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La guerre dans l'ouest : campagne de 1870-1871

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Entreprises de la Iere armée allemande contre le Havre

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Source : L. Rolin. Image

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boite verte Etat de défense de cette place au commencement de décembre

Par suite de la prise de Rouen, la ville du Havre se trouva brusquement découverte; mais elle n'en fut ni surprise ni déconcertée, car elle s'était de longue main préparée à la résistance.
Mal connues et mal interprétées, les circonstances qui avaient accompagné l'évacuation de Rouen soulevèrent, comme on sait, de vives récriminations; la presse havraise prit part à la polémique, et son langage parut peu généreux aux personnes ignorant l'antagonisme qui existe entre le chef-lieu du département de la Seine- Inférieure et son plus riche arrondissement.
Cet antagonisme, qui a pour cause la divergence des intérêts plutôt que celle des sentiments, aurait dû disparaître en face de l'ennemi, mais le système de la défense locale n'avait fait que l'accentuer davantage.
Par son importance, le Havre est destiné à devenir tôt ou tard le chef-lieu d'un département: sa séparation de la métropole a été momentanément accomplie par la force des choses et consommée par l'invasion; mis en état de siège par décret du 7 septembre, son arrondissement s'est trouvé, par suite des nécessités de la guerre, avoir en quelque coche verte sorte une existence propre et indépendante.
Si donc les considérations militaires tirées des derniers événements pouvaient entrer en ligne de compte, il est certain que la péninsule du Havre devrait former un département séparé.
Quant à celui de la Seine-Inférieure, s'il avait besoin d'une compensation, il pourrait la trouver dans l'arrondissement des Andelys, qui, séparé par la Seine du département de l'Eure, s'est vu, par suite de cette situation topographique, complétement abandonné à lui-même pendant la dernière guerre.
Quoi qu'il advienne de ces projets de délimitations administratives, il est incontestable que le Havre, au point de vue commercial, a conquis en peu d'années sur l'Océan l'importance que Marseille n'a acquise sur la Méditerranée qu'après de longs siècles.
Reliée par la mer avec le monde et par la Seine avec Paris, cette ville a, en outre, une importance stratégique de premier ordre.
C'est par son port que sont venus en grande partie nos approvisionnements et le matériel qui nous manquaient; elle a été, pendant la dernière guerre, ce qu'elle serait à plus forte raison dans l'avenir, maintenant que nous avons perdu notre frontière de l'Est, une vaste tête de pont sur l'Atlantique.
Cette importance considérable n'avait pas échappé au président du Gouvernement de la défense nationale; c'est pourquoi le général Trochu, après avoir examiné tous les plans proposés pour mettre l'armée de Paris en relation avec celles de province, avait résolu, comme il l'a exposé depuis de tenter une sortie dans la direction de Rouen et du Havre coche verte par la vallée de la Seine.
C'était, en effet, la ligne la plus courte; couverte en partie par les obstacles que présente le fleuve, et protégée par les armées en formation sur la Somme et sur la Loire, elle aboutissait à une base d'opération excellente, qui mettait l'armée à portée de toutes les ressources du pays et de tous les moyens de renouvellement qu'il possédait.
Il est permis de supposer que cet effort aurait réussi s'il y avait eu de l'unité dans la direction militaire mais malheureusement la délégation de province n'avait pas sur la basse Seine les mêmes vues que le gouverneur de Paris, et l'armée de Normandie fut précisément celle dont on s'occupa le moins.
La ville du Havre avait compris l'importance de sa situation et du rôle qu'elle pouvait être appelée à jouer; dès la nouvelle de nos premiers revers, elle s'était familiarisée avec l'idée de la résistance, et elle s'y était préparée avec autant d'énergie que de patriotisme.
Le 17 septembre, un emprunt pour les besoins de la guerre fut émis par voie de souscription publique; il s'éleva successivement à deux millions et fut couvert en quelques jours.
Par suite de son extension commerciale, le Havre avait dans ces derniers temps fait disparaître ses anciennes fortifications, d'ailleurs surannées, pour en adopter d'autres, qui, par malheur, sont loin d'être en rapport avec les perfectionnements actuels de l'artillerie, et qui sont restées incomplètes.
Les batteries maritimes, récemment construites et armées d'obusiers lisses, sauraient à peine se faire respecter de la plus faible canonnière cuirassée, et elles sont tout à fait inoffensives si on les compare aux tours circulaires, blindées en fer, qui s'élèvent en face de coche verte nous, à peu d'heures de distance, sur les côtes de la Grande-Bretagne.
On ne saurait trop conseiller à nos officiers des armes savantes de visiter les passes de Portsmouth et de consulter les enquêtes parlementaires, dont ces constructions ont été l'objet en Angleterre, ou les études que leur ont consacrées les ingénieurs américains.
