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6e régiment de mobiles
Extraits des souvenirs du sous-lieutenant Guillou, clerc de notaire, agé de 24 ans
14 aout 1870
Bien qu'exempté du service militaire (frère mort à
Dakar, sous les drapeaux), je sollicite mon appel auprès du Commandant
de la compagnie de Tréguier, le capitaine Duval.
16 aout 1870
Incorporation et nomination au grade de sergent. Quelques jours après,
la compagnie rejoint le 3e bataillon à Lannion, où je retrouve
mes anciens camarades d'enfance et de collège : Gustave de Sagazan, Edmond
Le Flem, Guérin de Cadenet, Théodore de la Tour, Auguste Duplessis,
Amédée Bourgeois-Gavardin.
Le 3e bataillon était commandé par le commandant Le Bouedec que
nous devions retrouver général de division au titre auxiliaire,
lors de la protection de la retraite du Mans.
Pendant notre séjour à Lannion, déchéance de Napoléon
III et proclamation de la république.
5 septembre 1870
Le Bataillon va embarquer à Plouaret pour rejoindre à St-Brieuc le régiment
des mobiles des Côtes du Nord, auquel nous sommes affectés et qui doit
gagner Paris le jour même.
A Saint-Brieuc, l'ordre arrive de laisser sur place une compagnie dite de dépôt
par chaque bataillon; la mienne est de ce nombre.
5 au 19 septembre 1870
Des compagnies laissées par les bataillons parti à Paris, on forme un nouveau
bataillon à sept compagnies qui prend le nom de "6ème Bataillon des Mobiles
des Côtes-du-Nord".
Au cours de cette formation à laquelle je participe aidé par mon ami Joseph
Liscoat, je suis promu sous-lieutenant. En plus des trégorrois retrouvés
à la création du 3ème Bataillon, trois autres enfants du pays nous rejoignent,
Serge Charles Mordelles ( qui sera blessé à Patay et recevra la médaille militaire),
François Vallée et Aubry.
Effectif du Bataillon : 42 Sous-Officiers, 1160 caporaux et soldats soit à
peu près 170 hommes par compagnie.
L'encadrement sous-officiers de ma compagnie, la 5ème, comprenait :
Sergent-Major : Baratoux, qui devint Maire et Conseiller Général de St-Brieuc.
Sergent Fourrier: Foucault.
Sergents:
- Lhotelier, qui devint Maire, Conseiller Général et notaire à DINARD.
- Corguille, promu sous-lieutenant la veille de la bataille d'Auvours et mortellement
blessé à cette bataille.
- Pelan, grièvement blessè à Auvours
- Mion, promu sous-lieutenant après l'affaire d'Auvours.
19 octobre 1870
Un train spècial conduit le bataillon au Mans où nous sommes armès du fusil
Chassepot en remplacement de ceux à piston. En même temps que nous, arrivaient
au Mans, les Zouaves pontificaux, sous les ordres du colonel De Charette et
sous l'appellation "volontaires de l'ouest".
26 octobre 1870
Mouvement par voie de fer sur Nogent le Rotrou.
27 octobre 1870
Le bataillon se met en marche sur Champrond en Gastine où l'une de nos compagnies,
placée an grand-garde voit les premiers allemands, eux sont fait prisonniers,
ce sont des Hussards de la mort.
8 novembre 1870
Marche sur Luigny. Marche sur Bazoche-Gouet où nous retrouvons les "Volontaires
de l'Ouest" que nous ne quitterons plus.
11 novembre 1870
Marche sur Courtalain
12 novembre 1870
Marche sur Chateaudun
14 novembre 1870
Le Commandant Duval quitte le commandement du bataillon. Il est remplacé par
le capitaine Radenac promu Chef du bataillon. Le lieutenant Rouxel promu capitaine
prend le commandement de la 2ème Cie, il est remplacé à la 5ème Cie par de La
Noué. Le sous-lieutenant Langlamet est affecté à la 6ème cie.
Ce même jour, sous les ordres du capitaine de frégate Collin nous quittons
Chateaudun pour entrer en opération dans la région de Marboue, plusieurs compagnies
sont envoyées en grand-garde sur les hauteurs et dans les bois avoisinants et
sur la route de Bonneval.
Nous faisons définitivement partie avec les zouaves de Charette de la 2ème
brigade de la 3ème division du 17e corps, commandée par le colonel Sautereau
19 novembre 1870
Mouvement sur Saint Maur avec 1 compagnie à Memillon, 3 à La Touche,
3 à Aunay commune de St-Christophe.
Malgré de nombreuses marches pénibles nos hommes conservent leur belle humeur.
Nous restons en place jusqu'au 25 novembre.
25 novembre 1870
Le Bataillon vient se concentrer à Marboue, pour de là reprendre la direction
de Brou.
Déjà les volontaires de l'ouest sont au contact entre Logron et Brou.
Quelques blessés sont ramenés à Marboue dont le capitaine de zouaves Gaultier
de Kermoal, de St-Brieuc.
