Jamais les Prussiens n'viendront
Manger la soupe en Bretagne
Jamais les Prussiens n'viendront
Manger la soupe aux Bretons
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Pendant la guerre de 1870, 50 000 mobilisés bretons sont rassemblés dans un camp insalubre
à Conlie dans la Sarthe.
Ils ne seront ni armés, ni instruits à la vie militaire et fort mal équipés.
La grande majorité d’entre eux sera renvoyée en Bretagne au bout de quelques mois sans avoir combattu.
Plusieurs bataillons seront envoyés au combat, mais Gambetta fera porter à ces Bretons la
responsabilité de la défaite française au Mans en janvier 1871.
La commission d’enquête sur les actes du gouvernement de la défense nationale ne débouchera
sur aucune poursuite.
La levée en masse
Après le désastre de Sedan le 2 septembre où l'empereur est fait prisonnier,
la République est proclamée sous la présidence du général Trochu.
Léon Gambetta, membre du Gouvernement de la Défense Nationale demeurant
dans Paris assiégé, est partisan de la "guerre à outrance".
Il quitte Paris en ballon et rejoins Tours où il organise la levée en masse.
Il espère pouvoir préparer les troupes disponibles en province à une
contre-attaque générale afin de secourir Paris encerclé et repousser l'occupant.
Originaire de Ploaré en Douarnenez, Emile de Kératry,
ancien préfet de police de Paris, a également quitté Paris en ballon
et rejoint Gambetta à Tours.
Convaincu du bien-fondé de la poursuite de la guerre,
il propose à Gambetta le recrutement et la formation de 50000 mobilisés de l'ouest afin de former une armée
de Bretagne qui viendra renforcer l'armée de la Loire pour
tenter de délivrer Paris de l'étreinte allemande.
Le site de Conlie
C’est par une lettre datant du 21 octobre que Kératry présente son plan détaillé à Gambetta.
Il est accepté, et le 22 octobre le gouvernement décrète la création des
« Forces de Bretagne » sous le commandement de Kératry, nommé général de
division auxiliaire. Un crédit de huit millions lui est alloué pour organiser et
équiper cette armée.
Le décret précise que cette troupe doit se composer des gardes mobiles disponibles,
des mobilisés et des corps francs de Bretagne.
Kératry avait souhaité étendre ce
recrutement à la Mayenne et à la Sarthe, mais le recrutement fut fixé aux seuls
départements bretons.
A l’origine, Kératry pensait implanter le camp à l’est du
Mans et avait prévu des retranchements protégeant à la fois le camp et la ville.
Vraisemblablement il aurait occupé le plateau d’Auvours.
Ce choix ne fut pas retenu
car M. de Loverdo, du bureau de la guerre à Tours, le prévint que le Mans de devait
pas être défendu.
Kératry choisit alors une position en arrière de la ville.
Il décide finalement d’établir le camp sur le site de la Jaunelière qui domine les environs.
C'est une colline proche de la commune de Conlie, à 25 km du Mans.
Il visite la commune et le site du futur camp accompagné par le Docteur Répin, maire de Conlie.
Puis, avec l'aide des préfets de Bretagne, il adresse un appel à la mobilisation
en souhaitant rassembler le plus grand nombre au cri de « Dieu et Patrie ! » et
parcourt la Bretagne pour accélérer le recrutement des mobilisés.
Pendant ce temps le colonel Rousseau, chef du génie, dirige les travaux de l'enceinte fortifiée
du camp prévu pour contenir 40 à 50 000 hommes.
Le maire de Conlie, le docteur Répin, mobilisa tout ce qui pouvait servir d'hébergement
pour accueillir la foule d'ouvriers accourus des départements
voisins pour travailler aux fortifications du camp.
Les archives départementales de la Sarthe présentent un plan du
camp de Conlie établi en mai 1871 par M. Boussard :
http://archives.sarthe.fr/a/665/plan-du-camp-de-conlie-mai-1871/
Les désillusions
Les premiers contingents arrivent à Conlie le 3 novembre et leurs rangs dépasseront
le nombre de 25000 au 21 novembre. La pénurie de tentes, de couvertures et
d'objets de campagne se fait vite sentir devant le nombre grandissant des arrivants.