Quant aux défenses de terre, qui devaient surtout nous préoccuper, elles consistaient uniquement, au début de la guerre, dans les forts de Sainte-Adresse et de Tourneville, ouvrages mal placés et de peu de valeur, sans contrescarpes ni chemins couverts, incapables, par conséquent, de se suffire à eux-mêmes.
La route de Paris restait complétement ouverte à une armée assaillante.
Tout était donc à faire, à peu de chose près, pour mettre la place en état de défense et la protéger contre une tentative de bombardement que ses fortifications mêmes semblaient provoquer.
Nommé le 12 septembre commandant supérieur de l'état de siège et de l'arrondissement du Havre, le colonel du génie Massu, ancien directeur des fortifications à Besançon, s'était mis à l'oeuvre avec une énergie et une activité d'autant plus dignes d'éloges, qu'il eut à lutter contre des difficultés sans nombre.
C'est sur ses plans que furent élevés les principaux ouvrages et la première ligne de retranchements.
Mais cet officier supérieur ne devait pas tarder à être sacrifié au fétichisme des procédés révolutionnaires.
Ayant pris au sérieux ses fonctions de commandant de l'état de siège, il fut forcé de demander coche verte sa retraite dans les derniers jours de novembre, par suite d'un conflit qui s'était élevé entre lui et certain membres des comités locaux.
Le 18 octobre, le capitaine de vaisseau Mouchez, chef de la division navale de la basse Seine, ayant été appelé au commandement de la place du Havre, prit la direction supérieure et donna une nouvelle impulsion aux travaux qui avaient été commencés par les mobiles et les gardes nationaux.
Tous les équipages disponibles de la flotille, formant un effectif d'environ cinq cents hommes, furent envoyés chaque jour à la tranchée, de l'aube à la nuit, sous la surveillance de leurs officiers, et ce sont eux qui construisirent et armèrent les ouvrages les plus sérieux.
En voyant à l'oeuvre ces intrépides travailleurs, les habitants du Havre se sentirent rassurés; ils savaient que ces énergiques marins, habitués à braver le danger et dont la vie est comme un constant mépris de la mort, auraient défendu jusqu'au dernier les retranchements élevés de leurs mains.
Grâce à la présence de ces équipages, chez lesquels la discipline était restée si forte, et qui formaient le nerf de la défense; grâce à une nombreuse garnison qui aurait peut-être faibli en rase campagne, mais qui, derrière des retranchements, aurait suivi l'exemple des marins, le Havre se trouvait, dans les premiers jours de décembre et au moment de l'évacuation de Rouen, à l'abri d'une surprise et d'un coup de main.
A cette date, les défenses de la place se composaient des forts de Sainte-Adresse et de Tourneville, de celui de Frileuse, qui avait été entrepris à la fin de septembre; des redoutes et lunettes de la Lézarde, de Cancriauville, des Acacias, de Sanvic et des coche verte Phares.
Des fermes, des bâtiments et des murs d'enceinte organises défensivement, des retranchements en terre précédés de fossés, reliaient entre eux les différents ouvrages.
La ligne de défense était flanquée à droite par la flotille, dont chaque bâtiment avait un poste de combat désigné, les batteries flottantes et les canonnières mouillées à la pointe du Hoc et dans l'embouchure de la Lézarde, les compagnies de débarquement à terre, la moitié des équipages restant a bord pour servir les pièces.
Elle était couverte de ce côté par des marais devenus impraticables en cette saison, par les barricades d'Harfleur, par la coupure du chemin de fer et par l'inondation de la Lézarde tendue jusqu'au hameau de la Demi-Lieue; au centre, par un vaste abatis comprenant toute la partie de la forêt de Montgeon, qui est située au sud de la route de Rouelles; enfin, à gauche, elle allait s'appuyer vers les Phares à la falaise et aux escarpements de la Hève.
L'armement comprenait 137 pièces ainsi réparties : 26 au fort de Sainte-Adresse, 32 à celui de Tourneville, 25 à celui de Frileuse, 22 sur le plateau de Cancriauville, 6 sur la Lézarde, 5 au-dessous des Acacias, 9 en avant de Sanvic et 10 sur le plateau des Phares.
Avec ces retranchements et un nombre de défenseurs que nous ferons connaître plus tard en détail et qui dépassait 30000 hommes, le Havre était en mesure de résister à une attaque de vive force et de défier les entreprises que nous allons voir bientôt se produire.
On sait que le général de Goeben, commandant l'aile droite de la Ire armée prussienne, avait reçu, dès le 3 décembre, l'ordre de détruire les chemins de fer et les télégraphes qui mettaient Rouen en communication coche verte avec Dieppe et le Havre; pour l'aider dans l'accomplissement de cette tâche, le général de Manteuffel avait mis à sa disposition, dans la matinée du 4 décembre, la brigade des dragons de la garde.
Dès son entrée à Rouen, le général de Goeben avait lancé une patrouille de cavalerie sur la rive droite de la Seine, dans la direction du Trait; le 6 décembre, un escadron de dragons de la garde, parti de Maromme, traversa Barentin et s'avança jusqu'à Yvetot, coupant partout sur son passage les fils télégraphiques et la voie ferrée.
Le 7 décembre, Barentin et Pavilly furent occupés par la brigade des dragons de la garde, appuyée par deux bataillons et une batterie de la 16e division, ce qui portait la force du détachement à environ trois mille hommes et douze pièces de campagne.

