 22e restait sur
la rive gauche, cantonnée le long de la Rille, avec la
division de cavalerie de Reinbaben .
Toutes ces troupes faisaient front vers l'ouest,
observant la ligne de la Touques et particulièrement le
Havre .
Le grand-duc, s'imaginant sans doute que le
général Loysel se risquerait à prendre l'offensive,
résolut de rendre le cours de la basse Seine
complétement impraticable.
Le barrage établi précédemment
à Duclair par le général de Bentheim ne lui
parut pas suffisant; il fit encore placer des torpilles
en aval, à la hauteur de Guerbaville;
un officier
supérieur du génie, le major Vincenz , avec un
détachement de pionniers, fut chargé de cette opération.
Pour protéger les travailleurs, des postes de deux
compagnies et de quelques cavaliers furent établis
sur les deux rives de la Seine, à Saint-Vandrille et
à Guerbaville .
Le 29 janvier, le général
de Bentheim concentra, vers
l'embranchement de Dieppe
à Amiens, les fractions
de la Ie armée restées sous ses ordres, à l'exception
de la brigade des dragons de la garde qui fut atta-
chée à la 17e division.
De cette nouvelle position il
pouvait également rejoindre le général de Goeben
ou appuyer le grand-duc de Mecklembourg.
Le même
jour, la rivière de l'Austreberte fut gardée, de Duclair
à Barentin, par le 90e régiment mecklembourgeois
et deux batteries, et la ligne de Pavilly à Clères par la
brigade des dragons de la garde, à laquelle on
adjoignit le 13e bataillon de chasseurs et une seconde
batterie à cheval.
Clères fut occupé par la 17e brigade
de cavalerie.
Yvetot reçut en même temps une garnison
composée de deux compagnies du 90e, d'un
escadron du 18e dragons et d'une section d'artillerie,
sous les ordres du capitaine de dragons comte de
Bethusy-Huc.
Conclusion de l'armistice (28 janvier)
Pendant que l'ennemi prenait ces dispositions, la
fortune venait de nous porter le dernier coup.
La catastrophe suprême, prévue depuis la sortie de Montretout,
achevait de nous accabler :
Paris, n'ayant plus
de pain, avait capitulé; un armistice avait été conclu
le 28 janvier;
le lendemain, les forts de la capitale
étaient en la possession de l'ennemi, et nos armées
de province n'avaient plus d'objectif.
Cette nouvelle
fut accueillie par nos soldats avec une morne résignation :
depuis longtemps ils savaient qu'ils ne se
battaient plus que pour l'honneur.
L'armistice de trois semaines, conclu le 28 janvier,
ne devait commencer que le 31 à midi pour les
armées de province, qui en furent informées dans la
soirée du 29.
A cette date, la division du général
Saussier était restée en arrière de la Dives.
Quant à l'armée du Havre, elle n'était pas sérieusement sortie
de ses lignes de défense;
on s'était borné à mettre
en marche une colonne mobile qui occupait Criquetot;
en outre, une reconnaissance avait été dirigée
sur Bolbec.
Engagements sur la Seine a Guerbaville et à Caudebec (29 et 30 janvier)
A Bolbec, le 24 janvier, des éclaireurs à
cheval du Havre (sous-lieutenant Theymann) avaient
poursuivi une patrouille de cavaliers du 10e
dragons, dont un fut blessé et fait prisonnier;
enfin,
quelques francs-tireurs avaient poussé jusqu'à
Lillebonne;
mais cette dernière ville n'était pas occupée
d'une manière effective.
Les ports de la Seine et
du littoral, tels que Caudebec,
Étretat, Fécamp et
Dieppe, avaient été visités par nos croiseurs, mais
aucun d'eux n'était protégé d'une façon efficace.
Cependant la basse Seine continuait d'être explorée
par notre flottille.
Le 29 janvier, la canonnière l'Oriflamme
(lieutenant de vaisseau Pic-Paris) remontait le
fleuve et arrivait vers huit heures du matin à la
hauteur de Guerbaville;
là, nos marins se virent en présence du détachement
ennemi chargé de la protection des torpilles.
