Correspondances, décrets et proclamations
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Emile de Kératry
(1832 - 1904)
Sources :
"Armée de bretagne 1870-1871, dépositions, rapport
de la Commission d'enquête", Emile de Keratry - Paris - Lacroix - 1873
"L'armée de Bretagne 22 oct.-27 nov. 1870", Aimé Jaÿ -
Paris - Plon - 1873
"Camp de Conlie, Rapport de la Commission d'enquête sur les actes
du GDN", Arthur de la Borderie - Paris - Cerf Imp. de l'Assemblée Nationale
- 1874
Origine
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destination
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Plan de M. de Kératry - 21 octobre 1870 | Gambetta | |
Décret du ministre de la guerre M. Gambetta - 22 octobre 1870 | Gambetta | |
Proclamation de M. de Kératry - 23 octobre 1870 | Ordre du jour | |
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Plan de M. de Kératry - 21 octobre 1870
A M. Gambetta, ministre de la guerre et l'Intérieur.
Tours, 21 octobre 1870.
Monsieur le ministre, Le 14 octobre, à deux heures du soir, après quatre heures de route en ballon, je débarquais à cinq kilomètres de Bar-le-Duc en pleines lignes de l'ennemi, chargé d'une mission en Espagne par le gouvernement central. Je me mis immédiatement en route, malgré les deux blessures reçues dans ma chute. Sur une dépêche pressante de vous, je modifiai mon itinéraire direct vers les Pyrénées, et je vins m'entretenir avec vous à Tours. Dans notre long entretien, la nécessité absolue de ravitailler Paris au plus tôt vous fut présentée par moi comme le véritable objectif des efforts à tenter par la province, et comme l'espérance formelle dela capitale, convaincue déjà depuis plusieurs jours, grâce à des déclarations officielles, que la province marche à son secours.
A l'issue de cet entretien, il fut entendu, sur votre offre et sur ma demande, qu'aussitôt ma mission terminée en Espagne, je me mettrais à la disposition du gouvernement, pour tenter cette œuvre de ravitaillement, sans laquelle l'héroïque résistance de Paris est condamnée à la stérilité.
En deux jours et demi, sans prendre une minute de repos, je suis allé à Madrid et j'en suis revenu. Ce matin, dès mon arrivée, je vous ai déclaré que j'étais prêt à prendre et organiser un commandement que ne sollicite pas mon ambition, mais que recherchent mon amour du pays et l'espoir assuré du succès. J'ai trouvé vos idées modifiées et incertaines. Je ne puis vous cacher mes angoisses en présence de la perte d'un temps si précieux.
Je vous le dis en toute sincérité : vous avez courageusement assumé le double fardeau de l'intérieur et de la guerre. Votre esprit politique vous absorbe tout entier, au milieu du développement militaire que vous cherchez et que vous réussissez déjà à propager en province ; mais à côté du souffle patriotique que vous inspirez, il y a l'organisation et la conduite des choses militaires qui vous échappent totalement. Pendant ce temps, des fautes et des désastres s'accomplissent. Je vois bien que le général Bourbaki va vers le Nord ; Bazaine résiste toujours avec héroïsme ; les généraux Cambriels et Garibaldi vont travailler l'Est et les communications de l'ennemi ; trop longtemps respectées pour notre honneur national. La Lorraine, pillée et brûlée, que je viens de parcourir, se lève enfin. L'armée de la Loire est chargée de protéger le Centre et le siège du gouvernement.
Je veux bien que tout ceci soit important; mais, ne l'oubliez pas, périsse plutôt tout en province que Paris ne succombe ; car Paris, c'est le seul espoir d'une paix honorable, qui disparaît de suite si la famine le force à céder ; Paris, c'est le dernier boulevard de notre indépendance. Il a encore plus de deux mois de vivres ; il renferme une armée aguerrie tout à l'heure, mais dont les quatre cent mille combattants ne feront une sortie pour rompre le cercle d'investissement, qu'avec la certitude absolue qu'ils peuvent donner la main une armée de secours venue de la province. Ce jour seul sera celui de la libération; il ne peut être pIns longtemps reculé, et j'ai l'honneur de vous renouveler ma demande, en vous en formulant les exigences militaires.
Pour que mon commandement ne soit pas illusoire, et pour que j'aie en mains l'instrument nécessaire, je réclame tous pouvoirs, ne relevant que du gouvernement lui-même, pour lever, équiper, enrégimenter, nourrir et diriger les contingents utiles qui restent disponibles à l'heure actuelle dans les départements de l'Ouest, Finistère, Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord, Morbihan, Loire-Inférieure, Mayenne, qui ne sont soumis encore à aucun grand commandement, et dans celui de la Sarthe, dont le Mans, qu'il importe de préserver sans retard de l'ennemi, comme clef principale de la Bretagne, sera ma future base d'opérations et d'approvisionnement. Le Mans commande toutes les lignes ferrées et sert de trait d'union entre le Nord et le Midi. C'est de là que dans l'esprit de Paris et des bons stratégistes, doit s'élancer l'armée de ravitaillement, en prenant la route de la rive droite de la Seine, appuyée d'une part sur les forces de la Seine-Inférieure, et de l'autre sur l'aile gauche de l'armée de la Loire.