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boite verte Reconnaissance du comte de Brandebourg sur le Havre (9 décembre)

Le 8 décembre, ce détachement marcha sur Yvetot sous les ordres du comte de Brandebourg, qui atteignit le lendemain Bolbec, où il établit son quartier général.
Le même jour, ses patrouilles s'avancèrent par la route de Saint-Romain jusqu'aux environs de Gainneville, d'Harfleur et de Montivilliers; les dragons de la garde trouvèrent la route barricadée à Gainneville, les passages de la Lézarde rompus ou obstrués, les fermes et les petits bois qui s'étendent entre Harfleur et Montivilliers occupés par les nôtres; ils apprirent que la population du Havre était résolue à se défendre, et ils rapportèrent sur la force de la garnison des données variant de vingt-cinq à cinquante mille hommes.
Tandis que les éclaireurs ennemis faisaient ainsi leur première apparition aux portes du Havre, nos troupes avancées recevaient l'ordre de se replier sur cette ville où elles devaient être embarquées sans retard.

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boite verte Départ du général Briand pour Cherbourg (10 décembre)

Une dépêche télégraphique du ministre de la coche verte guerre, parvenue dans la matinée du 9 décembre, enjoignait au général Briand de partir pour Cherbourg avec une division; les brigades qui devaient la former avaient été aussitôt désignées: la 1e, placée sous les ordres du colonel Laperrine, se composait de cinq bataillons de mobilisés de la légion de Rouen et du 2e bataillon de marche; la 2e, sous le commandement du capitaine de frégate Olry, devait comprendre le 5e bataillon de marche et cinq bataillons de mobiles.
La même dépêche qui appelait le général Briand à Cherbourg, où il devait concourir à la formation du 19e corps, chargeait de nouveau le capitaine de vaisseau Mouchez du commandement de la place du Havre, auquel on avait rattaché celui de la 2e division militaire.
Dès que la nouvelle de cet ordre de départ fut connue dans la ville, elle y excita une vive émotion.
Les autorités civiles et des délégués de la municipalité se rendirent près du général Briand et protestèrent énergiquement contre une mesure qui enlevait à la place ses défenseurs, au moment même où l'ennemi se montrait devant ses remparts.
On vit alors se renouveler au Havre ce qui s'était passé à Rouen à l'approche du général de Manteuffel; des dépêches exposant la situation militaire et les nécessités de la défense furent envoyées à Tours, et après un échange d'observations, le général Briand dut laisser au Havre toutes ses troupes, sauf celles qui se trouvaient déjà embarquées.
Quant à lui, il se rendit à minuit à bord de l'Hermione, qui leva l'ancre le lendemain matin et mit le cap sur Cherbourg.