Une fusillade s'engagea aussitôt à
grande distance, et quelques obus que le
commandant Pic-Paris put lancer sans danger pour les
habitants, ne tardèrent pas à disperser les Allemands dans
toutes les directions.
Comme la poursuite n'était pas
possible, l'0riflamme redescendit la Seine, n'ayant
éprouvé que quelques dommages matériels, tels que
cordages coupés et autres légères avaries.
Dans
l'après-midi, au moment où notre canonnière
repassait à Caudebec,
trois dragons ayant fait mine de
la suivre, essuyèrent quelques coups de feu bien
dirigés qui les démontèrent tous les trois et mirent
fin à leur bravade.
Le lendemain, l'Oriflamme appareillait de
Quillebœuf, où elle avait passé la nuit, et remontait de
nouveau la Seine, suivie de la canonnière l'Alerte
(lieutenant de vaisseau Masson).
En approchant de Caudebec,
qui était occupé depuis le matin par le détachement
venu de Saint-Vaudrille, sous les ordres du capitaine
de Quitzow, nos canonnières furent accueillies par
une vive fusillade.
L'Alerte , dont le pont était découvert,
et qui d'ailleurs remontait dimcilement
le courant, dut rebrousser chemin.
Quant au commandant
Pic-Paris, une fois engagé, il continua sa route,
ripostant avec sa mousqueterie;
il ne pouvait se servir de ses canons,
car les Mecklembourgeois étaient
embusqués dans les maisons qui bordent le quai,
et tiraient par les fenêtres.
En raison de la petite
distance à laquelle notre canonnière défilait, les balles,
traversant les bastingages et les abris, mirent
quelques-uns de nos marins hors de combat.
Après
avoir remonté la Seine jusqu'au banc des Moules et
avoir essuyé quelques coups de feu de la rive gauche,
à la hauteur de Guerbaville,
le commandant Pic-Paris vira de bord,
redescendit le fleuve, reprit, en
passant à Caudebec,
l'engagement du matin et continua sa route sur le Havre.
Les Meklembourgeois,
bien abrités derrière les arbres ou dans les maisons,
n'eurent qu'un homme grièvement atteint dans ces
rencontres; quant à l'équipage de l'Oriflamme, il eut
un matelot tué et quatre blessés.
Dans ces divers engagements, nos braves marins
avaient montré le parti qu'on pouvait tirer d'eux.
Leur navigation en cette saison, au milieu des glaces,
était doublement périlleuse, car un obus, bien dirigé
à la ligne de flottaison d'un de ces petits bâtiments,
aurait certainement pu le couler.
Par bonheur, les
Allemands n'y songèrent pas.
Le barrage de Duclair
et les torpilles de Guerbaville
sont les meilleures
preuves de la crainte que notre flottille inspirait à
leur état-major.
Quant aux simples soldats du Meclembourg et de
la Thuringe qui se trouvaient
cantonnés sur la rive de la basse Seine, on raconte que,
dans les premiers jours, ils ne voyaient pas sans
émotion le retour périodique du flot, phénomène qu'ils
attribuaient à l'approche de nos canonnières.
L'ennemi, qui avait reçu le premier la nouvelle de
l'armistice, en profita pour s'étendre le plus possible:
Es war von Interesse mit Beginn des
Waffenstillstandes einen möglichst ausgedenhten Rayon factisch
zu besitzen.
Dans la journée du 29, le grand-duc
s'empressa de pousser jusqu'à Caudebec
le détachement de Saint-Vandrille, et il renforça la garnison
d'Yvetot en y envoyant deux sections d'artillerie.
Occupation de Dieppe (1e février) et de Fécamp (3 février)
Le lendemain, la brigade des dragons de la garde
envoya également un détachement, par Doudeville,
dans la direction de Fécamp, tandis que le général
de Bentheim dirigeait le 5e régiment d'infanterie avec
deux escadrons et trois batteries sur Dieppe, afin
d'occuper cette ville avant l'ouverture de l'armistice.
