Le départ à la guerre
Par des extraits de récits de soldats, on peut retracer le quotidien du soldat en campagne.
Départ sous les vivats
Départ sous les vivats... (dessin de Gilbaer (?) 1888)
"Après nous être réunis
à la Porte Jeune, nous nous formons un cortège et, musique en
tête, nous traversons la ville pour nous rendre au chemin de fer.
Partout
sur notre passage ce ne sont que joyeux vivats, qu'ovations, que bouquets de
fleurs et gracieux sourires.
On ne se dit point adieu comme s'il s'agissait
d'un départ sérieux, mais simplement au revoir, car enfin avec
une armée organisée comme l'est la nôtre, la victoire est
certaine; la campagne sera de courte durée, et pour six ou huit semaines
de garnison qu'il nous faudra tenir à Belfort, y-a-t-il là de
quoi alarmer parents et amis ? Certainement non; aussi notre futur genre de
vie ne nous apparaît à tous que comme une joyeuse diversion à
nos occupations habituelles, comme un passe-temps des plus nouveaux et des
plus agréables ! " (Guerre de 1870-1871, E. Gluck, 1873)
"On sera vainqueur ou vaincu, mais le courant populaire aura été déchiqueté
par les baïonnettes en ligne".
Ainsi pensent les pasteurs de la bourgeoisie
française ou allemande, qui voient de haut et de loin.
D'ailleurs, les
pantalons garance ne doutent pas de la marche triomphale des régiments
français.
- A Berlin ! A Berlin ! "
(dessin de Carrey 1900) |
J'ai failli
être assassiné, au coin d'une rue, par une poignée de
belliqueux devant lesquels j'avais hurlé mon horreur de la guerre. |
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Regroupements en compagnies :
Nous comptions surtout beaucoup de Bretons parmi nous.
Je ne me rappelle guère
que le nom de l'un d'entre ces derniers, capitaine, qui n'entendait pas le français
et nous tenait des discours interminables dans la langue de Brizeux.
Bien que
son idiome ne fût compris que par les autres fils d'Armor de l'escouade,
plus civilisés que lui, nous faisions tous excellent ménage les
uns avec les autres et je ne crois pas avoir jamais été témoin
d'une dispute sérieuse."
(Souvenirs de mon bataillon, Marquis de
Salles, 1895, caporal aux volontaires de l'Ouest)
Distribution de l'équipement :
(dessin de Bombled 1895)
" Ah
! il ne brillait pas par la panache notre uniforme.
A part les gradés,
sergents et caporaux, qui avaient des vareuses de drap bleu foncé avec
collets rouges, c'est-à-dire l'uniforme adopté, les hommes habillés
à la hâte, étaient vêtus de blouses bleues serrées
à la taille par le ceinturon.
Une patte de ganse rouge sur l'épaules
les différenciaient seule de la blouse du paysan.
Pantalons foncés, avec bandes rouges larges de deux doigts, dont le bas
était enserré dans les guêtres de toile, puis képi
de même nuance que le pantalon, avec turban rouge. Sur le dos le havre-sac
de toile grise; et voilà l'équipement avec lequel nous étions
partis.
Malgré la simplicité de cet uniforme, ils avaient bon air les
petits moblots.
Leur allure avait quelque chose de décidé et de
martial, le sac était gaillardement porté, large, débordant
les épaules par suite du paquetage de la couverture et de la toile de
tente roulées autour, et surmonté à gauche par des piquets
de tente comme d'une aigrette.
Chaque régiment de mobiles avait du reste son aspect particulier
: la Sarthe était reconnaissable à ses blouses bleues; le Loir-et-Cher
avait des blouses de toile écrue et képis de même étoffe;
la Dordogne aussi avait des blouses de toile écrue, mais képi
de drap bleu foncé avec bandeau rouge.
Ces coiffures avaient été
façonnées avec du drap de mauvaise qualité, qui sous l'action
successive de la pluie et du soleil avait déteint et fini par prendre
une teinte de vin indéfinissable.
Les rangs en marche présentaient donc des alignements de blouses bleues
et de blouses claires, qui faisaient reconnaître les régiments
de loin et du premier coup d'oeil.
Mais quel point de mire devaient offrir
nos camarades avec leur costume clair se détachant trop bien sur la verdure
des champs ! "
(Souvenirs d'un mobile de la Sarthe, D. Erard, 1907)
Le sac à dos
" Malgré son exiguité, c'était une véritable armoire, et
je m'étonne encore de tout ce que j'y ai fait tenir au début de
la campagne, car je le vidai peu à peu, et à la fin sa carcasse
en bois blanc faisait seule saillie sous sa toile.
Lorsque nous partîmes,
il contenait 3 chemises, 3 caleçons, 4 paires de chaussetes, 2 gilets
de flanelle, 6 mouchoirs, 1 passe-montagne, 90 cartouches, 1 paquet de tabac,
et un lot varié d'articles de toilette (peignes, brosses, éponges,
savon, ...).
La couverture était roulée autour du sac; elle était
recouverte par la toile de tente; au-dessus, une peau de mouton empaquetée
en forme de traversin était surmontée d'une paire de brodequins.
A l'arrière, ma gamelle était fixée par la courroie centrale.
Les courroies de côté retenaient les piquets de tente.
Le poids des cartouches me fatiguait plus que tout le reste.
Nous pouvions, dans les premiers temps, changer régulièrement
de linge; mais à la fin, surtout pendant nos opérations en Beauce,
l'eau était si rare et nos déplacements si continuels, que nous
n'eûmes guère la faculté de nous livrer aux délices
du blanchissage.
Je n'insisterai pas sur les lamentables conséquences
de cette situation.
Qu'il me suffise de dire que je finis par abandonner mes
gilets de flanelle, au plus fort du mois de décembre, quand je vis l'impossibilité
d'en changer.
Le fait est que je ne m'en portai que mieux par la suite."
(Souvenirs de mon bataillon, Marquis de Salles, 1895, caporal aux volontaires
de l'Ouest))
Toilette dans la neige (dessin de Bombled 1895)