Les marches
Par des extraits de récits de soldats, on peut retracer le quotidien du soldat en campagne.
(dessin de Carrey 1900)
La première marche :
" Pour ma part, j'étais déjà très
fatigué; souffrant, presque malade, je subissais par suite une sorte
de dépression morale, et j'avoue qu'à cette heure mes idées
belliqueuses d'antan ne se maintenaient pas au diapason élevé
des jours précédents.
La marche devenait de plus en plus éreintante
dans ces champs labourés, dont la terre molle se collait aux souliers.
Si des obstacles se présentaient, fossé, butte de terre, accident
de terrain il fallait les franchir en conservant l'alignement.
Puis, parfois
nous devions accélérer l'allure, parcourir de grands espaces au
pas de gymnastique, enjambant les sillons et guérets.
A cet exercice
le poids du sac devenait accablant, ses courroies meurtrissaient cruellement
nos épaules. " (Souvenirs d'un mobile de la Sarthe, D. Erard, 1907)
(dessin de M. Pallandier 1900)
Notre
bagage était au grand complet. Fourniment, vivres, cartouches, rien ne
manquait.
La tente, humide encore, pesait fort.
Nous avions tout au plus parcouru
le quart du chemin, et il me semblait que j'étais déjà
à bout de forces.
Je ne voyais que les deux pieds qui devant moi s'agitaient,
fuyant alternativement les miens.
Mon regard, s'il s'élevait, ne dépassait
pas la hauteur du havresac qui sous mon nez se balançait comme un esquif,
avec le fréquent tressaut que lui imprimait un sec haussement d'épaules.
Cet as de carreau marchant, je le regardais, je le fixais désespérement,
pour subir son attraction magnétique, pour contre-balancer l'horrible
poids de celui qui me sollicitait en arrière, me tiraillait sous les
bras, m'écrasait les épaules.
Avec une terreur qui croissait
en proportion de l'affaiblissement de mon corps, je me demandais si jamais j'arriverais
au bout de l'étape.
Or, si à cette première épreuve,
j'étais vaincu, comment espérer fournir une carrière plus
longue ? Ma bonne volonté, mon ardeur patriotique, tous mes élans
sincères allaient-ils donc être éteints, annihilés
? Etait-il donc inutile et vain d'avoir du coeur ?
Ne valait-il pas mieux posséder
de solides jarrets
Je voulus me lever. Impossible (1895 dessin de Vogel, Morel ou Gérardin) |
A la dernière pause,
j'eus l'imprudence de m'asseoir. |
Ordres et contre-ordres :
" Nous sommes partis ce matin et nous avons gagné
Montboissier; à peine y étions-nous installés, qu'un
ordre vint de nous replier sur la route de Châteaudun. |
(dessin de Bombled 1895) |
Les officiers n'ont pas de bonnes cartes :
(dessin de M. Pallandier 1900)
Nos cartes d'état-major, gardées sous clef au ministère de la guerre, presque introuvables
en France, circulaient en Allemagne, et l'on était sûr d'en
trouver un exemplaire sur le cadavre d'un officier prussien ou d'un sous-officier
bavarois, à cette seule différence qu'elles étaient à
jour, c'est-à-dire augmentées des voies ferrées nouvelles,
des canaux, des défrichements, quand les nôtres, portant la date
de 1843, étaient restées en l'état primitif. " (Carnet
d'un prisonnier de guerre, Meyret, 1888)
Je n'en dirai pas plus sur cette expédition, qu'on ne peut se rappeler sans
un serrement de coeur inexprimable, surtout quand on songe au peu de capacité
dont on fait preuve, dans cette circonstance, nos officiers d'état-major
qui prenaient à Mulhouse le canal du Rhône au Rhin pour le Rhin
lui-même, et qui à Altkirch n'osaient établir leurs batteries
sur les plateux les plus élevés, parce qu'ils se figuraient que
les collines situées en dehors du périmètre de la ville
faisaient déjà partie du territoire suisse !!! "
(Guerre de 1870 - 1871, E. Gluck, 1873)
Au bord du Loir, le propriétaire d'une usine à papier offrit au général
une carte d'état-major, dont celui-ci avait le plus pressant besoin.
L'état-major de la division avait oublié, en quittant Le Mans,
de se munir de ce guide indispensable !
Les Allemands, même les sous-officiers,
étaient munis de cartes et pouvaient beaucoup mieux que nous se diriger
dans notre pays. "
(Souvenirs de l'armée de Bretagne, Docteur R. Gestin, 1909)
" Je cherchai des cartes du pays. Le libraire, chez
lequel j'en découvris, se montra surpris de ma demande.
Aucun officier
subalterne n'en possédait.
L'armée vivait sous le régime
des guerres d'Afrique : on attendait les ordres, et on se débrouillait
sur le terrain, sans prévoir autrement à l'avance.
Bien m'en prit,
on le verra, de m'être mieux précautionné.
dessin de Bombled 1895) |
Après la soupe, je réunis
les officiers de mon petit bataillon, et nous tînmes conseil. |
Partir en permission nécessite encore beaucoup de marche :
Partis de Brou à 5h du matin, nous rentrons à 10h à Marboué,
où nous attendons les ordres.
A midi, nous recevons la permission
de nous reposer 48 heures dans nos foyers.
Merci, commandant ! Nos coeurs débordent de joie, ce petit congé, franchement, nous ne l'avons
pas volé.
Nous déjeunons à la hâte.
A 13h, nous nous remettons en route pour Châteaudun; un train nous y attend.
(Le Monde Illustré 1870) |
A 16h, nous débarquons à Vendôme où, impatients,
nous restons de mortelles heures d'ennui. |
Le lendemain matin, nous prenons une voiture. A 3h du matin, nous descendons de voiture.
Singulier repos que nous a procuré, 15h de chemin de fer dans des
bagnolles impossibles avec le ciel comme abri, ceci pour l'aller; pour le retour, 9h de lente diligence.
Total : 2 nuits de locomotion.
A 14h, nous partons pour Beaugency.
Le trajet de Tours à Beaugency s'accomplit
péniblement.
Tristes à pleurer, les serrements de main de nos
amis, les embrassements de nos familles, le souvenir de nos mères, tout
cela miroite à nos yeux, et nos coeurs se serrent malgré nos fermes
résolutions de ne pas faiblir.
Jeunes soldtas, n'allez jamais chez vous dans le courant d'une guerre.
Nous descendons du train et nous gagnons à pied le village de Josnes, où
nous couchons. "
(Chasse au prussien, J. Michel, 1872)
(dessin de Carrey 1900)