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boite verte Effectif de la garnison du Havre au 10 décembre

Après ce départ, les forces dont le commandant Mouchez disposait pour la défense du Havre, comprenaient: deux bataillons de marche et un régiment coche verte de cavalerie de la ligne, un détachement d'infanterie de marine, deux compagnies de fusiliers marins et les équipages de la flottille, soit environ 4 à 5000 hommes de troupes régulières, 13000 mobiles, le même nombre ou à peu près de gardes nationaux mobilisés et 1500 à 2000 francs-tireurs, en tout, de 32 à 33 mille hommes, et près de 40 mille, si l'on ajoutait à cet effectif celui de la garde nationale sédentaire.
C'eût été assurément un chiffre fort respectable, si la quantité pouvait suppléer à la qualité et le nombre à l'organisation.
Ce qui manquait à cette masse d'hommes pour en faire une armée, ce n'était ni le courage, ni la bonne volonté, c'étaient des cadres.
Tandis que les capitulations de Sedan et de Metz avaient fourni à l'armée du Nord une grande quantité d'officiers et de sous-officiers sachant leur métier, les troupes du Havre en étaient totalement dépourvues; l'organisation n'existait pas.
Tout ce qu'on pouvait donc demander à des bataillons isolés, inconnus les uns aux autres, incohérents et faiblement constitués, c'était de tenir derrière des retranchements.

Telle était la situation militaire au Havre, et l'on voit que les autorités de cette ville avaient eu quelque apparence de raison en protestant, le 9 décembre, contre le départ des troupes qui pouvaient former dans ses murs le noyau de la résistance, car l'ennemi allait menacer plus sérieusement la place.

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boite verte Mouvement du général de Goeben contre le Havre (10-11 décembre)

Le lendemain, en effet, le comte de Brandebourg se porta de Bolbec sur Angerville-l'Orcher où il établit son quartier général.
Il était appuyé par une colonne plus considérable, composée d'une brigade d'infanterie, d'un régiment de hussards et de deux batteries; ces coche verte troupes étaient conduites par le général de Goeben qui atteignit le 10 décembre, Yvetot et le 11 Bolbec, suivi à une demi-journée de marche par le reste de la 16e division et l'artillerie de son corps d'armée.
Dès son arrivée à Bolbec, le général de Goeben lança son avant-garde jusqu'à Saint-Romain et Angerville-l'Orcher, pour se mettre en communication avec la brigade des dragons de la garde.
De son côté, le comte de Brandebourg poussa le même jour des reconnaissances sur le Havre, dans les directions de Gainneville, Montivilliers, Criquetot et Gonneville.
A Gainneville, les dragons trouvèrent les positions réoccupées par nos avant-postes et essuyèrent quelques coups de feu.
A Montivilliers, six de ces cavaliers s'avancèrent sur la place de l'Hôtel-de-ville et jusqu'aux carrefours avoisinants; après quoi ils regagnèrent au galop la route d'Épouville où stationnait leur escadron.
D'autres patrouilles, passant par Criquetot et Gonneville, s'avancèrent jusqu'aux environs d'Octeville, qui avaient été également réoccupés par nos troupes.
Tous les villages situés aux sources de la Lézarde, Notre-Dame-du-Bec, Rolleville, Épouville, furent visités par l'ennemi, sans parler des ports du littoral tels que Fécamp et Etretat.
Le 12, les dragons de la garde sillonnèrent les mêmes localités; trois d'entre eux revinrent même à Montivilliers, annonçant l'arrivée d'un corps imaginaire de 2000 hommes et prescrivant le désarmement de la garde nationale.
Mais leur passage fut de courte durée et, dans la soirée du même jour, ils disparurent de Montivilliers et des environs qui ne devaient heureusement plus les revoir.
Ces diverses reconnaissances avaient démontré au coche verte général de Goeben qu'avec sa seule artillerie de campagne et une douzaine de mille hommes, il ne devait pas s'attendre à enlever de vive force la place du Havre; Il savait qu'elle était couverte par une ligne de retranchements qui s'étendait d'Harfleur à Rouelles et à Bléville; en outre, il avait appris que la place possédait une nombreuse garnison et que la population était énergiquement décidée à se défendre; il résolut en conséquence de s'abstenir de toute agression et de laisser à son mouvement le caractère d'une simple reconnaissance.
Il est certain qu'une attaque contre nos avant-postes l'eût engagé dans une entreprise sérieuse, et que, dans les circonstances où il se trouvait, un insuccès eût été pour lui, matériellement, et surtout moralement, un échec des plus graves.