Pour arriver au but proposé, je composerai le corps d'armée des gardes mobiles restant encore dans lesdits départements, de leurs gardes nationaux mobilisés ; j'ai un besoin absolu, pour m'éclairer, de deux escadrons de cavalerie régulière, à 150 chevaux par escadron, de deux mille hommes d'infanterie régulière comme noyau de résistance. L'effectif devant s'élever, j'espère, à une quarantaine de mille hommes, j'ai besoin de seize batteries de 12 rayé et de quatre batteries de 4 rayé ; ce qui fait un total de cent vingt canons, soit trois pièces par mille hommes, proportion adoptée par les Prussiens. En outre, je pourrai requérir d:ans les arrondissements maritimes les marins qui me seront nécessaires, soit pour le service des pièces de marine que j'établirai autour du Mans, soit pour le service de mes pièces de campagne, à défaut d'artilleurs de terre.
J'aurai le choix libre des officiers de l'armée régulière qui demanderont à me suivre, et qui sont aujourd'hui sans emploi.
Telles sont, Monsieur le Ministre, les observations et les propositions que j'ai considéré comme un devoir impérieux de vous formuler. Leur succès dépend de la rapidité d'exécution.
J'ai l'honneur de vous prier de prendre tout de suite une décision affirmative ou négative. Au cas où elle serait négative, dans la journée de demain je m'éloignerai de Tours avec le regret que mes services ne puissent être utilisés, mais avec la pensée consolante que je n'aurai rien marchandé de moi-même au salut de mon pays.Agréez, etc.
Cte E. de KÉRATRY.
Décret du ministre de la guerre M. Gambetta - 22 octobre 1870
MINISTÈRE DE LA GUERRE
Tours, le 22 octobre 1870.
DÉCRET
Art. 1. - M. de Kératry est chargé du commandement en chef des gardes mobiles actuelles, des gardes nationaux mobilisés et corps francs des départements de l'Ouest : Finistère, Morbihan, Côtes-du Nord, Ille-et-Vilaine, Loire-Inférieure, avec facilité d'opérer et de se fixer au chef-lieu d'un département situé en dehors de la région ci dessus désignée : Laval ou Le Mans.
Art. 2. - M. de Kératry, investi de tous pouvoirs pour organiser, équiper, nourrir et diriger ces forces qui prendront le nom de Forces de Bretagne, ne relèvera que du ministre de la Guerre.
Art. 3. - M. de Kératry prendra immédiatement son commandement en qualité de général de division, brevet de l'armée auxiliaire, et pendant la durée de la guerre.
Art. 4. - M. Carré-Kerisouet, ancien député, est nommé commissaire général des forces de Bretagne, avec rang de général de brigade.
Art. 5. - Un crédit de 8 millions, spécialement affecté à l'armée de Bretagne, est ouvert au commandant en chef. L'armée de l'Ouest jouira , en outre, de la solde et des vivres de campagne réglementaires, à partir du jour où chaque corps ou fraction de corps aura été mis en mouvement.Visé par ordre.
Signé: GAMBETTA.
Pour copie conforme :
Le délégué du ministre de la guerre, C. de Freycinet
Proclamation de M. de Kératry - 23 octobre 1870
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
PROCLAMATION
Armée de Bretagne
Aux gardes mobiles, gardes nationaux mobilisés et corps francs de la Bretagne.
Le Gouvernement de la défense nationale, par décret du 22 octobre, m'a fait l'honneur de me placer à votre tête. Je vous apporte le sacrifice entier de moi-même.
D'ici à dix jours vous serez concentrés aux portes de la Bretagne pour faire face à l'ennemi. Vous recevrez exactement tout ce qui est nécessaire au soldat: fusils à tir rapide, canons à longue portée, mitrailleuses perfectionnées, seront confiés à votre courage.
Ceux de vos frères qui défendent les remparts de Paris ont déjà prouvé que le sang breton n'a pas dégénéré. A vous de marcher sur leurs traces.
Vous vous rappellerez tous qu'une sévère discipline est l'arme la plus puissante pour assurer la victoire. Je suis résolu à la maintenir dans toute sa rigueur.
Que les cœurs faibles restent en arrière; que les vrais Bretons marchent en avant et prouvent à un peuple barbare qu'ils se lèvent en hommes libres! Que votre seul cri de ralliement soit :DIEU ET PATRIE !
Le général de division, commandant l'armée de Bretagne,
Comte DE KÉRATRYLe commissaire général,
CARRÉ-KERISOUETAu quartier général de Laval, le 23 octobre 1870.