Vêtus pour la plupart misérablement, chaussés de sabots et ne parlant pas français,
ils connaissent les premières désillusions.
Pour comble de malheur, la pluie incessante
transforme en bourbier les terrains désignés pour servir aux campements et
empêchent tout exercice.
Le 20 novembre, les fortifications du camp sont presque
achevées. On attend la livraison d'armes provenant d'un surplus de la guerre
de sécession acheté aux USA.
Mais les armes n'arrivent toujours
pas et le manque de cadres instructeurs ne permet pas de contrôler
tous ces hommes livrés à l'oisiveté, l'ennui et le découragement.
Alors que les approvisionnements en armes et munitions sont retardés ou détournés,
Kératry comprend que Gambetta et son entourage suspectent l'armée de Bretagne
d’être hostile à la république. Les hommes sont au désespoir, souffrant du froid
et de l’humidité. Sans instructeurs et mal équipés, ils se sentent abandonnés.
Bientôt la maladie s'installe. A une épidémie de variole s'ajoutent les
cas de pneumonie et de bronchite.
Récit de l'historien Arthur de la Borderie :
«... Aux brumes et aux premières pluies d'hiver avaient succédé
les glaces, les neiges, le verglas, et ensuite d'affreux dégels, dont
les eaux ruisselantes, inépuisables, ne pouvant être absorbées par un
sous-sol argileux , détrempaient si complètement la couche supérieure du sol,
que cet humus semi-liquide, remué déjà par un labour récent, délayé par
les pieds de cinquante mille hommes, finit par former un vrai cloaque.
On n'y pouvait faire un pas sans enfoncer à mi-jambe. Non seulement
l'exercice y était impossible, mais les corvées indispensables pour les
vivres, l'eau, le bois, la paille, y devenaient d'une difficulté extrême.
L'humidité pénétrait sous toutes les tentes, dont plusieurs furent envahies,
en diverses circonstances, par de véritables inondations...»
L'intervention de St-Calais
Le 24 novembre, 4000 carabines Spencer sont livrées au camp mais avec des
munitions d'un calibre inadéquat. Kératry rencontre Gambetta au Mans.
Celui-ci lui donne l'ordre de rassembler 10000 hommes
pour marcher sur St-Calais et venir en renfort contre l'armée du
Duc De Mecklembourg.
Les bataillons les plus disponibles au camp de Conlie sont envoyés à Yvré-l'Evêque le 24 novembre;
ils constituent une division de marche.
Ils se portent en reconnaissance le 26 sur Bouloire sans engagement avec les prussiens.
Démission de Kératry
Le 27 novembre 1870, Gambetta intègre l’armée de Bretagne au 21e corps dirigé par le général Jaures.
Ce même jour, Kératry qui ne veut pas être subordonné à Jaures, démissionne de
son commandement de l'armée de Bretagne.
Il laisse le commandement du camp de Conlie au général Le Bouedec et
celui de la division de marche au général Gougeard.
La division de marche devient la 4e division du 21e corps.
Le général de Marivault succéde à Kératry le 12 décembre.
Celui-ci, effaré devant l'état des troupes décide contre l'avis de Gambetta,
l'évacuation partielle du camp.
L'état des bataillons rentrant en Bretagne
soulève l'indignation générale.
A consulter : Division de Bretagne
La bataille du Mans
Il reste six bataillons de mobilisés (6400 hommes) à Conlie, que l'on réquisitionne
en renfort pour couvrir les abords du Mans sur Pontlieue.
Le 10 janvier, la veille de la bataille du Mans, on leur fournit des fusils à
percussion Springfield en mauvais état. (1).
Très affaiblis par les privations, sans instruction militaire et mal armés,
les Bretons ne constituent pas une troupe solide.
Le 11 au soir, les Prussiens mènent une offensive déterminante sur
la position de la Tuilerie.
Les affrontements ont lieu dans une grande confusion.
Les mobilisés bretons et les troupes régulières ne peuvent plus tenir les positions
et se retirent sur Pontlieue.
Le général Chanzy ordonne la retraite et rend compte de la défaite à Gambetta.