Pour bien comprendre les motifs de la détermination du général de Goeben, il est nécessaire de connaître les ordres du grand quartier général prussien relatifs à ce mouvement contre le Havre.
Les instructions adressées de Versailles au commandant en chef de la première armée, à la date du 7 décembre, lui prescrivaient avant tout de poursuivre vivement le général Briand.

« Si le Havre même, où un important matériel de guerre venant d'Amérique devait, en ce moment même, être débarqué, pouvait par hasard être pris par un coup de main, on s'en remettait au chef de la Ie armée.
Dans aucun cas, ajoutait le général de Moltke, Sa Majesté ne veut que la Ie armée s'engage devant le Havre dans une entreprise de longue durée.
Il faut plutôt avoir constamment en vue de disperser les forces ennemies qui s'avanceraient coche verte en rase campagne, et par conséquent de reprendre les opérations contre les troupes battues à Amiens, etc. »

Les instructions données par le général de Manteuffel à ses chefs de corps étaient conformes à celles qu'il avait reçues de Versailles.

« La mission de la première armée est d'occuper Rouen et Amiens, écrit-il dans son ordre général en date du 9 décembre, de surveiller la rive gauche de la Seine, de se maintenir en communication avec la 5e division de cavalerie à Dreux, de protéger la ligne d'investissement au nord de Paris, et de battre l'armée du Nord ou celle du général Briand si elles prennent de nouveau l'offensive.
En conséquence, je décide ce qui suit: Le général Goeben a la mission d'occuper Amiens et de protéger la ligne d'investissement au nord de Paris .
Le général Bentheim occupe Rouen, surveille la rive gauche de la Seine et se tient en communication avec la 5e division de cavalerie à Dreux, ainsi qu'avec le général Lippe à Gisors.
Avec le gros de ses forces le général de Goeben ouvre sa marche sur Amiens par un mouvement de reconnaissance contre le Havre, afin de s'assurer si la place peut être prise par un coup de main.
Si cette opération ne lui paraît pas praticable, le général ne s'engage dans aucune entreprise longue ou sérieuse contre la place, et il marche alors sur Amiens en suivant le littoral. »

Le général de Goeben ne fit donc que se conformer strictement aux instructions qu'il avait reçues.

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boite verte Reprise des hostilités dans le Nord

coche verte S'étant convaincu, au moyen de ses reconnaissances, qu'une entreprise contre le Havre n'était pas praticable, il laissa comme rideau devant cette place le détachement du comte de Brandebourg, et, opérant une conversion à droite à la hauteur de Bolbec, il marcha le 12 décembre sur Fauville et le 13 sur Saint-Valery-en-Caux.
Le comte de Brandebourg, après avoir masqué cette conversion, se dirigea d'Angerville-l'Orcher sur Yvetot et passa sous les ordres du général de Bentheim.
Le 14 décembre, le général de Goeben, à la tête de son état-major, d'une brigade d'infanterie, de quelques escadrons de hussards et de deux batteries, fit son entrée à Dieppe qui, comme on s'en souvient, avait déjà été visité le 9 décembre par l'ennemi.
Le 15 décembre, il séjourna dans cette ville, qui paya pour le Havre il y leva une contribution de guerre de 75000 francs, sous prétexte de "droit de conquête sur l'administration des tabacs".
Le 16 décembre, il se dirigea sur Neufchâtel, le 17 sur Héricourt-Saint-Samson, le 18 sur Crèvecoeur, le 19 sur Ailly-sur-Noye, et le 20 sur Amiens.
Le général Faidherbe, ayant pris le 3 décembre le commandement en chef de l'armée du Nord, avait commencé ses opérations peu de jours après.
Dès le 8, il s'était mis en campagne, et le 10, la reprise de Ham par la division Lecointe inaugura cette marche offensive.
Le 12 et le 13, le général Faidherbe alla reconnaître la Fère, et ce mouvement de notre armée du Nord coïncidant avec celui de la 16e division prussienne de Bolbec sur Dieppe, on crut généralement que le second était une conséquence du premier.
Si l'on s'en rapporte aux documents officiels prussiens, cette coïncidence aurait été tout à fait coche verte fortuite.