Après 2 heures et demi de combat, les prussiens battent en retraite, nous les
poursuivons jusqu'à 1 Km de Brou, et nous recevons l'ordre de rejoindre nos positions
de départ à Marboue et Saint Maur où nous arrivons vers minuit après une marche
de 12 heures et par un froid glacial.
27 novembre 1870
Mouvement sur Saint Laurent des Bois
29 novembre 1870
Mouvement sur Coulmiers
1 décembre 1870
Mouvement sur Saint Peravy
2 décembre 1870
Mouvement sur Patay et engagement dans la bataille vers midi et demi.
"Le canon, la fusillade faisaient rage, c'était beau et impressionnant au possible
, mais nous marchions tous gaillardement" .
A Gommiers : Le 2ème bataillon des zouaves, 3 compagnies de notre bataillon,
1 batterie d'artillerie se portent à droite de cette localité.
Le 1er bataillon des zouaves et les 4 autres compagnies de notre bataillon continuent leur marche
jusqu'à Villepion.
Villepion : Nous nous portons à gauche et nous nous rangeons en ligne de bataille;
1er bataillon des zouaves en tête.
Nos compagnies au centre à 40 pas. Les francs-tireurs
de Tours et de Blidah, derrière à notre droite vient se placer la 32ème
batterie de Marine et nous attendons, l'arme au pied.
Notre mouvement a été sans nul doute aperçu car les obus commencent à
siffler sur nos têtes venant de face et de droite.
Placés à l'extrême gauche de notre armée, nous nous rendons compte que l'ennemi essaye un mouvement
tournant.
Les premiers obus ennemis éclatent de 40 à 60 mètres derrière nous, mais
le tir est vite rectifié; un obus tombe dans ma compagnie et enlève l2 hommes
à côté de moi.
"Ce n'était qu'un amas de boucherie".
Quelques secondes après, un obus éclatait dans la 1ère compagnie et tuait ou blessait 4
Hommes.
En même temps, nous sommes attaqués par un corps de cavalerie "des cuirassiers blancs".
L'ordre est donné de mettre baïonnette au canon. Notre artillerie ouvre le feu,
les cavaliers tombent comme un jeu de cartes, les survivants faisant rapidement
demi-tour.
Le colonel De Charette trépigne de nous voir aussi exposés l'arme
au pied, au feu des obus; il envoie prendre des ordres par l'officier d'ordonnance
Harcouet de Saint Georges.
Le général de Sonis, commandant le 17ème corps d'armée, arrive et nous l'entendons
distinctement crier : "En avant! faisons voir comment se battent des hommes
de coeur".
Nous crions tous: " En Avant ! " Immédiatement, le 1er bataillon des zouaves
oblique à droite suivi par nos 1ère et 6ème Cies.
Nous nous disposions à les suivre lorsque l'ordre nous est donné de rester en
soutien de la batterie d'artillerie.
Les pertes subies au cours de cette bataille de Loigny se chiffrent à :
1er bataillon des volontaires de l'ouest : effectif au départ : 300.
- 5 officiers et 88 hommes tués
- 5 officiers dont le colonel de Charette et 90 hommes blessés.
6ème compagnie du 6 ème bataillon des mobiles des Côtes du Nord.
- le Mobile Burlot de Moncontour tué.
- le sergent Mordelles, un caporal et 10 soldats blessés.
1ère compagnie : pertes sévères mais inchiffrables par suite du mouvement
de retraite qui devint, hélas! général.
Et nous retrouvons mornes et tristes, Patay, où nous dressons nos tentes.
( le 6ème bataillon des Côtes du Nord a perdu 110 hommes au cour de
ces combats d'après le rapport du Colonel de Charette)
3 décembre 1870
Les restes des 2 bataillons de zouaves et du notre se remettent en marche. En
18 jours , nous avons parcouru, à pied, 136 lieues sans compter les batailles
de Brou et de Patay.
Nous traversons successivement , Saint Peravy, Rozière, Coulmiers, Meung,
Beaugency que nous atteignons le 4 décembre à 9h du soir, horriblement
fatigués et d'où après une halte de 2 heures nous reprenons notre marche vers
Mer.
Le commandant Le Gonidec de Traissan des zouaves, qui fait fonction de colonel,
nous a, par cette marche forcée, évités d'être faits prisonniers.
A la reprise de la marche, à 11 heure du soir, la deuxième partie
de notre bataillon était seule au rassemblement, il faut reconnaître que cette
marche dépassait les forces humaines.
5 décembre 1870
2 heures du matin , nous arrivons à Mer au nombre de 670 sur les 900 hommes
qui composaient notre bataillon à ce moment.
6 décembre 1870
12 Heures, rassemblement du bataillon. Et je suis stupéfait de voir toutes les
compagnies reformées "Ces homme avaient l'étoffe de bons soldats".