Celui-ci communique l'information aux préfets en faisant porter aux Bretons la responsabilité de ce revers.
(1) Rapport de M. le comte Rampon : Extrait sur la vérification des armes américaines page 18 à 24.
Fin du camp
Dans les jours qui suivent, le plus grand désordre va régner sur le camp de Conlie
avec le passage des hordes de soldats, en déroute après la défaite du Mans.
Observations d'un journaliste du Times:
«... L'aspect des troupes que j'ai rencontrées
aujourd'hui était déplorable.
Leurs armes rouillées paraissaient hors d'état de servir.
Plusieurs marchaient sans chaussures, un grand nombre paraissaient exténués et leur
cavalerie était dans un état pire que l'infanterie s'il est possible. Bien souvent,
c'est le cavalier qui aide le cheval à avancer...»
Le 14 janvier au soir les prussiens sont à Conlie et occupent le camp
abandonné en grande hâte.
Impressionnés par les moyens mis en oeuvre,
ils décident de détruire le camp qui peut encore offrir aux français
un point d'appui et font sauter les fortifications.
L'occupation prussienne
de la commune de Conlie ne s'achèvera que le 6 mars 1871.
Epilogue
Le scandale de cette affaire et l'indignation en bretagne reposent sur le fait qu’on a rassemblé autant d’hommes
pour en faire une armée, que ces hommes n’ont jamais eu la préparation suffisante et qu'ils furent
finalement couverts d'opprobre.
La question se pose de savoir quelles sont les causes de cette mauvaise préparation,
et qui en sont les responsables.
La lecture des documents d'époque, des témoignages et des dépositions devant la commission d'enquête
permet un éclairage de ce dossier extrêmement complexe.
Pour autant on y trouve aussi des contradictions, des divergences d'opinions ainsi que quelques malentendus.
Outre la boue, les obstacles majeurs à l'organisation du camp ont été
la pénurie de cadres instructeurs et le manque d'armes.
Les raisons de ces deux derniers maux :
L'indépendance militaire des forces de Bretagne, la neutralité politique affichée de Kératry,
l'ambiguïté du décret du 22 octobre et l'hostilité de
certains officiers supérieurs.
La part de responsabilité de Gambetta reste à déterminer
mais il est patent qu'il a gelé la livraison d'armes et ordonner la non évacuation des mobilisés en décembre 70.
Il est un fait que toutes les troupes engagées dans la défense du territoire dans la phase
républicaine de ce conflit ont beaucoup souffert.
Mais si la majorité des mobilisés de Conlie n’a pas
combattu, ils ont cumulé tous les problèmes imaginables.
De cette dramatique histoire du
camp de Conlie, ce sont surtout les noms de Gambetta et Kératry qui restent dans la mémoire
collective.
Les sympathisants de l’un et de l’autre s’efforceront au fil du temps de redorer
un blason bien terni.
Et pourtant, bien moins que les politiques et les militaires gradés,
les mobilisés sont les vraies victimes trop souvent oubliées de cette affaire pitoyable.
Monuments
En 1873 est édifiée la « croix des bretons » dans le cimetière de Conlie grâce à une
souscription levée en Bretagne.
A consulter :
La croix des Bretons à Conlie
Un monument en souvenir du camp et de l'armée de Bretagne
est inauguré le 11 mai 1913 sur la colline de la Jaunelière à Conlie.
A consulter :
Le monument sur la
colline de la Jaunelière
Une plaque commémorative y est apposée le 14 février 1971 à l'occasion du centenaire des événements.
En septembre 2021 la plaque du Souvenir Français a été rénovée au pied de la croix des Bretons.
La commune de Conlie a rendu un hommage aux Bretons lors d'une cérémonie commémorative.
Dans la nécropole nationale de Sainte-Anne-d’Auray, un ossuaire est dédié
aux soldats bretons de l’armée de la Loire.
A consulter :
Le monument
Sainte-Anne-d’Auray
Filmographie
A consulter :
- La documentation de presse sur le film de Pierre-François Lebrun,
Kerfank La colline oubliée .
- La présentation du film sur le site
Kultur Bretagne .