L'ennemi cherchait ainsi à donner le plus d'extension
possible à son rayon d'occupation; il en résulta des
rencontres et des conflits, peu sérieux d'ailleurs, et
qui, dans les circonstances où nous nous trouvions,
devaient forcément tourner à notre détriment.
Sur le littoral, la possession de la ville de Dieppe,
en raison de son importance, fut sérieusement
disputée de part et d'autre.
Le lieutenant de vaisseau
Carrey, commandant l'aviso le Diamant, était entré
dans ce port le 30 janvier et avait fait occuper l'hôtel
de ville par une partie de son équipage.
Un détachement de mobiles avait été également
envoyé d'Abbeville afin de protéger Dieppe contre les tentatives
de l'ennemi.
Dans la matinée du 31, l'avant-garde
prussienne arriva dans l'intention de s'en emparer.
Le commandant Carrey soutint énergiquement ses
droits de premier occupant, et comme l'armistice ne
commençait qu'à midi; il offrit au chef du détache-
ment prussien de se battre jusqu'à l'heure fixée.
Sa proposition ne fut pas agréée, et le général de
Pritzelwitz dut accepter une ligne de démarcation
qui laissait libre Dieppe et une certaine étendue de
la côte.
Mais le général de Goeben, informé de cet
incident, refusa de ratifier la convention conclue, et
donna l'ordre au général de Bentheim d'occuper la
ville sans retard.
Des parlementaires se présentèrent
donc de nouveau dans la matinée du lendemain et
déclarèrent qu'ils avaient reçu l'ordre formel de s'en
emparer.
Ligne de démarcation de l'armistice dans la péninsule du Havre et sur la rive gauche de la Seine
Le commandant Carrey ne put que s'incliner
devant les clauses précises de la convention de
Versailles, qui avait été publiée sur ces entrefaites, et
qui fixait, comme démarcation, à l'armée du Havre,
une ligne partant d'Étretat dans la direction de Saint-Romain.
En conséquence, il céda la ville de Dieppe
aux troupes prussiennes, qui y firent leur entrée vers
onze heures du matin.
Les Allemands attachaient un si grand prix à la
possession de ce port de mer, que le grand-duc, de
son côté, avait aussi dirigé un détachement sur ce
point.
Ayant trouvé Dieppe au pouvoir des Prussiens,
les Mecktembourgeois se rabattirent sur
Fécamp; ils se présentèrent à l'entrée de cette ville
le 2 février.
A cette date elle était occupée par une
section des éclaireurs du Havre (sous-lieutenant de
Beaumont); elle était, en outre, protégée par l'aviso
l'Averne (capitaine de frégate Lefèvre-Dubua), chargé
sur la côte du service des dépêches.
Avertis de la
présence de nos troupes, les Mecklembourgeois
prirent leurs cantonnements aux environs; mais dans la
matinée du 3 février, ils s'avancèrent jusqu'au bas de
la côte de la Toussaint.
Le détachement ennemi était
commandé par le colonel comte de Kleist et se
composait de deux bataillons du 89e régiment, de deux
escadrons du 18e dragons et d'une batterie d'artillerie.
Après avoir parlementé et demandé des instructions,
nos officiers reçurent l'ordre de se conformer à la
convention et d'évacuer la ville.
Elle fut occupée par
l'ennemi dans l'après-midi, et elle eut à subir les
vexations d'un commandant de place, le major de
Malotki, lequel, en dépit de l'armistice, prétendit
appliquer aux habitants le régime de l'état de guerre,
pour les punir de la répugnance qu'ils avaient
témoignée pour l'occupation étrangère.
Ainsi, par une
amère dérision du sort, notre flottille se voyait
repoussée des divers points de notre propre littoral par
ces mêmes troupes mecklembourgeoises qui, sous
les ordres du général Vogel de Falkenstein, avaient
reçu au début des hostilités la mission de protéger
contre elle les côtes de la Baltique.