Au soir,
nous embarquons en chemin de fer avec les zouaves, direction Poitiers où nous
devons nous reformer en raison des pertes subies, environ 400 sur 1200 depuis
le départ.
19 décembre 1870
Nous quittons Poitiers pour Le Mans où nous arrivons le 20 dans la nuit. Avec
le 1er bataillon des zouaves, nous sommes affectés au quartier général
du 21ème corps, amiral Jaures ; et nous assurons le service de place.
8 janvier 1870
Mouvement sur Yvré l'Evêque.
10 janvier 1870
Le Bataillon est affecté à la 4ème division (général Gougeard) ainsi
que le 1er bataillon des volontaires de l'ouest (commandant de Montcuit).
Dans l'après-midi , nous partons en reconnaissance offensive sur la route de Connérré.
Devant l'importance des forces allemandes qui sont très supérieures,
le général Gougeard ordonne la retraite.
Les zouaves eurent quelques tués et blessés dans cette reconnaissance.
11 janvier 1871
Mercredi, à la première heure, la fusillade recommence de plus belle du côté
de la gare d 'Yvré L'Evêque. Le Chef de bataillon demande un officier et quelques
hommes pour effectuer une reconnaissance de ce côté.
Avec 12 Hommes, j'effectue cette reconnaissance ; nous trouvons le l0e chasseurs
aux prises avec l'ennemi. Je reviens rapidement rendre compte de la situation
et reprendre aussitôt mon poste. Nous organisons le terrain sur la route de
Paris et celle des Arches.
La 4ème Compagnie (De Marzan) se porte avec une compagnie de francs-tireurs
de Fontainebleau, vers la voie ferrée, qui est occupée par des tirailleurs Prussiens.
L'intervention est efficace et le Capitaine De Marzan revient avec quelques
prisonniers.
Le canon tonnait de toutes parts et la fusillade faisait rage, lorsque vers
2 heures de l'après-midi, les 1e et 5e compagnies de mon bataillon sont appelées
à suivre le 1e bataillon des Volontaires de L'Ouest.
Après avoir traversé le village d' Yvré, nous nous dirigeons vers le vieux pont
sur l'Huisne alors gelée. Ce pont est encombré de fuyards et pour le franchir,
beaucoup d'entre nous étaient obligés de monter sur les parapets ; les obus
passaient et sifflaient sur nos têtes, nos hommes étaient armés d'un double
courage, celui de résister à la panique et celui de marcher en avant .
Le pont franchi, nous pouvons nous déployer. Le Général Gougeard arrive, nous
fait mettre sac à terre, baïonnette au canon, et se mettant à notre tête, ordonne
le mouvement en avant. Sous une grêle de mitraille, nous montons vers le plateau,
les Zouaves à gauche, nos deux compagnies au centre, 3 compagnies de mobiles
du Gers à droite. Le Lieutenant Le Treut, de la 1ère compagnie est frappé et
tombe sans connaissance.
En atteignant la hauteur où nous arrivons sans avoir tiré une balle, nous n'étions
plus sous le feu de l'artillerie, mais par contre les balles les remplaçaient
copieusement. Nous nous déployons en tirailleurs et par bonds successifs, nous
en arrivons bientôt presque au corps à corps, forçant l'ennemi à se retrancher
derrière les batiments "Des Panardières" et de "Petite Mare" en lui infligeant
des pertes énormes en raison de ses masses compactes.
C'est à ce moment que nous perdîmes le plus de monde. De nos deux compagnies,
les six officiers étaient hors de combat.
Capitaine Grouazel, tué,
Lieutenant Le Treut, hors de combat dès le début.
S/Lieutenant Le Corguille, promu le matin même, tué.
Capitaine De Clezieux, S/Lieutenant
De La Noué et moi-même blessés grièvement.
Les deux compagnies décimées. 2l0 hors de combat sur 320.
Dans l' impossibilité de me mouvoir, je donne l'ordre au Sergent Pellan de se
replier avec ce qui reste de nos hommes vers les zouaves, le Sergent Pellan
est atteint au cours de ce mouvement.
La nuit venue avait mis fin au combat, laissant nos troupes maîtresses de la
position et nous fûmes évacués; le Capitaine de Clezieux et le lieutenant de
la Noué, sur l'Ambulance Ste-Croix au Mans où ce dernier meurt le l6 Janvier
; le même sort était réservé au Capitaine de Clezieux, transféré à St-Brieuc
le 10 Février et le 28 Février la ville de St-Brieuc fit à ce glorieux soldat,
de triomphales funérailles d'après un des journaux de la localité.
Moi-même, sur l'ambulance d ' Yvré L'Evêque où je faillis être amputé d'une
jambe devant l'aggravation de ma blessure, évacué sur une ambulance temporaire
du Mans, je devais y rester jusqu'au l3 mars, date à laquelle je rejoignais
St-Brieuc où à la gare m'attendaient trois officiers, dont mon ancien sergent
Mion, promu sous-lieutenant à la suite de l'affaire d'Auvours ..."