La retraite
Par des extraits de récits de soldats, on peut retracer le quotidien du soldat en campagne.
La retraite (dessin(?) 1876)
" A Ornans, la nouvelle de l'arrivée imminente des Prussiens se confirme à tout instant. Notre régiment lève le camp, et d'après un ordre incompréhensible, mais formel, du général Vivenot, c'est musique en tête ! et aux sons de nos airs les plus joyeux ! que nous traversons la ville, au grand étonnement et à la juste indignation de la population, qui tout à l'heure aura les ulhans à loger, et au malheur de laquelle nous paraissons insulter par notre allégresse factice, alors que, battant en retraite comme nous le faisons, il serait plus digne de le faire sans bruit, avec le calme et la décence qui conviennent à une armée malheureuse ! " (Guerre de 1870 - 1871, E. Gluck, 1873)
Les coupures des routes
Les
tranchées creusées en travers de la route, rendaient très
difficiles le passage du convoi et du matériel roulant et ne contribuaient
pas peu à retarder notre marche .... En certains endroits les routes
étaient coupées de fosses profondes de un mètre et demi
à deux mètres. Il fallut les combler au moyen d'abattis de bois,
remplir les crevasses et les ornières de branchages, quadrupler et quintupler
les attelages pour sortir les pièces et les voitures de ces profonds
bourbiers où les chevaux enfonçaient jusqu'au poitrail. "
(Souvenirs de l'armée de Bretagne, Docteur R. Gestin, 1909)
" Ces coupures de la route étaient bien
la chose la plus inepte qu'il m'ait été donné de voir pendant
cette malheureuse guerre. Elles étaient espacées de 500m environ,
et consistaient en un double fossé long de 10m et très profond,
creusé à pic de chaque côté de la route, sur laquelle
on n'avait laissé à la partie centrale qu'un passage bien juste
suffisant pour un seul véhicule. Le double abîme était
protégé par un garde-fou en branchages entrecroisés, qui
n'empêchait pas une voiture, un canon ou une prolonge de tomber dedans
de temps à autre, incident qui immobilisait aussitôt tout le reste
du convoi. Notre retraite en fut gênée on suppose à quel
point; quant aux Prussiens, ils eurent pour premier soin, en arrivant, de réquisitionner
les paysans des environs et de les forcer à combler les fossés,
opération après laquelle ils passèrent tranquillement.
j'ai même entendu dire à ce propos que les habitants d'un petit
village des environs d'Evron, avaient jeté un officier du génie
prussien dans l'un de ces trous, qu'ils s'étaient empressés ensuite
de boucher, avec une ardeur que l'on conçoit. "
(Souvenirs de mon
bataillon, Marquis de Salles, 1895, caporal aux volontaires de l'Ouest)
La retraite est éreintante par sa précipation
" Nous nous sentions déjà très fatigués, car depuis le matin nous avions été en mouvement sans prendre de nourriture. Cependant il n'y avait pas de temps à perdre. on marcha vers le sud jusqu'è la nuit. Puis, le bruit courut que nous devions aller juqu'è Nogent. Aller à Nogent, quand on dit que 1500 Prussiens sont déjà dans Luigny ... mais c'est absurde ! La nuit était noire. Je me mis près d'un timon de voiture où j'appuyai ma tête;
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"
Je tombais de sommeil, et me sentais
incapable de lier deux idées. |
Les vivres n'arrivent plus à suivre
(1910; Tableau de Kolitz)
" Régiments, brigades, divisions s'en allaient par morceaux, sans rien qui les reliât,
que l'instinct de vivre. Nulles distributions : on pillait.
Puis c'étaient
les piétinements sans fin, d'interminables pauses grelottantes, affamées,
autour de feux où tout passait, voitures démolies, charpentes
et portes arrachées aux villages. Les typhiques aux visages jaunes, les
varioleux aux mains enflées étaient milliers.
Les fusils jetés
en tas, les chevaux crevés emplissaient les fossés. Les hommes
cheminaient dans la neige, sans rien d'humain que la faculté de souffrir,
qui s'atrophiait elle-même. La misère passait les forces.
On piétinait
comme un bétail, à moins qu'on ne se laissât choir pour
mourir sur place, de faim, de fatigue, et de froid. Une longue toux -
poitrines en feu, membres glacés - secouait les colonnes, leur serpentement
noir, à l'infini, entre deux murs de neige.
