TACTIQUE ET STRATÉGIE
Il n'est peut-être point déplacé de donner une
explication élémentaire des termes militaires : stratégie et tactique.
La stratégie (ou science du général en chef) a pour
objet, en théorie, les principes de la haute direction
des armées eu campagne; en pratique, de tracer à
grands traits le plan des opérations (plan de campagne);
elle indique la disposition générale des grands
corps de troupes, pour un but donné.
Elle détermine d'abord les places de bataille stratégiques,
c'est-à-dire les positions qu'occupent les diverses parties
de l'armée, et qui servent de base à leur attaque
ou à leur défense, suivant une direction donnée
qui constitue la ligne d'operations.
Dans les deux cas,
dans la défensive comme dans l'offensive, l'opération
est appuyée sur une, ou s'il est possible sur plusieurs
places fortes qui sont destinées à protéger
et à recevoir la retraite si elle devient nécessaire.
Il faut par conséquent, prendre des mesures pour
qu'en poursuivant les opérations, les communications
avec les points d'appui ne puissent être interrompues,
en d'autres termes pour que la retraite ne soit pas
coupée par l'ennemi.
Dans la guerre actuelle, les
places fortes de Saarlouis et de Germersheim étaient,
en première ligne, les bases d'opération pour des
armées allemandes ; en seconde ligne, se trouvaient
Mayence et Coblenlz.
Strasbourg, Metz et les nombreuses petites places
de l'Alsace et de la Lorraine
eussent rendu les mêmes services à l'ennemi, si on lui eût
laissé le temps de prendre l'offensive.
Lorsque l'on vent prendre l'offensive, les corps
quittent leurs premières positions, et s'avancent
suivant des lignes d'opérations, ou séparées, ou
convergeant vers un point déterminé, afin de tenter à un
moment donné, avec le plus de forces possible, la
fortune des armes.
Le stratégiste doit s'efforcer de combiner
ses opérations de manière à pouvoir disposer d'une
grande supériorité numérique au moment décisif.
Les batailles et les combats sont du domaine de la
tactique.
En un mot, la stratégie indique la meilleure voie
qui conduit à la bataille; elle dit où et quand on doit
se battre.
La tactique enseigne la façon de se servir
des différentes armes dans le combat ; elle dit comment
on doit se battre.
Cette distinction sera rendue plus sensible en jetant
un rapide coup d'œil sur les événements des dernières
guerres européennes.
Conformément au plan d'opérations prussien qui
amena en 1866 la bataille de Kœniggraetz, l'armée du
prince royal déboucha par la Silésie, se jeta sur le flanc
droit et même sur la ligne de retraite des Autrichiens
et décida ainsi de leur défaite.
Les dispositions de cette marche étaient de nature stratégique.
Si le général Benedek avait réussi à repousser l'armée
prussienne par une bataille victorieuse, il aurait surmonté
par un succès tactique, les dangers de sa position
si critique au point de vue stratégique.
La marche à la suite de laquelle la 2e armée
allemande passa la Moselle près de Pont-à-Mousson,
vers le milieu du mois d'août, pour cerner l'armée du
maréchal Bazaine établie près de Metz, et la couper de
ses communications, notamment de Verdun, est une
opération stratégique.
Les batailles du 16 et du 18 qui
en furent le réslutat et, qui, empêchant la retraite de
Bazaine, l'arrêtèrent et finalement le rejetèrent dans
Metz, sont les opérations tactiques qui assurent le
succès du plan stratégique.
La maladresse stratégique que commit Bazaine, en
s'arrêtant près de Metz dans une position qui laissait sa
retraite à découvert, fit commettre aux Français une
seconde faute identique à la première.
Afin de
donner la main à Bazaine, et de le délivrer de sa position
cernée, le maréchal Mac-Mahon entreprit sa marche
presque aventureuse sur Sedan, risquant ainsi de
perdre sa propre retraite et d'être jeté sur le territoire
belge.
Les Allemands reconnurent cette faute et en
profitèrent. Ils firent interrompre les opérations sur
Paris de la 3e armée (prince héritier de Prusse) et la
dirigèrent vers Sedan.
La marche de cette armée est une opération stratégique.
Les batailles à la suite
desquelles l'armée française fut jetée dans Sedan sont
du domaine de la tactique.
Qu'elles ont été fatales pour la France, les conséquences
de cette seule faute du maréchal Bazaine !
Les feuilles de l'histoire de France qui parleront
des capitulations de Sedan et dde Metz seront
éternellement encadrées de deuil.
La stratégie et la tactique sont les puissants agents
destinés à trancher les questions de droit politique entre
deux états, qui, en dernière instance, en appellent à
l'épée; toutes les deux sont liées étroitement, comme
le démontrent les exemples que nous venons de citer.
A la guerre,; une bonne disposition stratégique favorise
les effets tactiques ; elle permet de tirer de la victoire
des avantages plus grands, et prévient, autant
que possible, les suites désastreuses de la défaite.
Mais le meilleur plan d'opérations, ( lors même que l'on
réussirait à diviser les armées ennemies de telle
sorte qu'on pût les attaquer isolément avec supériorité),
manque son but, si le succès tactique n'y
répond pas, en un mot, si on est battu.
De même
aussi un succès tactique , c'est-à-dire la victoire,
fait sortir de la position stratégique la plus critique.
Une campagne heureuse repose donc principalement
sur des combats victorieux.
On entend par disposition (plan de bataille), la
manière d'employer les troupes pendant le combat.
La disposition est donc à la tactique, ce que le plan d'opérations
est au champ plus vaste de la stratégie.
Elle indique les conditions générales dans lesquelles on
doit se battre, et le but particulier vers lequel on tend
en se battant.
Elle détermine la division des troupes
et des armes suivant la tâche qu'elles ont à remplir,
la formation en colonnes, les positions à occuper, soi
que l'on veuille attaquer ou se défendre, et indique
l'ordre et les voies de retraite pour le cas échéant.
Les détails d'exécution et les décisions à prendre
dans le courant du combat sont l'affaire des chefs
subalternes qui ne doivent jamais perdre de vue la
pensée fondamentale qui a présidé à la disposition
générale.
Ce plan détermine encore l'ordre de bataille.
L'ordre de bataille est la division générale des grands
corps de troupe en avant-gardes, gros et réserves,
pendant la marche ; et en lignes de bataille pendant le
combat.
Cet ordre, arrêté d'abord dans un but général,
peut être modifié par les incidents du combat.