Tandis que nos marins échouaient ainsi dans leurs
tentatives, le général Loysel n'était guère plus heu-
reux dans les siennes.
Dès qu'il connut le texte de la
convention de Versailles, qui assignait pour la
péninsule du Havre une ligne de démarcation allant
d'Etretat à Saint-Romain, il protesta contre cette clause
par des télégrammes rendus publics et adressés coup
sur coup au ministre de la guerre; il invoquait les
arguments du statu quo et de l'uti possidetis
dans
une question ou, par malheur, il n'y avait d'autre juge
que la force.
On crut un instant que le Havre, comme
Belfort, allait être exclu de l'armistice; sans doute
les Allemands n'eussent pas mieux demandé, mais le
général Loysel pouvait d'autant moins repousser les
conditions du vainqueur, que le général Faidherbe
lui-même dut livrer à l'ennemi Abbeville, avec une
portion du territoire qu'il occupait et qu'il avait
héroïquement défendu.
Une simple démonstration de
l'armée du Havre au moment de la bataille de Saint-
Quentin l'eût rendue maîtresse de
Rouen et de la
Seine-Inférieure : n'étant pas sortie de ses lignes,
elle s'y vit plus étroitement enfermée que jamais.
Toutes les protestations du général Loysel ne furent
qu'une occasion pour l'ennemi de se vanter d'avoir
réduit son adversaire au silence en le menaçant de
la reprise des hostilités :
auf dem rechten Seineufer
die Drohung der Wiederaufnahme der
Feindseligkeiten nothwendig wurde, um die Bedingungen des
Waffenstillstandes anerkannt zu sehen.
Malgré ces difficultés,
les clauses relatives à l'application de l'armistice
à l'armée du Havre furent
ratifiées à Yvetot le 3 février.
Le grand-duc de Mecklembourg s'engageait
à ne pas laisser franchir par ses
avant-postes une ligne qui, partant de Fécamp,
passait par Ganzeville,
Gonfreville, Bernières, Beuzevillette et la Trinité
pour aboutir à Lillebonne.
De son côté, le général Loysel
ne devait pas dépasser la ligne qui, partant
de Saint-Jouin, passait par Mannevillette, Rolleville,
Saint-Martin-du-Manoir,
Gainneville et aboutissait à Rogerville.
Les deux armées se trouvaient
ainsi séparées par une zone neutre d'environ vingt kilomètres
de largeur.
On sait que sur la rive gauche de la Seine la
division du général Saussier avait
été dirigée sur Argentan et Ecouché, pour se relier au 19e corps.
Elle formait
ainsi l'extrême gauche du général Chanzy, et
elle garda ses positions
pendant la marche du grand-duc
de Mecklembourg; après le passage du XIIIe
corps allemand, cette division se rabattit vers le nord
en suivant le cours
de la Dives, dont elle occupa le bassin moyen.
A la date du 25 janvier, le
général Saussier,
s'étendant par sa gauche, avait réparti ses troupes à
Coulibœuf, Pont-sur-Jort, où se trouvait le quartier
général, Saint-Pierre
sur Dives et Mézidon.
De ce côté de la Seine, l'ambiguïté des clauses de l'armistice
devait également faire naître des difficultés.
Aux termes de la convention de Versailles, la démarcation
était fixée par une
ligne qui, partant de Pont-l'Evéque,
se dirigeait sur Lignières, au nord-est
du département de la Mayenne.
Pour avoir une ligne de démarcation complète,
il eût fallu la prolonger au nord de Pont-l'Évêque,
ce qui eût laissé
Honfleur de notre
côté; mais comme les Allemands avaient l'intention
de s'en emparer, ils imposèrent comme limite le
cours de la Touques en aval de Pont-l'Évêque.
Une
conférence eut lieu à cet effet le 2 février, au château
de Marolles, entre les délégués
du général Dargent et
ceux du grand-duc de Mecklembourg.
En ce qui concernait
l'occupation d'Honfleur, il s'éleva une
protestation inspirée par le générât Loysel et fondée sur ce
que cette ville, située à sept kilomètres de la pointe
du Hoc, se trouvait trop rapprochée du Havre pour
être occupée par l'ennemi.
