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Source : Extrait de "Récits vécus" de Gédéon Martineau. Image

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Combat de Poisly, près de Josnes 8, 9 et 10 décembre 1870.

Mes bons Parents,

... A peine sortis de la forêt de Marchenoir et avant d'occuper la position qui nous a été désignée, nous essuyons le feu d'une batterie prussienne; nous lui faisons face et répondons si bien que notre tir meurtrier la force de se replier.
Ses conducteurs fouettent vigoureusement leurs chevaux pour faire plus vite et après une course effrénée, la batterie allemande se replace assez loin de nous.
Pendant ce temps, nous prenons vivement position aux épaulements établis près la ferme des Bouèches et ouvrons le feu sur nos ennemis.
Il est midi.
Il est temps que nous arrivions pour la batterie de Saint-Malo (3e d'Ille-et-Vilaine), qui est très éprouvée ; en moins d'une heure, le capitaine Lhémery a eu deux hommes tués (l'un de ces deux tués est notre ami Portalier) et dix-sept blessés, ainsi que beaucoup de chevaux.
Elle est obligée de cesser le feu, c'est alors que nous voyons son capitaine se replier avec les débris de sa batterie.

            

Gédéon Martineau   mlamp1870_pa_0006 109
Gédéon Martineau
1849 - 1916

L'un de ses canons n'a plu que trois chevaux pour le traîner et deux hommes pour l'accompagner ; les autres ont été tués ou blessés.
La nuit empêche la continuation de notre combat, nous n'avons aucun blessé dans notre batterie.
Le lendemain 9 décembre, avant le lever du jour, nous prenons position dans un champ labouré, plus en avant de la ferme et à sa droite, derrière des épaulements sommairement établis pendant la nuit par le génie.
Nous ne tardons pas à voir les allemands se mettre en position sur la route de Beaugency à Châteaudun, avec neuf batteries d'artillerie.
Nous ouvrons le feu sur elles et jusqu'à la nuit nous soutenons le combat pendant lequel nous n'avons que trois hommes blessés légèrement, qui reprennent leur poste après un pansement sommaire.
Presque tous les obus ennemis s'enfonçaient et éclataient dans la terre détrempée du champ. C'est certainement à cette circonstance que nous devons de n'avoir pas eu plus de blessés.
Vers le milieu de l'après-midi, le général Jaurès envoie un de ses aides de camp féliciter particulièremet notre batterie; il confère à notre brave capitaine Clocheret la croix de la légion d'Honneur et décerne deux médailles militaires aux deux sous-officiers les plus méritants.
Les maréchaux des logis Chevalier et Rosetzky sont désignés ; le choix est excellent et ratifié par tous.
Cette journée fut chaude et passionnante.
A la nuit nous nous retirons du lieu du combat pour mettre nos pièces à l'abri dans Poisly même.
L'ennemi envoie des obus éclairants pour voir si nous sommes encore sur notre même emplacement.
Le jour suivant , 10 décembre, nous retournons à notre position de la veille.
Le combat commence dès l'aube.
Le feu des deux parts ne discontinue pas depuis le matin jusqu'à la nuit. Je ne crois pas qu'il soit possible de recevoir une grêle de projectiles plus forte que dans cette terrible journée.
Vers deux heures, les 36 pièces ennemies n'ayant en artillerie que notre batterie à combattre, convergent tous leurs feux sur nos pièces ; leur tir devient d'une écision inquiétante.
Leur feu est tellement violent et nourri que le nôtre en est éteint, nous ne pouvons plus approvisionner nos pièces.
En moins d'une demi-heure, nous avons 9 hommes blessés, 7 chevaux tués, 5 mis hors de service et un caisson détérioré par un obus qui m'a fait une contusion légère dont vous n'avez nullement à vous inquiétez.

Voici les noms de nos blessés dans cette journée :
Conducteurs :
Gracia, une jambe coupée
Trochu, une jambe brisée
Denot, blessé à la jambe
Primaut, blessé légèrement au côté
Judéaux, blessé aux reins
Treillard, blessé à l'abdomen
Servant :
Gracin, blessé légèrement à la tête
Artificier :
Rossignol, contusionné au pied
Maréchal des logis chef Martineau, contusionné à la jambe.

Le colonel Sûter, arrivant à ce moment, donne l'ordre de mettre les caissons à l'abri dans les bois.
Les canons restent à leur emplacement, les servants se couchent derrière les épaulements, les conducteurs des avant-trains se cachent entre leurs chevaux effrayés qu'ils ont de la peine à maintenir au milieu de la pluie des obus.
Le capitaine Clocheret avait demandé d'urgence du renfort.
Quelque temps après arrivent au galop deux batteries légères de 4 rayées qui se placent à droite et à gauche en avant de la nôtre.
Le feu recommence de plus belle et ne cesse qu'à la nuit complète.
De part et d'autre, chacun canonne de ses positions sans bouger de place, nous sommes de 1800 à 2000 mètres des prussiens.
Nos 6 pièces de 12, se chargeant par la bouche, ont lancé pendant cette seule journée 505 obus, tous nos caissons ont été vidés.
Le combat d'artillerie s'étendait sur une longueur de plus de 10 kilomètres.
C'était superbe mais terrifiant.
L'infanterie de soutien placée trop près de notre artillerie a des tués et des blessés sans avoir eu l'occasion d'agir.
Le général Jaurès, dans la soirée, nous avait dit que si nous pouvions soutenir le feu jusqu'au soir, le succès était assuré.
Le lendemain 11 décembre, nous reprenons encore notre même place, nous attendons inutilement l'ennemi qui ne paraît pas.
Ne voyant pas revenir les allemands, nous pensions les avoir battus, aussi en étions-nous tout joyeux !
Désillusion ! car à dix heures du matin nous recevons l'ordre de nous replier.
Pendant ces trois journées de combat, nos hommes ont montré beaucoup d'endurance, de bravoure et de sang-froid.
A l'aile gauche de l'armée et au centre où nous étions, il y avait eu succès, mais notre aile droite se laissait enfoncer.
C'est pourquoi nous avons reçu l'ordre de battre en retraite.
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Voilà, chers parents, le récit exact de ces journées.
Votre fils qui vous aime,
G. M.