Seconde retraite de Russie,
dont l'horreur égalait l'autre.
C'était chose étrange que
les chevaux affamés, se rongeant queue et crinière, mangeant le
bois. Spectres au poil bourru, glacé de givre. Ils crevaient par centaines. "
(Histoire de la guerre de 1870, P. et V. Marguerite, 1904)
Les chevaux meurent de faim
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" Quelle retraite ! Tout le long des routes,
des chevaux mourants achèvent de crever sans avoir la force de hennir. |
" Tout le long du chemin
nous rencontrions des traînards, le visage si défait et l'air
si épuisé, qu'on ne pouvait guère leur reprocher d'être
demeurés en arrière. Parmi ces spectres de désolation
qui se traînaient sur la neige, quelques-uns menaient par la bride des
chevaux réduits à un état encore pire que le leur. Ce
que nous n'avons point vu lors des autres retraites, c'est cette quantité
d'animaux morts ou mourants, devenus presque des squelettes et enfoncés,
lorsqu'ils respirent encore, dans la glace et la neige. Je vois toujours,
à gauche de cette route de Sillé, une vache prosternée
dans un ravin, au milieu d'une flaque d'eau durement gelée, regardant
tristement le chemin, et attendant la mort dans cette attitude fixe et placide.
Nos propres maux nous laissent peu de pitié, et pourtant ces spectacles
sont navrants. "
(Mémoires de l'armée de Chanzy, R. de
Mauni, 1872)
C'est cette quantité d'animaux morts
ou mourants... (dessin ? 1873)
Les soldats meurent d'épuisement
" Nous étions obligés de conformer notre allure à celle de l'artillerie qui marchait devant nous, et dont les chevaux, faute de fers à glace, s'abattaient sans cesse sur cette route couverte de verglas; aussi, c'étaient des arrêts continuels."
(1910; Tableau de E. Detaille)
" Les artilleurs se donnaient une peine infinie
pour faire gravir la moindre rampe à leur attelage; ils allaient jusqu'è
piquer de la pointe de leur sabre ces malheureuses bêtes qui, épuisées
de fatigue et de faim, finissaient par tomber pour ne plus se relever. Aussi,
tout le long de la route, on rencontrait des chevaux râlant et attendant
la mort. Comme on ne nous laissa prendre aucun repos durant ce parcours interminable,
bien des hommes, malgré leur bonne volonté, n'en pouvant plus,
quittaient la colonne, se couchaient dans les fossés, où ils ne
tardaient pas à avoir leur membres engourdis par le froid, et périssaient
souvent ainsi, étant incapable de se relever. "
(Les mobiles
de la Gironde, F. Gérard, 1902)
" Le dégel avait tout d'un coup succédé au froid rigoureux des premiers jours de décembre, et les hommes qui marchaient et couchaient dans la boue eurent beaucoup à souffrir. Plusieurs sont morts. J'en ai vu un, dans ces sillons dégelés où l'on s'enfonçait d'un pied dans la boue, tomber et mourir en marchant auprès de ses camarades.
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" On se fait au feu, aux obus, aux balles,
c'est l'affaire de quelques instants (de mourir); mais voir mourir de
misère et de fatigue, on ne s'y accoutume pas. |
" Nous prenons le chemin de la forêt. Là encore, défilé long, silencieux, nos pas ne font aucun bruit dans la neige.
(1889; dessin de Q. de Beaurepaire)
Beaucoup qu'une nuit aurait refaits peut-être, tombent de fatigue et de sommeil au bord du chemin, se couchent le long des haies, la tête appuyée sur leur sac et leur coeur plein d'amertume. Ils attendent une mort trop longue à venir. On n'entend aucune plainte,la plupart se soumettent sans murmurer à la volonté d'en haut. C'était une immense douleur d'abandonnner ainsi, sans pouvoir leur porter aucun secours, ces jeunes gens qu'on avait vu si braves, si bons, si résignés. Et si plusieurs, ne pouvant plus suivre et craignant de devenir la proie du vainqueur, ont cherché à se cacher dans les fermes, ne les jugeons pas avec l'indignation qu'inspirerait aujourd'hui une lâche désertion. Nul ne nous accusera d'exagérer les souffrances de nos frères d'armes. Je suis plutôt impuissant à les dépeindre, et la réalité de ces nuits dépasse toute description. " (Un régiment de l'armée de la Loire, l'Abbé Charles Morancé, 1874)