Sauf ce point resté en
litige, une convention fut conclue à
Marolles, et l'on
adopta pour la démarcation une ligne partant de
Trouville et passant par Pont-FÉveque, la Motte,
Saint-Julien-le-Faucon, Boissey, les Moutiers-en-Auge,
Montabart et Saint-Hilaire-de-Briouze.
Mézidon restait ainsi en dehors de la zone neutre; mais
ce point stratégique avait perdu toute son importance,
puisque ses
communications par les embranchements de Falaise
et de Lisieux se trouvaient interrompues.
Le général Saussier s'établit à Saint-Silvain,
puis à Fierville-la-Campagne; la ligne de ses
avant-postes était déterminée par les villages
d'Ecajeul, Percy-en-Auge, Escures, Sassy et Perrières;
celle des avant-postes ennemis par les villages de
Fiquefleur, Quettevilte, Saint-Léger, le Faulq, Firfol,
Auquainville, Bellon et Saint-Germain-de-Mont-
gommery.
Lorsque la délimitation de la zone neutre fut arrêtée,
l'ennemi opéra une nouvelle répartition de
ses forces.
Le XIIIe corps, jusque-là commandé par
le grand-duc de Mecklembourg, fut disloqué, et la
22e division rejoignit le XIe corps d'armée dont elle
avait été distraite.
La 17e réunie à la Iere armée, en même
temps que la cavalerie de Rheinbaben, repassa en partie sur la rive gauche de la Seine, et le
gros de cette division, sous les ordres du général
major de Kottwitz, s'établit à Brionne.
Un premier détachement, commandé par le colonel comte de
Solms-Wildenfels et composé de deux bataillons du 76e,
du 17e uhlans et d'une batterie, occupa Pont-Audemer, avec ses avant-postes
à Fiquefeur, Beuzeville et Cormeilles.
Un second détachement formé
d'un bataillon du 76e et du 17e dragons, sous le colonel de Kahlden,
tint garnison à Bernay avec ses
avant-postes au Pin, à Firfol, à Saint-Martin-de-
Bienfaite, se reliant à Orbec à un bataillon du 75e et
à la 5e division de cavalerie, qui formait ainsi la gauche
de la ligne d'observation.
Le général major de Manteuffel, avec la 34e brigade d'infanterie,
prit position à Elbeuf où fut établi le quartier général de la 17e division.
L'état-major du 75e régiment occupa
Evreux avec des détachements à Broglie et à Laigle.
Sur la rive droite de la Seine, les positions de
l'ennemi étaient les suivantes :
Le major Detmering,
avec le 14e bataillon de chasseurs, gardait Caudebec
et Yvetot.
Lillebonne, Lanquetot et Annouville-Vilmesnil étaient occupés chacun par un escadron du
18e dragons; Fécamp par deux compagnies et un
escadron.
La brigade des dragons de la garde, cantonnée à Doudeville et aux environs, envoyait des
détachements d'un escadron chacun sur le littoral, à
Veulettes, Saint-Valery-en-Caux et Veules.
Le général de Pritzelwitz avec sa division occupait Dieppe et
la ligne du chemin de fer.
Mouvements de concentration opérés par les deux partis pendant l'armistice
Vers le milieu de février, nos armées de province
durent opérer plusieurs mouvements de concentration.
Tout le 19e corps s'ébranla pour aller reformer
avec les débris du général Chanzy la dernière armée de la France;
dans le Nord, le 22e corps fut embarqué à Dunkerque pour aller
rejoindre à Cherbourg l'armée de Bretagne.
Ces divers mouvements amenèrent dans l'armée du général de
Goeben un déplacement correspondant.
II reçut l'ordre de se concentrer sur son aile gauche, en
ne laissant dans le Nord que des forces en rapport avec les nôtres.