Dans son exposé des opérations de la Ie armée allemande, le colonel de Wartensleben nie absolument que l'abandon du mouvement contre le Havre ait été le résultat de la reprise des hostilités dans le Nord, et il s'appuie sur les instructions du grand quartier de Versailles et sur celles du général de Manteuffel que nous avons citées plus haut.
Depuis, il s'est élevé une controverse sur ce point, comme sur bien d'autres, entre le général Faidherbe lui-même et le général de Goeben, son adversaire.
Nous allons faire connaître, en ce qui concerne le Havre, le résultat de ce tournoi littéraire qui a succédé à la lutte à main armée.
Dans sa Campagne de l'armée du Nord, le général Faidherbe a raconté qu'il avait pris l'offensive le 8 décembre "pour sauver le second port de commerce de la France"; "Nous avions sauvé le Havre", écrit-il plus loin à propos de la bataille indécise de Pont-Noyelles, qui n'avait produit que des résultats négatifs, mais qui était par cela même une sorte d'échec moral pour l'ennemi, nos soldats ayant couché sur les positions qu'ils avaient vaillamment défendues.
Que cette offensive de notre armée du Nord ait dégagé une partie de la Normandie, c'était le résultat prévu et naturel; c'est ainsi que le mouvement de l'armée de Rouen sur Etrépagny avait dégagé la Picardie et permis à l'armée d'Amiens de se reconstituer; car il est probable que c'en était fait d'elle, si les Prussiens avaient montré plus de décision après Villers-Bretonneux.
Notons, toutefois, que le 8 décembre, lorsque l'armée du Nord commença ses opérations, le Havre n'était ni directement, ni sérieusement menacé; à cette date, le comte de Brandebourg coche verte était encore à Pavilly, et c'est seulement deux jours plus tard que le général de Goeben marcha sur Yvetot.
Si, lorsqu'il se mit en campagne, le général Faidberbe prévoyait cette pointe, que toute la presse allemande qualifia plus tard "d'imprudente", il était certes mieux inspiré que le délégué de notre ministre de la guerre qui, comme on l'a vu, avait juste choisi ce moment pour enlever au Havre la majeure partie de ses troupes.
Il reste à savoir si le général Faidherbe a contribué à la délivrance de cette place; c'est ce que nie complétement son adversaire, qui, lui aussi, a publié, dans la Revue militaire de Darmstadt, un récit pour servir à l'histoire de la campagne dans le nord-ouest de la France.

Nous allons traduire un passage de ce récit qui renferme pour nous, en même temps que des explications, des leçons qui peuvent paraître sévères, mais qui ne sont pas tout à fait imméritées:

"Nous apprenons par l'ouvrage du général Faidherbe, que le but de ces opérations était de sauver le Havre menacé, et le général exprime à plusieurs reprises sa satisfaction d'avoir réussi à préserver de l'invasion le second port de commerce de France.
J'ai le regret d'être contraint de détruire cette illusion. Nous étions dans une ignorance complète de ce qui se passait au Havre.
Les innombrables espions qui, au dire des Français, nous ont rendu de si merveilleux services dans le reste de la France, nous faisaient entièrement défaut dans le Nord; ils coche verte nous étaient d'ailleurs inutiles. Nos fidèles alliés ne nous laissaient jamais dans l'embarras.
Les correspondants des journaux anglais que l'on recevait dans ce but au quartier général, nous renseignaient avec soin sur les armements et les organisations en grand; les innombrables feuilles locales divulguaient librement les détails de chaque jour; les chefs des troupes françaises, avec une incompréhensible incurie, ne gênaient en rien les habitants dans leurs mouvements d'affaires; et ceux-ci, questionnés par nos patrouilles, racontaient avec la loquacité française, jusque dans les moindres détails, tout ce qu'ils avaient vu.
Comme en même temps notre cavalerie légère battait au loin le pays avec une activité et une hardiesse admirables, qu'elle combinait ses observations avec prudence et perspicacité, nous ne manquions jamais de nouvelles certaines.
En ce qui concerne le Havre, il n'y eut bientôt plus aucun doute possible; il nous arrivait de là, par centaines, des voyageurs, des paysannes et même des soldats réformés et congédiés.
La ville était occupée par des forces très-considérables et protégée du côté de terre par de solides fortifications, en partie permanentes, en partie récemment élevées; plusieurs bâtiments de guerre étaient mouillés dans le port.
C'est pourquoi le général de Goeben prit, dès le 11, à Bolbec la résolution de poursuivre sans retard sa marche sur la Somme.
Le Havre n'a donc jamais couru aucun risque et par conséquent n'a point été sauvé par le général Faidherbe : So war also le Havre nie gefährdet und wurde auch nicht von General Faidherbe gerettet."

coche verte Dans sa Réponse a la relation du général von Goeben , le général Faidherbe soutient qu'il a forcé le VIIIe corps prussien à quitter les environs du Havre, que cela s'appelle bien "dégager" le Havre; et il ajoute : "Il est probable que cette place n'aurait pas résisté à un bombardement de quelques jours."
En écrivant cette dernière phrase, le général Faidherbe ne considérait sans doute que la partie permanente des fortifications du Havre, et il est probable qu'il ignorait l'existence des retranchements passagers que nous avons décrits plus haut.
La population du Havre était à l'abri d'un bombardement tenté par des canons de campagne; il y avait cent trente-sept pièces de position sur ses remparts, et près de 40000 hommes en armes dans ses murs: Cette situation était de nature à faire réfléchir l'assaillant, car le général de Goeben avait alors à sa disposition non le VIIIe corps tout entier, mais la moitié seulement, c'est-à-dire la 16e division renforcée de la brigade des dragons de la garde. Il n'avait avec lui à Bolbec qu'une brigade d'infanterie, un régiment de hussards et deux batteries; il était suivi à une demi-journée de marche par l'autre brigade de la 16e division et par le corps d'artillerie.
Quant à la 15e division, qui avait des détachements sur la rive gauche de la Seine, elle opérait isolément, et c'est à la date du 18 décembre seulement, que le VIIIe corps prussien fut réuni tout entier à Crèvecoeur sous les ordres de son chef.
D'ailleurs les forces du général de Goeben eussent-elles été doubles ou triples, la situation eût encore été la même.
coche verte Est-ce à dire que le Havre fût imprenable? Certes nous nous garderions bien de l'affirmer, s'il est vrai que Sébastopol ait pu être enlevé de vive force et que les Prussiens eux-mêmes, dans cette funeste campagne, aient pu prendre Paris à la gorge le 19 septembre.
Mais, il faut leur rendre justice, ils sont très avares du sang de leurs soldats; on les a rarement vus monter à l'assaut, et ils ne risquent des coups d'audace que lorsque les résultats à attendre sont en rapport avec les sacrifices à faire.
Or, malgré son importance considérable et le désir que les Allemands ont pu avoir de s'en emparer, le Havre se trouve dans une situation tout à fait exceptionnelle.
Pour s'en rendre complètement maître, il faudrait non-seulement l'assiéger, mais encore le bloquer; car tant que les communications avec Honfleur, Caen, Cherbourg et le littoral ne sont pas rompues, il peut recevoir des renforts ou évacuer sa garnison; en sorte qu'après une tentative même heureuse, l'ennemi courrait le risque de trouver une place vide de défenseurs.
En outre, le Havre étant situé au sommet d'un triangle dont les côtés étaient complétement libres, notre flottille aurait pu jeter sur les derrières de l'ennemi un corps de débarquement qui, le prenant à revers, l'eût forcé à lâcher prise.
Les Prussiens ne pouvaient donc s'engager ni longtemps, ni sérieusement contre le Havre avant d'avoir leur base d'opération complètement assurée et d'être dégagés de toute préoccupation sur leurs flancs; d'ailleurs ils n'ont jamais eu l'idée d'occuper d'une façon permanente des points aussi éloignés.
Leur tactique constante a été d'attirer nos troupes en rase campagne afin de les battre isolément.
La preuve de ces intentions se trouve dans les coche verte instructions du grand quartier de Versailles en date du 17 décembre, desquelles nous extrayons ce qui suit :