Il ne resta sur la Somme que le général de Barnekow avec la 16e
division d'infanterie et l'artillerie à cheval, le comte
de Groeben avec la 3e division de cavalerie, et le prince
Albert (fils) avec la 3e division de réserve.
La 17e division d'infanterie se tint sur la rive droite
de la Seine, à cheval sur le chemin de fer
de Rouen à Dieppe.
La 15e division fut dirigée sur Buchy et Saint-Saens.
Le Ie corps d'armée et la 5e division de cavalerie s'établirent
sur la rive gauche de la Seine dans les positions désignées plus haut.
Occupation d'Honfleur (23 février)
Jusque-là, Honfleur était resté dans la zone neutre; les Allemands
avaient paru renoncer à une occupation effective, moyennant le
payement des contributions directes de cette ville; mais le
versement venait d'être fait, lorsqu'elle fut subitement envahie.
Dans la matinée du 23 février, le colonel de Rauch en prit possession
à la tête d'un détachement composé d'un bataillon du 41e
régiment de la Prusse orientale, de deux escadrons du 17e
régiment de hussards de Brunswick et d'une batterie d'artillerie.
De nouvelles protestations s'élevèrent contre cette violation de
l'armistice, mais il fallut bien se soumettre à la loi du plus fort.
Malgré la suspension apparente des hostilités, les Allemands les
continuèrent en frappant partout d'énormes contributions de
guerre; Rouen ne devait pas payer
moins de six millions et demi; Dieppe reçut des garnisaires;
partout des réquisitions écrasantes furent levées, et dans ce
nouveau genre d'opérations on vit la rapacité germanique aux
prises avec la ténacité normande.
De notre côté, on profita de l'armistice pour organiser et exercer nos troupes.
Le Havre plus étroitement
investi continua ses travaux de fortification passagère;
on fit à la hâte quelques relèvements de
terre d'un faible profit et d'un développement énorme, dirigés
plutôt contre l'inaction de nos soldats que contre l'ennemi.
On chercherait vainement aujourd'hui les vestiges de ces
retranchements, dont il ne reste rien pour la défense
de la place, tandis qu'à peu de distance, sur la côte normande,
on peut voir encore les travaux improvisés des
légions de César, ces camps romains qui, après plus
de vingt siècles, font encore l'étonnement de la postérité.
En résumé, vers la fin de février, le Havre, notre dernier
point d'occupation sur la Seine, était cette
fois sérieusement menacé; ses communications avec la rive
gauche étaient rompues, Honfleur étant au pouvoir de l'ennemi.
De ce côté du fleuve, le général Chanzy, après avoir d'abord
songé à s'établir dans les lignes de Carentan, avait résolu
plus tard de porter son quartier général à Poitiers pour barrer
à l'ennemi la route de Bordeaux. La Normandie était désormais
abandonnée, et la Bretagne n'avait plus pour se
couvrir qu'une armée composée en grande partie des
mobilisés du camp de Conlie. Dans le cas d'une
reprise des hostilités, c'en était fait de l'Ouest de la France.
Signature des préliminaires de paix (26 février)
Telle était la situation militaire, lorsque l'armistice,
prorogé d'abord jusqu'au 24 février à midi, le
fut de nouveau jusqu'au 26 à minuit.
Quelques heures après l'expiration de ce dernier délai,
on apprit que les préliminaires du traité de paix
avalent été signés et que notre ruine était consommée.
Trahie par la fortune plutôt que par son courage,
la France avait dû se voiler la face et voter la paix.
Notre sol envahi; nos armées détruites ou captives;
cent mille de nos soldats, l'élite de la jeunesse,
sacrifiés sur les champs de bataille; nos villes et
nos villages pillés et saccagés notre dette accrue de
plus de cinq milliards, notre matériel dé guerre resté
aux mains de l'ennemi; nos meilleures frontières tournées
contre nous; deux de nos plus patriotiques provinces
violemment arrachées du sein de la mère patrie, voilà
quels étaient les résultats d'une guerre follement déclarée
et plus follement conduite.
Tels sont les événements dont l'Ouest a été le théâtre pendant la guerre allemande.
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