« La situation générale nous oblige à ne pour suivre l'ennemi après une victoire, qu'autant qu'il en est besoin pour disperser ses masses et les mettre hors d'état de se reformer de longtemps.
Nous ne pouvons pas le suivre jusqu'en ses derniers points d'appui, tels que Lille, le Havre et Bourges, ni occuper pendant une longue durée, des provinces aussi éloignées que la Normandie, la Bretagne ou la Vendée.
Nous devons même nous résoudre à évacuer certaines positions conquises, comme Dieppe et éventuellement aussi Tours, afin de concentrer le gros de nos forces sur un petit nombre de points principaux. »
Signé: Moltke.

Dans leur situation, les Allemands ne pouvaient donc tenter sur le Havre qu'un coup de main; et il paraît démontré aujourd'hui que le mouvement du général Faidherbe n'a été pour rien dans l'abandon de l'entreprise du général de Goeben contre cette place.
Un article de la Revue militaire de Darmstadt , qui clôt la polémique sur ce point, s'exprime en ces termes:

« A la date du 11 décembre, le général de Goeben ne se doutait en aucune façon du mouvement du général Faidherbe; ce fut seulement trois jours plus tard, le 14, à Saint-Valery-en-Caux, qu'il apprit par le général de Manteuffel que des divisions ennemies s'étaient avancées offensivement jusque sous les murs de la Fère. En outre, cette nouvelle lui causa si peu d'impression, que ses troupes firent séjour à Dieppe le 15, sans qu'il fût coche verte rien changé aux ordres qu'il avait donnés à cet effet. »

Ces raisons paraissent concluantes.

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boite verte Marche du général de Goeben sur Dieppe et sur Amiens

Si le général de Goeben avait connu, le 11 décembre, le mouvement offensif du général Faidherbe, s'il avait été contraint par lui de « quitter Bolbec à marches forcées » pour remonter vers le Nord, il est probable qu'il n'aurait point passé par Fauville, Saint-Valery-en-Caux et Dieppe, ni fait séjour dans cette dernière ville, pour revenir ensuite à Neufchâtel, et mis ainsi cinq jours pour parcourir une distance qu'il pouvait franchir directement en deux étapes.
De Neufchâtel, le général de Goeben aurait pu encore gagner la ligne de la Somme en deux jours; or il en mit quatre pour se rendre à Amiens où il arriva le 20.
Il est donc impossible de voir dans sa marche le moindre indice de précipitation; en outre, l'examen attentif de son itinéraire prouve que s'il a renoncé à son entreprise contre le Havre, c'est qu'elle n'offrait aucune chance de succès, car en admettant que cette place « n'ait pu résister à quelques jours de bombardement » le général prussien avait parfaitement le temps d'essayer de ce moyen.
S'il ne l'a pas fait, c'est qu'il y voyait de sérieux inconvénients.
Il est certain qu'une attaque même heureuse ne valait pas les chances qu'il eût courues si sa tentative eût échoué, et nous ne voyons pas dans quel but il aurait avoué qu'il s'est trouvé en face du Havre dans une situation qui n'est pas sans analogie avec celle qu'a décrite La Fontaine dans la fable du Renard et des Raisins .
coche verte Le général Faidherbe a eu tort de croire que son adversaire ne voulait lui laisser aucun mérite:
l'ennemi professe pour lui la plus sérieuse estime, et les récits populaires allemands ne prononcent son nom qu'avec respect.
Quant à nous, nous admirons plus que personne l'habileté et l'énergie qu'a déployées le général en chef de notre armée du Nord, et nous ne croyons pas amoindrir le mérite qu'il a eu dans la dernière campagne, en attribuant à la ville et à l'armée du Havre un des rares résultats qu'elles puissent légitimement revendiquer, celui d'avoir préservé elles-mêmes des atteintes de l'ennemi le second port de commerce de la France.

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